A chaque rentrée scolaire c’est toujours le même sempiternel bal des publications de livres ayant un rapport avec l’école au sens large. Chaque année, l’une de ses publications obtient les faveurs des médias et des politiciens. Si l’année dernière avait été marquée par une réflexion autour de l’utilisation des neurosciences à l’école et de leurs supposés bienfaits dans Les Lois naturelles de l’enfant de Céline Alvarez, cette rentrée est marquée par la surexposition médiatique d’un brûlot écrit par Bernard Ravet, un ancien principal de collèges marseillais. Dans Principal de collège ou imam de la République, cet homme s’applique méthodiquement à fustiger la progression supposée de l’islamisme au sein de l’éducation nationale en général et dans le 3ème arrondissement de Marseille en particulier.
Quiconque a l’habitude de parcourir mes divagations sur ce blog sait que la question de l’école est centrale pour moi. C’est donc tout naturellement que ce livre et cette prise de position au vitriol m’intéressent. Toutefois, et c’est l’originalité de ce livre pour moi, l’ouvrage de Monsieur Ravet me touche particulièrement dans la mesure où celui-ci évoque non seulement Marseille mais précisément l’arrondissement où j’ai grandi et qui abrite le collège où j’ai étudié. Etant donné l’absence de mise en perspective ou même de contradicteur sur l’ensemble des plateaux télé où est invité ce monsieur, il me paraît important de rétablir quelques vérités loin de la thèse orientée et se fondant sur des années de vie dans cet arrondissement.
Déconstruire le mythe
Dans la Grèce Antique, le mythe – qui dérive de muthos – définissait le domaine de l’opinion fausse, de la rumeur, du discours de circonstance. En somme, le mythe est le discours non-raisonné, qui se veut être une forme de fable. Par opposition, le logos était, lui, le discours raisonné. C’est précisément le passage du muthos au logos qui a posé la pierre fondatrice des philosophes de la Grèce Antique. En ce sens, il ne me paraît pas exagéré de parler de mythe pour définir le discours de Bernard Ravet qui ressemble bien plus à une fable se défiant de toute réalité que d’une analyse de terrain de ce qu’il se passe dans le 3ème arrondissement de Marseille. J’ai vu que L’Express avait comparé le livre dudit monsieur au « J’accuse » de Zola. Il est difficile de retenir un fou rire face à cette analogie plus que douteuse.
Je le disais en introduction, cet arrondissement de Marseille – l’un des plus pauvres de France – je le connais particulièrement parce que j’y ai grandi et que mes parents y vivent encore. Avec mon frère et ma sœur nous avons passé 10 ans en cumulé dans le collège Edgar Quinet et j’ai encore de la famille qui fréquente actuellement le collège Belle de Mai toujours dans le 3ème arrondissement. Monsieur Ravet, dans son livre, a un fil rouge monomaniaque qui expliquerait à lui seul les problèmes dans les collèges de l’arrondissement. L’objet, ici, n’est pas de dire qu’il n’y aucun problème dans ces collèges – j’y reviendrai ensuite – mais expliquer que c’est l’islamisme rampant qui en est la cause est éminemment ridicule. Pour appuyer son propos, l’ancien proviseur dresse un inventaire (plus que fumeux) du nombre de mosquées dans l’arrondissement pour mieux expliquer que leur nombre est la preuve de cette progression de l’Islam à l’école. Le même monsieur explique que la pratique du jeune du mois de Ramadhan est la preuve de l’influence de l’Islam sur l’école. Ce que j’ai vu durant mes années de collège – et que je continue à voir par l’intermédiaire de mes cousins – c’est avant tout des professeurs dévoués qui sont, eux, les véritables hussards de notre République en organisant des activités et de l’aide au devoir durant les vacances scolaires. Je n’ai pas souvenir d’un seul problème lié à la religion au cours de mes années collège. Pas plus que quand j’y étais je n’ai entendu ce genre d’histoire lors du collège de ma sœur et mon frère hier ou mon cousin aujourd’hui.
Islam, le si pratique voile
Comment expliquer dès lors que Bernard Ravet bénéficie d’une telle couverture médiatique en dépit de son refus obstiné de se fonder sur la réalité des choses ? L’explication est en réalité assez simple à mes yeux. Malgré le fait que la France ait fait barrage au racisme et à l’islamophobie, si l’on écoute les antifascistes d’opérettes, le 7 mai dernier, taper sur l’Islam est encore aujourd’hui une formule qui fait recette si bien que cette religion est encore et toujours une manière d’éviter d’aborder les problèmes de fond. Je le disais plus haut, les collèges du 3ème arrondissement de Marseille connaissent des problèmes profonds mais les lier à l’Islam est une manière de garder les yeux grands fermés sur les causes profondes et systémiques desdits problèmes.
