Nous attendions la vague. Illusoire il y a quelques mois elle nous semblait monter inexorablement. Elle nous semblait capable d’envoyer en l’air leur volonté pour la France celle de la remettre en ordre ou en marche. Nous attendions la vague et nous voilà avec le vague à l’âme. Las, nous voilà désemparés face aux résultats qui sont sortis des urnes. Hier soir à 20h le couperet est tombé, la guillotine s’est abattue sur nos rêves lors de cette élection. Marine Le Pen face à Emmanuel Macron. Dans deux semaines, notre pays aura le choix entre le néolibéralisme le plus effréné et son excroissance monstrueuse qui est le nationalisme.
Dans deux semaines nous aurons le choix entre deux modèles de société, celui qui promeut la concurrence entre travailleurs devenus simple marchandise et celui qui défend la concurrence entre nations devenues prisons mentales. Finalement cette fois-ci les sondages ne se sont pas trompés. En effet ils disaient que le deuxième tour se déroulerait entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen et le résultat a été celui-là. Il nous faut, je crois, voir plus loin que le simple résultat de ce premier tour.
Le coup de massue
Ne nous mentons pas, ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, ce résultat fait mal. Il fait d’autant plus mal que nous y avons cru. Ce matin la tête est un peu douloureuse, les membres pâteux, le regard sans doute un peu vide. Comme ces lendemains de gueule de bois, ce lundi est morose pour nous. Après avoir touché du doigt une qualification historique au deuxième tour, après s’être senti presque invincible durant les dernières semaines de campagne tant la dynamique autour de L’Avenir en commun et de la France Insoumise était présente et grisante, nous voilà pareils au Christ dans le jardin des oliviers lorsqu’il est redevenu humain, profondément humain. Nous pensions pouvoir connaître une belle victoire ainsi que le suggérait la substitution du « Dégagez » au « Résistance » scandé dans les meetings.
La bouche pâteuse, le regard un peu vide mais la tête haute. L’échec est lourd, l’échec est douloureux, l’échec nous ramène sur Terre après avoir demeuré dans les cieux durant quelques jours au moins. Toutefois, je crois que, comme l’absurde que met en évidence Albert Camus dans Le Mythe de Sisyphe, cet échec n’est que le début du cheminement. Il est tentant de se complaire dans une forme de morosité après cet échec électoral mais il ne me semble pas que cette position soit la plus pertinente ni même la plus responsable. Il faut nous rappeler des vers de Rudyard Kipling dans Tu seras un homme, mon fils : « Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie / Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir, / Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties / Sans un geste et un soupir ;/ […] Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite / Et recevoir ces deux menteurs d’un même front, / Si tu peux conserver ton courage et ta tête / Quand tous les autres les perdront, / Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire / Seront à tout jamais tes esclaves soumis, / Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire / Tu seras un homme, mon fils ». Mes amis méditons ces quelques vers.
La bataille culturelle de retour
Ayant une approche assez gramscienne de la politique, je suis intimement persuadé que la bataille des idées est la mère de toutes les batailles. Je crois également que c’est en gagnant cette bataille des idées – celle que le néolibéralisme triomphant a remporté depuis des décennies, celle que nous avons oublié à gauche – que l’on peut faire réellement changer des choses. Beaucoup de personnes et de commentateurs médiatiques et politiques n’ont eu de cesse de nous dire à quel point la campagne avait été superficielle. Je ne suis pas d’accord avec cette analyse. La campagne de la France Insoumise a, selon moi, permis de réarmer la gauche intellectuellement et culturellement. La campagne présidentielle n’a pas été superficielle comme on nous le dit à longueur de temps.
Au contraire, il me semble que cette campagne a permis de mettre dans les débats des thèmes profondément de gauche, viscéralement de gauche. Alors que la campagne de 2012 avait beaucoup tourné autour des questions identitaires et de l’islam, la campagne de 2017 a mis dans les débats la question écologique, la question du modèle économique, la question sociale. Par-dessus tout, la campagne de la France Insoumise s’est articulée autour d’un thème central, celui de la rénovation de nos institutions. Qui aurait cru que la campagne présidentielle de notre pays se polariserait autour du changement de modèle politique ? Non, décidemment cette défaite électorale n’est pas qu’une défaite. Elle est également une formidable victoire intellectuelle de notre gauche, cette gauche de transformation radicale.
