L’affaire Weinstein, l’apocalypse et les masques fracassés

 Dans son excellent livre, Les Affects de la politique, Frédéric Lordon explique que c’est le franchissement de seuils invisibles qui précipitent des changements d’ampleur. L’affaire Weinstein me semble répondre d’une certaine manière à un de ces seuils imperceptibles franchis. Loin d’être la seule affaire d’agressions sexuelles ou de viols, elle a pourtant précipité, il me semble, un changement de manière d’appréhender ces questions à la fois sordides et éminemment importantes. Qu’est-ce qui explique que c’est cette affaire et pas une autre qui a déclenché ce qui apparait comme un changement d’ampleur ? Peut-être le fait que Harvey Weinstein soit une personnalité importante du monde cinématographique. Sans doute aussi, nous y reviendrons, parce que cette affaire vient s’ajouter à de nombreuses autres.

La déflagration qui a suivi la révélation de cette affaire et notamment le hashtag #balancetonporc qui est apparu sur Twitter en même temps que de multiples articles de témoignages d’agressions sexuelles ou de viols publiés dans les médias (notamment sur Mediapart ici) ont eu pour mérite de rappeler à quel point la question du harcèlement, des agressions sexuelles et des viols était un problème systémique et non pas l’apanage d’une toute petite minorité de détraqués. Il est donc plus que temps de s’attaquer frontalement à ce problème systémique afin de faire changer les structures ce sans quoi rien ne pourra changer. L’autre grand mérite qu’a eu cette déflagration est assurément d’avoir fait tomber les masques d’un nombre certains de personnes, d’Enthoven à Zemmour en passant par Bouvet et bien des anonymes, rassemblées dans une odieuse ligue de défense porcine.

 

Affaire Weinstein et apocalypse

 

Bien que certaines personnes se sont évertuées à nous expliquer qu’il s’agissait d’un retour du maccarthysme – nous y reviendrons en troisième partie – le hashtag #balancetonporc qui a fait florès sur Twitter au cours des derniers jours est selon moi une apocalypse au sens étymologique du terme. Dans la Grèce antique en effet, le terme apokálupsis signifiait « action de découvrir » et donc in fine la révélation. Il ne me paraît pas exagéré de parler de véritable révélation qui a eu lieu à la fois sur Twitter et dans certains médias. Moi le premier, je le reconnais aisément, je n’avais pas conscience de la profondeur du problème. Je crois même qu’il n’est pas abusif de dire que les femmes elles-mêmes n’étaient pas forcément conscience de l’ampleur du phénomène dramatique.

Sur Twitter effectivement, nombreuses ont été les femmes à dire avoir un sentiment ambivalent à l’égard de l’ampleur révélée par les témoignages postés sur le réseau social. D’une part l’horreur, la crainte et la peur de voir que ces pratiques sont très développées mais d’autre part une forme de « soulagement » de voir qu’elles n’étaient pas les seules à subir des actes de harcèlement voire d’agressions sexuelles. De la même manière, les témoignages plus longs mais tout aussi crus qui provoquent la nausée publiés par certains médias participent de cette prise de conscience globale du problème que constituent le harcèlement sexuel, les agressions sexuelles et les viols.

 

La longue maturation

 

Comme je le disais en introduction, comment expliquer que l’affaire Weinstein ait provoqué une telle déflagration et une telle prise de conscience alors qu’elle est loin d’être la première ? Un des arguments souvent avancés est que Weinstein est l’un des producteurs les plus en vue. Je suis partiellement d’accord avec cet argument. Je crois plutôt que la déflagration a été aussi grande parce qu’il y a eu un long et patient travail effectué par les associations de défense des droits des femmes en même temps que l’enchaînement d’affaires est venu porter à incandescence cette problématique trop longtemps ignorée.

Sans ce travail méthodique et minutieux effectué par toutes ces associations, jamais je pense ce qui est en train de se passer n’aurait pu arriver. Sans la mise en évidence de la culture du viol et du patriarcat systémique de nos sociétés, jamais la parole n’aurait pu se libérer de manière si puissante dans ce qui ressemble à s’y méprendre à une catharsis. Il me semble que cet état de fait montre encore une fois à quelle point la bataille culturelle et la lutte des idées est primordiale. C’est parce que la lutte des idées a été menée et que la bataille culturelle a été enclenchée par bien des associations féministes que le débat a pu émerger.