Comme dans beaucoup d’établissements des quartiers populaires, les collèges du 3ème arrondissement sont confrontés à des problèmes de violence ou de trafic de drogue par exemple mais également, et c’est le problème le plus important à mes yeux, au creusement d’un fossé chaque jour plus grand entre ces collèges et ceux des quartiers huppés. J’ai déjà longuement disserté sur ce blog à propos du drame qu’a constitué la création du label ZEP et de toutes ses conséquences mais Marseille demeure sur cette question un exemple à l’envers tant les inégalités scolaires sont criantes selon le quartier où vous vous trouvez. Il est certes plus commode et aisé de rejeter les causes de ces problèmes structurels sur une supposée montée de l’islamisme mais cela relève au mieux d’une méconnaissance accrue du système au pire d’un cynisme immonde. Bernard Ravet étant un ancien principal avec de l’expérience j’opte bien plus pour la deuxième option. Parler d’Islam permet donc d’éviter d’aborder des questions très fâcheuses pour les décideurs politiques comme, par exemple, l’état d’insalubrité de certaines écoles des quartiers nord.
Nous le voyons donc, si Bernard Ravet et sa fable bénéficient d’une aussi large exposition c’est précisément parce qu’ils permettent de ne pas poser les bonnes questions sur notre système éducatif qui va pourtant si mal. Ce faisant, Bernard Ravet participe largement du mouvement qui tente de substituer aux questions sociales les questions identitaires. Le plus ironique – ou le plus ridicule – de cette situation est précisément le fait que tous les chantres de cette vision nous expliquent à longueur de temps que nous ne voulons pas regarder la réalité en face alors même que leurs thèses ardemment défendues se coupent totalement du réel. En somme, pour eux, le réel n’a pas lieu, seul leur dogme vaut. Bernard Ravet a été comparé à Emile Zola comme je le disais et j’ai envie de conclure par les mots d’un camarade de lutte de Zola dans l’affaire Dreyfus, Jean Jaurès. Dans son Discours à la jeunesse en 1903 il affirmait que « le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques ». Si nous retrouvons le courage, nous aurons déjà fait un grand pas.
Bonjour,
Vous avez peut-être raison (et j’ai tendance à être d’accord avec ce que vous dites de façon générale, à propos de la sur-exposition médiatique des questions identitaires vs questions sociales).
Mais, malheureusement, le seul argument de votre texte pour contrer la thèse que vous combattez est :
« Je n’ai pas souvenir d’un seul problème lié à la religion au cours de mes années collège. Pas plus que quand j’y étais je n’ai entendu ce genre d’histoire lors du collège de ma sœur et mon frère hier ou mon cousin aujourd’hui. »
Ca s’appelle un argument d’autorité qui revient à dire :
« Je connais bien cet endroit. Croyez-moi, ce qu’en dit ce monsieur est faux ».
C’est un peu faible, et c’est dommage car la question est importante…
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Bonjour,
En effet c’est plus un témoignage qu’autre chose mais j’espère simplement que cette modeste pierre à l’édifice suscitera d’autres témoignages de la sorte…
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Je partage largement cette analyse. J’ai été professeur de nombreuses années dans un collège du 14ème.
Le problème est largement social et ségrégatif.
J’ai connu la lente dérive vers les collèges ghettos.
La pédagogie peut beaucoup mais pas tout.
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Tout cela est bel et bon sauf que….Ce n’est pas le seul ouvrage à s’inquiéter de l’entrisme religieux croissant dans notre société et à l’école et surtout, pour en avoir discuté avec nombre de collègues, beaucoup de professeurs digne de confiance reconnaissent leur réalité dans les situations rencontrées dans ce livre….Travaillez-vous dans un établissement scolaire ?
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Non je n’y travaille pas mais je connais des personnes qui y travaillent.
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Monsieur,
Avez vous lu le livre ou simplement les bonnes pages de l’Express?
Bernard RAVET
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J’ai lu une dizaine d’articles à son propos ainsi qu’un certain nombre de vos passages télévisuels.
