Jean-Michel Blanquer ou le marchand de sable de la rue de Grenelle

Dimanche dernier, Jean-Michel Blanquer était l’invité du Grand Jury, cette émission organisée par RTL, LCI et Le Figaro. Ce genre d’émission s’est progressivement transformé en espèce de messe dominicale pour les responsables politiques qui viennent, au choix, y défendre leur action ou attaquer celle du gouvernement. Le ministre de l’Education nationale, au cours de son interview, aurait une nouvelle fois gaffé. Au fil de son passage il a effectivement, entre autres, tonné contre les téléphones portables et annoncé qu’à partir de la rentrée prochaine, ceux-ci seraient interdits dans les écoles et les collèges. Pourtant cette interdiction existe déjà et tout à la fois un article du code de l’éducation et les règlements intérieurs de bien des établissements le rappellent.

On pourrait voir dans cette prise de position une erreur voire un bégaiement de la part de Monsieur Blanquer. Je crois, au contraire, qu’il n’en est rien. Lorsque l’on sait à quel point la communication ministérielle est verrouillée depuis le plus haut sommet de l’Etat, la thèse de la malencontreuse bourde – faisant suite à bien d’autres nous y reviendrons – ne tient pas. Ladite supposée bourde s’inscrit en réalité pleinement dans un plan de communication bien huilé consistant à placer la focale sur quelques éléments finalement secondaires afin de flatter une partie de l’électorat et de satisfaire les parents dans un exercice de danse du ventre qui est tout sauf profitable aux élèves.

 

Flagornerie et position réactionnaire

 

Je le disais un peu plus haut, les propos et multiples répétitions de Jean-Michel Blanquer s’inscrivent pleinement dans une stratégie de flagornerie à l’égard des parents. Ainsi en est-il de ses multiples sorties sur la méthode syllabique dont le ministre appelait le retour en août dernier au micro de Jean-Jacques Bourdin. Il affirmait, en effet, que cette méthode était le b.a.ba pour l’apprentissage de la lecture. Le problème de son positionnement est que son présupposé était que ladite méthode syllabique n’était pas utilisée alors même que c’est celle dont se servent majoritairement les professeurs. Mais qu’importe la vérité quand on est dans un exercice de communication bien calculé, les parents étaient satisfaits de cette annonce et c’est tout ce qui comptait pour le ministre et son gouvernement.

Si Monsieur Blanquer s’applique à répéter avec insistance la mise en place de choses qui existent déjà c’est bien évidemment pour flatter les parents et les caresser dans le sens du poil. Toutefois, il serait réducteur de s’arrêter à ce simple tableau. Le ministre envoie en outre assez régulièrement des messages plus ou moins appuyés à la frange la plus réactionnaire de l’électorat. Ancien proche de Nicolas Sarkozy, Jean-Michel Blanquer accorde une importance toute particulière à envoyer ces messages-là. Aussi dimanche a-t-il passé près de 20 minutes (sur les 50) de l’interview à parler de laïcité en promettant la mise en place de référents laïcité (alors même qu’il existe déjà un Observatoire de la laïcité) et en affirmant haut et fort qu’il y avait de lourds problèmes sans même prendre la peine d’appuyer son propos sur autre chose que le livre de Bernard Ravet, hautement contesté. De sa propre initiative il est revenu sur la question des mères voilées accompagnantes des sorties scolaires en affirmant sa position, contraire à la décision du Conseil d’Etat, qui est une opposition à la présence du voile pour l’accompagnement de sorties scolaires. S’il a bel et bien affirmé qu’il n’irait pas à l’encontre du Conseil d’Etat, se positionner de la sorte est indubitablement une manière de rassurer les plus réactionnaires.

 

Le symbole de la dictée

 

Dernièrement, une enquête internationale – l’enquête PIRLS – portant sur les compétences de lecture des élèves de CM1 a fourni un résultat plutôt mauvais pour notre pays. Les écoliers français savent déchiffrer un texte mais ont des difficultés pour les comprendre. Outré par ce résultat, Jean-Michel Blanquer a annoncé que pour remédier à ce problème il fallait instaurer une dictée quotidienne dans les écoles de France. Tout acquis à sa posture de Ponce Pilate qui se lave les mains, les élèves évalués ont en effet suivi les programmes élaborés et mis en œuvre quand Monsieur Blanquer était directeur de l’enseignement scolaire sous Xavier Darcos, le ministre de l’Education nationale semble volontairement taper à côté du réel problème. Les dictées, en effet, ne règleront en rien le problème de compréhension.

Il ne me semble pas exagéré de voir dans ce positionnement une forme de symbole. Qu’est-ce qu’un symbole sinon une chose qui renvoie à autre chose qu’à elle-même ? Il me parait évident que la proposition de mettre en place une dictée quotidienne déborde allègrement du simple problème de compréhension des textes. Cette manière de faire et cette posture en dit long sur la vision qu’a le ministre et par extension le président de la République des choses. Une dictée ne corrige en rien les inégalités. Elle est au contraire là pour montrer qu’il y a des différences. On n’est jamais devenu bon en compréhension ou même en orthographe par le simple truchement d’une dictée. La dictée est là pour évaluer l’avancement de l’apprentissage, elle n’est qu’un thermomètre. La prendre pour la panacée c’est se foutre de la gueule du monde. Le symbole a pourtant un autre sens, plus enfoui mais plus intéressant. Etymologiquement, en effet, le mot symbole dérive du grec ancien symbolon qui signifiait « mettre ensemble ». Dans la Grèce Antique le symbole était un morceau de poterie que deux cocontractants partageaient afin de se reconnaître à l’avenir. Cette volonté d’imposer la dictée quotidienne agit aussi comme une forme de symbole à ce niveau là en réunissant autour d’elle des forces bien réactionnaires. Dans leur imaginaire, en effet, la dictée est attachée à l’ordre, aux méthodes anciennes qui ont fait leur preuve face au « pédagogisme gauchiste ». Remettre en place des dictées quotidiennes s’inscrit donc dans un mouvement plus global de cours de morale et autres ports possibles de l’uniforme.

 

Nous le voyons donc, la poudre aux yeux jetée par Jean-Michel Blanquer est loin d’être le fruit du hasard. Elle est assurément la conséquence d’une stratégie murement réfléchie et qui s’inscrit dans une démarche politique bien plus globale. « Ouvrez des école vous fermerez des prisons » disait Victor Hugo en son temps mais au vu de la perpétuation du système profondément inégalitaire, nous sommes bien plus proches de la pastiche faite par Geffroy de Lagasnerie qui affirme qu’ouvrir une école c’est ouvrir une prison. « Le courage, disait Jaurès en son temps, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques ». Le courage, Jean-Michel Blanquer en est bien loin.

2 commentaires sur “Jean-Michel Blanquer ou le marchand de sable de la rue de Grenelle

Laisser un commentaire