Mardi, le candidat d’En Marche a expliqué qu’il ferait des propositions en matière d’économie avant la mi-mars et la publication de son projet. Macron a repoussé à de nombreuses reprises la publication d’un programme – en se contentant de publier un livre notamment. Il n’a eu de cesse de répéter de grands principes un peu flous depuis son entrée en campagne si bien que certains de ses meetings se vident avant même la fin de ses discours puisqu’il se contente de répéter les mêmes choses à longueur de discours. Après avoir parlé de vision pour la France en lieu et place de programme, le voilà qui désormais nous promet qu’il présentera avant l’élection présidentielle un « contrat avec la nation » et non pas des mesures claires.
Contrat, arrêtons-nous sur ce terme. Il me semble en effet que les mots ont un sens et qu’à force de l’oublier nous avons vu se diffuser une forme de non-pensée très orwellienne dans notre société. Emmanuel Macron ne présentera pas un programme mais donc un « contrat » un peu comme s’il s’agissait de passer un entretien d’embauche pour devenir PDG de l’entreprise France. Ce terme – qui est une nouvelle pirouette et un coup de communication – en dit très long à mes yeux sur ce le symbole que représente Macron. Il est en effet le symbole de cette idéologie gestionnaire que Vincent de Gauléjac a mis en évidence dans La Société malade de la gestion.
Au-delà de Macron
Qu’est-ce qu’un symbole sinon une chose qui renvoie à autre chose qu’à elle-même ? Emmanuel Macron me semble parfaitement correspondre à cette définition puisqu’il renvoie bel et bien à autre chose qu’à sa seule personne – ainsi qu’il l’affirme lui-même. Qu’est-ce donc que l’idéologie gestionnaire ? Théorisée par Vincent de Gauléjac, elle met en évidence le fait que la gestion managériale a envahi non seulement la sphère politique mais aussi nos vies privées (on gère sa carrière, sa famille, ses compétences, etc). L’expression de « contrat avec la nation » utilisée par Macron pourrait n’être qu’un énième coup marketing et pourtant je crois au contraire qu’une telle expression est profondément révélatrice.
En somme, si l’on suit la logique de Macron il faudrait une sorte de super manager à la tête de la France. Le candidat d’En Marche ne souhaite plus simplement le primat de l’économie sur le politique – ce qui est déjà le cas – mais que le politique coïncide avec l’économique et que l’on gère le pays comme une grande entreprise. Le changement ne se fera pas sans coûts nous disent en substance les marcheurs. Selon eux, il faut donc passer par pertes et profits pour faire advenir leur paradis. Ils semblent oublier que les coûts dont ils parlent, ce sont des vies humaines et des familles brisées. Leur secrète ambition, c’est le remplacement du lien par le bien, du citoyen par le consommateur et du politique par le manager. En somme, Emmanuel Macron et ses partisans donnent raison à Mitterrand, lui qui disait qu’après lui il n’y aurait plus que des comptables et des gestionnaires.
Le produit du système qui se voulait antisystème
Etymologiquement, le mot symbole dérive du grec ancien symbolon qui signifiait « mettre ensemble ». Dans la Grèce Antique le symbole était un morceau de poterie que deux cocontractants partageaient afin de se reconnaître à l’avenir. Là encore Macron répond pleinement à cette définition ainsi qu’il le défend depuis son entrée en campagne avec son positionnement ni de droite ni de gauche afin d’agglomérer autour de sa candidature les vainqueurs de la mondialisation dans une espèce de grand centre néolibéral mou d’apparence mais très violent dans ses conséquences. Voilà donc Macron soutenu à la fois par Alain Minc, Bernard Kouchner et Pierre Bergé.
Il est aujourd’hui clair que Macron est le candidat des médias (de leurs propriétaires mais aussi des éditorialistes en vue dans le pays). Il faut dire que Macron représente tout ce qu’ils idolâtrent : un néolibéralisme sans prétention sociale afin que les privilèges restent du bon côté du périphérique et sans pulsion identitaire comme du côté de Fillon. Tous les médias dominants et les spécialistes qui pavoisent à la télé nous expliquent que ce dépassement des clivages est une évolution pour la démocratie. Je crois, au contraire, comme Chantal Mouffe le défend dans L’Illusion du consensus, que ce changement est une profonde régression démocratique. Quand les débats ne portent plus sur la politique à mener mais se placent sur un plan moral alors les adversaires se transforment en ennemis et c’est la démocratie qui est perdante.
Nous le voyons donc, Macron aura beau répéter à longueur de journée qu’il représente une forme nouvelle de faire de la politique il demeurera le candidat de l’oligarchie politico-médiatique en place depuis plus de trente ans dans notre pays. Nous avons vu où toutes leurs recettes nous avaient conduits : un monde où les riches sont toujours plus riches et les pauvres toujours plus nombreux, un monde qui court à sa perte car il ne veut pas prendre en compte la question fondamentale de l’écologie, un monde qui fait souffrir toujours les mêmes pour rassasier une infime minorité de possédants. Le fait que l’oligarchie de Bercy et du Medef envoie un représentant des siens en première ligne est aussi révélateur à mon sens. Ne serait-ce pas le signe d’une forme d’affolement ou de panique dans ces milieux-là ? Comme souvent, tout est question de perspective. Emmanuel Macron est pleinement le candidat des grandes écoles de commerce – même s’il séduit au-delà de ce cercle – et ses multiples bouffonneries et autres coups marketing le renvoie inlassablement à cette image. La campagne d’Emmanuel Macron, pour le moment, c’est finalement une présentation powerpoint en cours d’école de commerce : coup de com et expression qui claque mais rien de concret.