Un score magnifique
Jean-Luc Mélenchon et la France Insoumise ont donc obtenu plus de 19% des suffrages. Alors évidemment ce résultat ne nous a pas permis d’accéder au second tour et cet état de fait a de quoi susciter la désillusion et nous laisser désabusés. Néanmoins une fois la déception (légitime) passée, il convient de regagner sa lucidité et de regarder froidement ce qu’il s’est passé dans notre pays – quand bien même cela est très compliqué j’en conviens. Au cours de cette campagne, une formidable espérance s’est levée dans notre pays. Nous leur avons montré (durant la campagne et lors des résultats) qu’il n’y avait pas qu’une seule alternative au système de la globalisation financière et néolibérale qui nous régit depuis des décennies. Nous leur avons montré qu’il y avait une autre manière de faire de la politique, un autre rapport au monde qui existe. Non nous ne sommes pas condamnés à être broyés par cette mâchoire d’airain constituée d’une part par le néolibéralisme et d’autre part par le nationalisme.
Soyons honnêtes, qui parmi nous n’aurait pas signé il y a quelques mois si l’on nous avait dit que la gauche radicale serait autour de 19% au soir du premier tour. On nous promettait une marche triomphante du néolibéralisme vers le pouvoir. On nous disait que leur volonté pour la France, celle de la remettre en marche ne connaîtrait aucun obstacle. On nous disait que Juppé puis Fillon puis Macron connaîtraient une véritable promenade de santé. Le simple fait, qu’en haut lieu, ils aient eu terriblement peur ainsi que l’a montré le déchainement contre Jean-Luc Mélenchon au cours des dernières semaines est signifiant en lui-même. Ils ont eu peur parce qu’ils savaient et ils savent encore qu’une force s’est levée et que ce n’est pas le résultat d’hier soir qui la matera. En cinq années, en un quinquennat de reniement et de trahisons, nous avons gagné près de 8 points dans les suffrages exprimés. Je suis donc fondé à dire que malgré l’échec électoral, ce résultat est une formidable victoire, il ouvre une brèche qui nous entrainera, si nous savons être patients et déterminés, vers d’autres victoires plus belles encore.
Abolir le système présidentiel
Les résultats de dimanche soir confirment notre conviction, celle qui postule qu’il faut abolir cette monarchie présidentielle qui n’a plus aucun sens. Effectivement, les résultats sont très serrés et dans le système qui est le nôtre actuellement la guillotine tombe et tranche franchement et de manière relativement injuste les choses – j’aurai écrit exactement la même chose si Jean-Luc Mélenchon s’était qualifié de justesse. Pour résumer, à quelques pourcentages près, on se retrouve du bon ou du mauvais côté de telle sorte qu’un écart minime peut avoir des conséquences majeures. Les écarts lors de cette élection sont en effet assez faibles et ils ne font que confirmer la conviction qui est la mienne : paradoxalement, dans notre système politique le moment le moins démocratique est celui du vote.
Effectivement, le vote est le moment où vous pouvez du bon ou du mauvais côté de la barrière pour quelques pourcents. Le vote est le moment où la majorité s’impose à la minorité. Aujourd’hui les différences entre les quatre candidats arrivés en tête de ce premier tour ne sont pas si grandes dans les urnes et pourtant c’est entre simplement deux d’entre eux que les Français devront choisir. Le vainqueur possédera des prérogatives énormes tant le président a beaucoup de pouvoir dans notre système politique. A l’inverse, dans un système parlementaire les différences très modestes entre les candidats hier soir n’auraient pas donné un pouvoir très grand à l’un ou l’autre des candidats. Aussi est-il urgent de passer à mes yeux à un système parlementaire qui serait bien plus représentatifs des différentes forces en présence dans notre pays. La réalité de notre pays aujourd’hui c’est que quatre forces sont sensiblement aussi fortes mais que le système institutionnel nie cette composante.
Ce n’est que le début
Je suis de ceux qui pensent que les urnes ne sont jamais, absolument jamais, suffisantes. En 1936, en 1968 ou en 1981 ce sont des mobilisations populaires qui ont permis d’arracher des conquêtes sociales qui n’étaient, pour beaucoup, inscrites dans aucun programme. C’est pour ça que ces résultats ne sont ni la fin, ni le début de la fin, ni même la fin du début. Je crois plutôt que tout commence ce soir (j’aurai écrit la même chose peu importe les résultats). La campagne de la France Insoumise a montré qu’il existait une magnifique force citoyenne dans notre pays, rien ni personne ne pourra nous enlever cela. Depuis plus d’un an et la lutte contre la loi travail, les Français ont montré qu’ils étaient en train de se réapproprier la notion même de politique, cette notion qui avait été préemptée par la caste politicienne au pouvoir. La politique, au sens noble du terme, c’est la vie de la Cité. Nous en faisons tous au quotidien. Les Français sont engagés par millions dans des associations ou agissent à leur propre échelle.