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Le livre a beaucoup fait réagir, notamment les syndicats d’enseignants et de chefs d’établissement, qui sans contredire les faits estiment qu’ils « datent » et que, notamment depuis les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, le sujet est pris en main par l’ Éducation nationale. Le livre a beaucoup fait réagir, notamment les syndicats d’enseignants et de chefs d’établissement, qui sans contredire les faits estiment qu’ils « datent » et que, notamment depuis les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, le sujet est pris en main par l’ Éducation nationale. Archive LM/RT
Bernard Ravet, principal de collèges marseillais à la retraite, dénonce le déni face à la pression de l’islam et réalise aussi une ode aux enseignants comme capacités de tous les élèves.
« Principal de collège ou imam de la République ? » Ayant officié à Marseille au collège Manet (quartier Nord) puis Versailles (3e arrondissement) avant d’inaugurer le collège Jean-Claude Izzo dans le territoire d’Euroméditerranée en pleine rénovation pour terminer sa carrière dans un établissement des quartiers Sud, Bernard Ravet désormais à la retraite vient de publier cet ouvrage.
Il y retrace ses années d’exercice mais aussi sa formation dans le quartier de la Croix-Rousse à Lyon puis témoigne d’une école en prise avec la montée de l’intégrisme islamique, avant de dénoncer déni et silence.
Le livre a beaucoup fait réagir, notamment les syndicats d’enseignants et de chefs d’établissement, qui sans contredire les faits estiment qu’ils « datent » et que, notamment depuis les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, le sujet est pris en main par l’ Éducation nationale.
Entre le titre et les « bonnes feuilles » sorties dans la presse, votre livre semble sur le problème de la radicalisation à l’école. Or, à le lire, on s’aperçoit que les deux tiers sont une véritable ode aux enseignants et aux élèves présentés comme des « pépites » ?
C’est un livre sur 13 années d’exercice de principal de collège, dans des quartiers difficiles pour in fine parler d’un sujet que l’on n’a pas vu venir. Si je dis qu’il y a des dangers, je crois encore au système et ne jette pas l’anathème.
J’ai la conviction que le système éducatif fonctionne, peut-être par simple réflexe de survie pour des enseignants qui n’ont pas choisi d’être dans ces collèges difficiles et qui pour certains n’y sont pas préparés. Plus les élèves sont en difficulté, plus ils sont capables de violence. Mais dès qu’un prof fait preuve d’une forme d’empathie à leur égard, qu’il est capable d’assurer une sorte de one man show, cela peut bien se passer. J’ai vu des gens se donner à fond, porteur d’une conviction qu’ils ne portaient pas forcément en étendard mais qu’ils avaient au fond d’eux-mêmes, capables de bouger des montagnes… Donc, oui il faut être optimiste envers les profs.
Quant aux enfants, je suis convaincu que dans tout minot il y a quelque chose que l’on peut sortir. Mais à un moment, tout peut basculer. On a passé des heures à tenter de repérer celui qui pouvait basculer. Mais malgré ces heures, on n’a pas vu venir les barbus.
Vous parlez aussi du contexte, et de la radicalisation qui a d’autant plus prospéré que la première bataille, la bataille sociale contre la misère, a été ratée ?
Dans les années 2000/2005, dans les quartiers Nord où je travaillais, il y avait tout un tas d’associations, de centres sociaux…avec lesquels je collaborais mais que je n’ai pas retrouvé quand je suis arrivé au collège Versailles. Dans ce 3e arrondissement, tout proche du centre-ville, il n’y avait rien. Même pas un centre social avec lequel organiser une chose aussi simple que l’aide aux devoirs.
Au fur et à mesure que ce maillage social s’est délité, l’école s’est repliée sur elle-même. Avec le recul, on peut pointer le moment où la politique de la ville a décidé de ne plus agir dans le droit commun mais sur des projets. On n’a plus aidé l’école alors même qu’elle était parfois le seul réceptacle de problématiques sociales. Parallèlement, l’Éducation nationale s’est « débarrassée » du personnel « non enseignant » qui a pourtant autant d’importance que celui enseignant, n’en déplaise au système.
Sur la radicalisation, vous dites tout d’abord n’avoir rien vu venir ?
Avant de devenir principal de collège, j’ai travaillé au centre de documentation pédagogique où l’on faisait beaucoup de travail d’observation, se préoccupant d’illettrisme, de prévention… sans se rendre compte que les choses bougeaient. Des éléments auraient pourtant dû nous alerter mais il nous a fallu quatre ou cinq ans pour nous apercevoir qu’autour du collège une maman, puis deux, trois… se voilaient et que quand j’en interrogeais une, elle me disait que c’était pour « être tranquille ». Il a fallu qu’un père vienne me dire clairement que les gamins ne viendraient pas à la classe bilangue en arabe que je proposais parce que l’imam avait dit que « ce n’était pas le bon arabe, l’arabe de la religion ».