 

Et les masques tombèrent

 

En réponse à cette vague de témoignages et de révélations, d’aucuns n’ont pas hésité à culpabiliser les femmes qui partageaient leurs expériences douloureuses. Dans un véritable pot-pourri de propos abjects, nous avons eu droit au bingo des machos les plus odieux. De Raphaël Enthoven qui explique que le problème est le mot balance et non pas les porcs à Laurent Bouvet qui s’est empressé de répéter « islam, islam, islam » en passant par Eric Zemmour qui a convoqué les « heures les plus sombres de notre Histoire » (toujours les mêmes) en expliquant qu’en 1940 « cela aurait été balance ton juif », la ligue de défense porcine s’en est donnée à cœur joie pour minimiser le problème systémique.

Les masques ont donc fini par définitivement tomber. Dans la Grèce antique, plus précisément dans le théâtre grec – constitué quasiment uniquement de tragédie – le masque avait une double utilité que l’on retrouvait chez notre chère ligue de défense porcine. La première, celle que tout le monde connaît était une utilité qu’on pourrait appeler esthétique. Il s’agissait évidemment de prendre les traits du personnage joué. Le masque avait donc la dissimulation comme premier objectif. Il est assez aisé de voir à quel point la question de la soi-disant défense des femmes était utilisée pour attaquer l’islam ou les habitants des quartiers populaires. A partir du moment où le harcèlement est commis par leurs semblables, ces belles âmes se retrouvent muettes. En revanche, le masque avait aussi une autre utilité, plus méconnue, une utilité beaucoup plus pratique. Celui-ci jouait, en effet, le rôle de porte-voix de telle sorte que le masque était nécessaire à l’acteur pour se faire entendre par le public. Et on retrouve aussi cette utilité dans le masque de défenseurs des femmes que se plaisaient à porter ces odieux personnages.

 

Chacun à un rôle à jouer

 

Je le disais plus haut, le problème du harcèlement sexuel, des agressions sexuelles et des viols ne saurait être regardé pertinemment si l’on n’adopte pas une vision à la fois systémique et globale des choses. Cela ne veut bien évidemment pas dire que tous les hommes sont des harceleurs voire des violeurs mais bien plutôt qu’il s’agit de s’interroger sur les structures de la société afin de faire évoluer les choses. Cela veut-il pour autant dire que nous ne pouvons pas agir dans notre vie quotidienne pour améliorer la situation ? Assurément pas. Pablo Iglesias a coutume de dire qu’il y a plus de portée révolutionnaire dans le fait qu’un homme fasse la vaisselle dans son domicile que dans bien des mesures prises par les politiciens.

Je crois qu’il faut aller plus loin que cette simple constatation et affirmer haut et fort que nous avons tous un rôle à jouer dans la lutte contre la logique abjecte et systémique dans laquelle nous vivons. Trop souvent, de la même manière que pour les actes ou propos de haine raciste ou homophobe, nous laissons passer certaines choses sous couvert de l’humour potache ou en se disant « après tout ça n’est pas si grave ». Je suis intimement convaincu que comme le disait si brillamment Albert Camus il nous convient à tous de n’être ni victime ni bourreau et donc d’ériger en code de vie cette volonté de lutter contre le harcèlement sexuel, les agressions sexuelles ou les viols. La culture du viol mise en évidence par nombre d’associations féministes se nourrit précisément d’une multitude de petits renoncements. Le plus effrayant, en effet, n’est peut-être pas ceux qui font mal mais l’indifférence des gens de bien qui détournent les yeux et ne font rien.

 

Nous le voyons donc, il est grand temps de prendre des mesures à la fois drastiques et rapides pour mettre fin à ce modèle qui minimise sinon qui légitime le harcèlement ou les agressions voire le viol. La crise que nous traversons est profonde et mérite d’être traitée de la manière la plus urgente qui soit. Etymologiquement le terme crisis désigne à la fois une affliction sévère et le moment du choix. Ayons le courage de faire des choix forts et de rallumer les étoiles dans cette nuit si noire.

 

 

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