Hier après-midi, le gouvernement a présenté son projet de budget pour l’année 2018. Comme nous le savions déjà le nombre de contrats aidés dans le pays va fortement diminuer l’année prochaine. Considérés comme « couteux » et « peu efficaces » dans la logique du retour à l’emploi par le gouvernement, leur nombre va donc passer de 320 000 à 200 000 soit une baisse de 37,5%. Faisant fi de toutes les analyses de leur utilité sociale et des réclamations des collectivités locales sur cette question, Edouard Philippe et Emmanuel Macron ont donc décidé de n’en faire qu’à leur tête, tout acquis qu’ils sont au mantra de la baisse des dépenses publiques.
Le gouvernement a effectivement expliqué que cette baisse drastique du nombre de contrats aidés – qui sont des contrats subventionnés dans les secteurs marchands et non marchands (principalement) qui sont censés faciliter l’insertion dans le monde professionnel ; dans le secteur non marchand, ils concernent notamment le secteur hospitalier et l’Éducation nationale – par leur coût élevé. Nous le savons depuis l’arrivée conjointe de Bruno Lemaire et Gérald Darmanin à Bercy, la logique portée par ce gouvernement est une logique austéritaire. Les contrats aidés font donc partie des éléments sacrifiés sur l’autel de cette austérité, qui est censée permettre une plus grande intégration européenne si l’on en croit Monsieur Macron.
Le plan social qui ne dit pas son nom
Au-delà du coût desdits contrats aidés, le gouvernement a avancé l’argument de leur inefficacité dans la réinsertion des chômeurs de longue durée. Il est vrai que les contrats aidés demeurent bien souvent comme une marque indélébile sur le CV de ceux qui en bénéficient, un peu comme la marque de Jean Valjean dans les Misérables. En effet, à poste équivalent les anciens bénéficiaires de contrats aidés sont souvent moins bien payés que leurs homologues qui ne sont pas passés par ce mécanisme. Cela appelle évidemment une critique plus systémique de ce mécanisme – j’y reviendrai en dernière partie. En revanche, qu’on le veuille ou non, les emplois aidés permettent aujourd’hui à un nombre important de personnes de pouvoir avoir des revenus un peu plus élevés et nombreuses sont les personnes pour qui ces contrats aidés sont vitaux.
En cela, cette baisse soudaine des emplois aidés représente ni plus ni moins que le plus grand plan social mis en place dans ce pays. Supprimer 120 000 postes en contrats aidés revient effectivement à licencier de fait 120 000 personnes de manière presque plus violente et abusive que certains cas de licenciements violents. Il n’y a en effet pas eu ou presque de préavis puisque certaines personnes en contrats aidés ont découvert quelques jours avant la rentrée et sans aucune explication claire qu’elles n’avaient plus de contrat. Une telle violence susciterait la colère et la révolte légitimes si elle se produisait dans une entreprise. Il est donc anormal de ne pas faire cette analogie avec le plan social tant les vies de certains vont être broyées par cette décision cynique.
Les collectivités locales exsangues
L’été 2017 aura décidément été un bien sale été pour les collectivités locales et en particulier pour les mairies. Après le mensonge de Macron sur l’absence de baisse des dotations – qui a finalement eu lieu pour près de 300 Millions d’€ – les voilà qui doivent faire face pour l’année prochaine à la baisse des contrats aidés qui leurs sont primordiaux pour la continuité du service public. Je le disais en introduction, les contrats aidés dans le domaine non marchand concernent principalement l’Education Nationale en général et l’école maternelle/primaire en particulier. En ce sens, baisser le nombre de contrats aidés revient à dire aux collectivités locales qu’elles vont devoir se débrouiller avec à la fois moins de moyens humains et moins de moyens financiers pour fournir un service plus important (augmentation des effectifs d’élèves par exemple).
Les collectivités locales se retrouvent donc prises dans une mâchoire d’airain constituée d’une part par la baisse des dotations et d’autre part par, désormais, un besoin accru de personnel eu égard à la diminution du nombre de contrats aidés. Cette attitude très cynique du gouvernement frappera bien évidemment les plus dominés de notre société puisque c’est dans les écoles publiques déjà reléguées que cette baisse se fera le plus ressentir. Finalement, cette décision de diminuer le nombre de contrats aidés s’insère pleinement dans la logique qui est celle d’Emmanuel Macron depuis son arrivée à l’Elysée : le creusement des inégalités. Nous le voyons donc, les contrats aidés, loin d’être des postes d’appoint sont primordiaux dans bien des pans de la société.
Contrats aidés, le système inique
Ce constat nous permet de passer à un autre stade dans la réflexion. Vous le savez si vous avez l’habitude de me lire, je considère que l’on ne peut comprendre – et donc modifier – les choses que si l’on raisonne de manière systémique. Dans le cas des contrats aidés cette méthodologie s’applique évidemment. Je me retrouve à défendre les contrats aidés alors même que leur présence est selon moi une aberration. S’il faut se lever contre cette baisse soudaine de leur nombre à mes yeux c’est bien plus parce que cette baisse va refaire basculer dans la misère des dizaines de milliers de personnes que parce que je considère leur fondement même pertinent. Je suis en effet de ceux qui considèrent qu’il est absolument scandaleux de voir que des activités primordiales et fondamentales pour la bonne mise en place des services publiques soient effectuées par des personnes sous contrat ultra-précaires.
L’argument souvent avancé pour appeler à la suppression de ces contrats aidés est en effet que ces contrats ne sont en réalité que des subventions et des emplois inutiles. Je suis personnellement pour la fin de ces contrats aidés mais pour des raisons radicalement différentes. Je crois au contraire qu’il faudrait titulariser tous ces précaires de la fonction publique précisément parce que l’on constate bien que leur activité est centrale pour fournir un service public de qualité. Cette histoire me fait d’ailleurs penser aux velléités de certains conseils départementaux à faire travailler bénévolement les bénéficiaires du RSA. S’il y a du travail que de vrais postes soient créés plutôt que d’exploiter les plus dominés de notre société.
Nous le voyons donc, il est absolument nécessaire de prendre de la hauteur pour ne pas tomber dans une impasse sur cette question. A ce titre, les réflexions de Geoffroy de Lagasnerie dans Penser dans un monde mauvais me paraissent particulièrement pertinente pour traiter cette question. Le philosophe explique effectivement qu’il ne faut pas confondre les pensées critique et oppositionnelle. Une pensée critique, même juste et corroborée par des faits, peut paradoxalement conduire à une perpétuation du système en place dans la mesure où celle-ci se borne à penser dans le cadre sans le remettre en cause. C’est cela que nous devons éviter afin de parvenir à une pensée oppositionnelle qui en se cantonne pas à critiquer les évènements ayant lieu dans le cadre mais le cadre lui-même. Au travail.