Dans ce livre, je ne donne pas de solution. Je témoigne car il faut se mobiliser. Pour soutenir les enseignants et au bout du compte, aider les gamins.
Vous faites état de refus concernant les repas, les cours de sport puis le contenu des enseignements en science, en littérature, en histoire et même de prosélytisme ?
On a de plus en plus d’élèves qui sont dans un système de prise en charge religieuse. Cela se constate facilement. En 2000, on ne compte qu’une poignée d’élèves qui refusent de manger du porc. En 2007, la demande de voir de la viande hallal à la cantine émerge au sein même du conseil d’administration où sont présents les parents. Tout cela, ce n’est pas un signe de radicalisation mais de montée du religieux. Côté enseignement, c’est monté avec les difficultés à enseigner la Shoah. Mais pour nous la ligne rouge était de voir un élève plutôt dans le moule finir par nous dire que la loi de l’homme est inférieure à la loi de dieu.
Globalement, on n’est passé d’une situation où le phénomène de croyance n’était pas une priorité et la religion plutôt une occasion de partage comme au moment de l’aïd, a un renfermement avec une cristallisation autour de la religion avec, à certains moments, des contestations même du système au nom du religieux.
Vous parlez ensuite de déni, et notamment de l’administration ?
Avec le recul, je comprends que dans un système hiérarchisé comme l’est l’éducation nationale, on attend que face à une difficulté, l’échelon supérieur trouve une solution. Or, quand j’ai interpellé ces supérieurs, cela a été le silence radio. L’institution n’avait pas les schémas pour répondre. Elle considérait que les problèmes resteraient marginaux et ne savait pas quoi dire. Aujourd’hui, cela a changé et les élèves qui ont refusé les minutes de silence après les attentats de Charly Hebdo ou du Bataclan ont immédiatement provoqué des réactions.
Quelles sont selon vous les raisons du déni ?
Elles viennent de plus loin que l’éducation nationale même si c’est une institution qui peut se révéler plus muette que la grande muette. Nous sommes dans une société où la sphère politique a été, sur cette question, dans le blocage ou dans l’exploitation outrancière. Dès lors, si on parlait, on craignait de donner du grain à moudre à l’extrême droite. On voit bien que la gauche a du mal à s’exprimer sur ce sujet, a peur de la récupération indécente que peut en faire l’extrême droite. Sans oublier les positions de l’extrême gauche qui défend les filles voilées au nom de la liberté. On est empêtré dans notre tapis de respect des libertés, de peur d’être taxé de raciste, de confusion entre race et religion et on n’est pas appareillé pour comprendre.
Angélique Schaller
Publié dans Education/la marseillaise
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Cette itw nuance peut-être quelque peu le propos. En revanche vous utilisez les réactions qui vous conviennent. Beaucoup de réactions ont pointé également l’inexactitude de votre propos (sans compter le fait qu’il n’y ait absolument aucune mise en perspective chronologique). D’aucuns n’ont pas hésité à dire que vous travestissiez la réalité pour mieux la faire rentrer dans vos idées. En somme pour vous, comme pour un certain nombre de personnes, le réel ne semble pas avoir lieu et vous versez allègrement dans ce qui semble être devenu la doxa des dominants: l’Islam est un arbre bien commode pour cacher la politique de domination des classes aisées.
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Je viens de terminer ce livre. Il interpelle et c’est déjà une grande qualité à une époque où il est de bon ton de se taire quand on occupe ou quand on a occupé des responsabilités telles que celles assumées par l’auteur de l’ouvrage. J’ai moi-même exercé les mêmes fonctions que M. Ravet, dans des établissements moins difficiles quant au public accueilli mais tout aussi complexes et je peux témoigner de l’inertie trop souvent constatée des autorités académiques lorsque des solutions étaient proposées par le collège pour améliorer un fonctionnement jugé trop imparfait . Pas de refus mais une absence de réponse qui signifiait bien débrouillez-vous. Quant aux rapports et aux bilans des expérimentations entreprises on se demandait bien souvent s’ils étaient seulement lus.En 30 années d’occupation d’un poste de personnel de direction dont 20 en qualité de chef d’établissement je n’ai jamais eu la visite d’un inspecteur venant s’intéresser au fonctionnement du collège.
Rémi BÉLET
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