Cette campagne présidentielle aura fait sortir le génie citoyen de sa lampe et il sera bien difficile de l’y faire entrer à nouveau dans cette lampe. Ainsi que l’exprimait très bien le 1er tour social de samedi à Paris notamment, notre agenda n’est pas celui des politiciens et de la caste politicienne. Evidemment la lutte va reprendre pour les législatives car, peu importe qui l’emporte au second tour, il n’est absolument pas évident que la ou le vainqueur aura une majorité à l’Assemblée. Mais la démocratie ne s’arrête pas au vote, loin de là. Quoiqu’il arrive le 7 mai, quoiqu’il arrive les 11 et 18 juin prochain il va falloir compter avec nous, citoyens, qui débordons de détermination et qui rêvons de réellement renouveler les pratiques politiques dans notre pays. Ils pensent sans doute nous avoir mis plus bas que terre mais nous ne leur laisserons pas cette joie.
Voilà les quelques réflexions qui me sont venues à l’esprit après 20h et les résultats de ce premier tour. Aujourd’hui – comme lorsque j’ai fait le choix de voter pour Jean-Luc Mélenchon – je pense à Camus. Dans Le Mythe de Sisyphe, le philosophe écrit que « l’absurde naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde ». Plus loin dans le même livre il ajoute : « Il arrive que les décors s’écroulent. Lever, tramway, quatre heures de bureau ou d’usine, repas, tramway, quatre heures de travail, repas, sommeil et lundi mardi mercredi jeudi vendredi et samedi sur le même rythme, cette route se suit aisément la plupart du temps. Un jour seulement, le « pourquoi » s’élève et tout commence dans cette lassitude teintée d’étonnement. « Commence », ceci est important ». Hier soir nos décors se sont écroulés momentanément. Dans sa philosophie, de l’absurde naît la révolte et, pastichant Descartes, il affirme dans L’Homme révolté, « je me révolte donc nous sommes ». Mes amis il est grand temps de faire fructifier la révolte qui est la nôtre. En attendant à tous ceux qui ont l’intention de ne pas aller voter dans deux semaines, je leur souhaite bon courage tant l’atmosphère sera pesante. « Tu ne votes pas Macron ? Donc tu fais le jeu du FN », préparez-vous à entendre cette antienne pendant deux semaines. Quant à moi, pareil au Candide de Voltaire, je cultiverai mon jardin pendant deux semaines et dimanche 7 mai.
Sans les « repris de justesse » par cette élection, c’est E M et la France Insoumise qui ressortent du premier tour. Lepen et Fillon, s’ils étaient condamnés, seraient inéligibles, Ils le seraient depuis la date de la mise en examen, rétroactivement! Alors exigeons avant tout 2ème tour de connaître les résultats de la justice ! Thierry
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Je suis plus partagé personnellement. Oui il y a du vrai dans ce que tu dis, il y a eu un rassemblement autour de Mélenchon et c’est positif au vue des idées représentées, en France du moins, pour la politique étrangère c’est peut-être plus discutable.
Cependant je ne sais pas si on peut parler de FI comme étant une « gauche radicale ». Déjà parce que Mélenchon n’avait pas prétention à abolir le capital. Il voulait engager un rapport de force et éventuellement laisser des institutions qui auraient pu être reprises dans ce sens là. Je dirais que y a un côté suggestif dans l’opposition au capital qui n’est pas assez franc pour être « radical » justement. Puis il faut aussi regarder les résultats du capital sous toutes ses formes : nationaliste, conservateur et pragmatique. Sachant que l’un d’entre eux, le FN, comme dit Lordon, est le monstre qui peut faire subsister le capitalisme conservateur/pragmatique avec l’éternelle menace FN et le front républicain.
Le capitalisme conservateur a prit un gros coup dans la gueule durant la campagne. Et pourtant… Fillon est troisième et celui qui y a gagné c’est probablement Macron, nouveau visage de l’alternance et du capitalisme. Le capital place dans les trois premiers ses deux représentants et son monstre. On pourrait dire que c’était serré avec Mélenchon, une vraie course à quatre. J’ai du mal à le voir comme ça. Sans les affaires, ça n’est que de la spéculation mais je pense que Fillon aurait pu faire un gros score. J’ai l’impression que le capital en a encore sous la pédale. Il se pourrait bien qu’une fois que Macron passe (ce qui est probable), cela fasse monter le FN. Mais pour quelle réponse en face ? FI s’est construit autour d’un homme fort. Perso je crois pas en ce mouvement sans son leader, quoiqu’en dise certains militants. A côté la gauche anti-capitaliste a eu un peu d’audience mais a plus servie de curiosité sociale que de réel mouvement, sans rien enlever à Poutou par exemple. Parce que LO a juste montré une fois de plus qu’ils sont bloqués dans une lutte sectaire et purement économique.
La culture a prit cher aussi. Mélenchon en parle mais y a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Les autres j’en parle même pas. Pour moi cette campagne était aussi placé sous le signe du repli, du nationalisme (et Mélenchon a sa part de responsabilités là-dedans, il s’est adapté « à la demande ») et de la problématique économique pure. J’ai l’impression que la nouvelle mode est au capitalisme replié socialement et ouvert économiquement, comme la Suisse par exemple (ça m’étonnerait pas que le doc’ de F2 sur la Suisse ait fait du dégât d’ailleurs). Puis faut pas oublier les résultats des autres. NDA et Lassalle, ça confirme un peu cette volonté de mélange entre libéralisme et tradition, comme en témoigne les trois premiers. Ils sont pourtant dans des camps bien éclatés et ça ne les a pas empêchés de devancer confortablement (mit bout à bout, pas individuellement) la gauche. On a tendance à dire que la gauche est divisée : Mélenchon, le PS (qui en vrai n’est pas de gauche), le NPA, LO… Mine de rien, était-elle aussi divisée que la droite ? Le Pen, Fillon, NDA, Lassalle et on peut même ajouter En Marche ! au fond. Même si Macron et Le Pen c’est pas la même chose, ils représentent tous les deux des formes de dominations (capital et nationalisme) bien ancrées en France. Et elles restent très fortes malgré le bordel autour de Fillon, malgré Hollande, malgré la misère humaine. Pour le coup je vais citer à nouveau l’optimiste qu’est Lordon : certains grecs dans Syriza ne voulaient pas la sortie de l’Euro par peur d’être des cobayes de cette mesure. C’est dire jusqu’où va la peur chez eux. Là j’ai eu la même impression. En France la peur et la haine de l’étranger ou d’une alternative économique qui sort du cadre sont tellement fortes, que la réaction ne s’est pas faite attendre dans les urnes. Ca prouve aussi la puissance des médias. Le front républicain, la popularité supposée, les sondages, tout ça c’est la construction médiatique de Macron et ça a marché à merveille. Du ministre quidam dont on parle pour une affaire de costards à une escroquerie présentée comme « alternative présidentiable » par toutes les chaines tant critiquées, il n’y a eu besoin que de quelques mois pour y arriver. Sur les réseaux sociaux ou dans la rue, tout le monde crache sur BFMTV, CNews et j’en passe. Je constate pourtant que leur cadre, leur représentation des choses dans leurs débats ou leurs infos, sont respectés à la perfection. Il y a eu un moment de frayeur où Mélenchon en a prit plein la gueule, mais plus de peur que de mal pour eux, j’ai envie de dire. Ca n’a pas empêché l’escroc Fillon de rassembler un nombre considérable d’électeurs ni Macron de poursuivre l’escroquerie du système avec Le Pen comme adversaire utile. L’absurdité idéologique qui règne dans ce pays s’est manifestée hier soir : le capitalisme nationaliste comme alternative au capitalisme mondialisé qui devient de plus en plus conservateur, comme l’a montré le PS. Comme tu le dis si souvent dans tes papiers : que tout change pour que rien ne change. Les urnes ne sont pas tout, oui, c’est certain. Mais elles expriment aussi l’opinion de gens qu’on croise tous les jours dans la rue et qui sont plus conservateurs qu’ils ne voudraient le croire, apparemment. Le conservatisme a fait un score énorme face au progressisme, c’est comme ça que je le vois aussi.
Tout ça pour dire que c’est comme ça que je l’ai ressenti et que malgré l’absence de surprise, ça ne m’a pas empêché de voir ça du mauvais côté. (Désolé, fallait que ça sorte haha)
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C’est une analyse qui se défend aussi et à vrai dire je ne crois pas que nos deux visions sont antinomiques. Il y a encore eu beaucouo d’abstention sans compter les non-inscrits. Je reste intimement persuadé qu’on peut faire bouger les choses dans les années qui viennent à condition d’être patient, déterminé et de savoir se réinventer.
Forza
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