« Un choix très clair se présente désormais à nous et à vous mes chers compatriotes, le choix entre la défaite assurée et la victoire possible, le choix entre des promesses irréalisables et infinançables (sic) et une gauche crédible qui assume les responsabilités du pays ». Dimanche soir, dès sa première prise de parole après l’annonce des résultats, Manuel Valls a tapé fort et posé le décor de cette campagne pour le deuxième tour des primaires socialistes. Après avoir louvoyé durant toute la campagne et après s’être posé en grand rassembleur alors qu’il n’a eu de cesse de diviser durant toute sa carrière politique, voilà l’ancien Premier ministre redevenu pleinement lui-même, l’homme des gauches irréconciliables.
Dimanche prochain, nous expliquent Manuel Valls, son équipe et l’ensemble des éditorialistes en vue de notre pays, il faudra choisir entre l’utopie et le Réel. Voilà donc l’antienne prononcée à nouveau, Benoît Hamon défendrait un programme irréaliste et Valls aussi bien que les éditorialistes se sont empressés de lui faire un procès en irréalisme. Ils n’ont que ce terme à la bouche, le Réel, martelé à toutes les sauces pour montrer qu’eux sont bien en phase avec la réalité alors même que leur Réel se coupe de toute réalité. Dimanche je ne suis pas allé voter. Dimanche prochain je n’irai pas voter non plus. C’est donc de manière un peu éloignée que j’observe cette primaire socialiste mais la mise en branle du Parti du Réel depuis dimanche soir dépasse, il me semble, le cadre de la seule primaire de la Belle Alliance Populaire.
Attention chiens méchants
Dimanche soir, nous avons assisté à un véritable florilège de morgue crasse et de condescendance assumée de la part de tous les éditorialistes importants de ce pays. Ainsi que l’a très bien montré Buzzfeed, lesdits éditorialistes se sont succédés sur les plateaux télé (principalement sur BFM TV et France 2 qui organisaient une soirée spéciale) pour littéralement cracher à la figure de Benoît Hamon en expliquant qu’il était complètement naïf et utopiste en regard d’un Manuel Valls présenté comme la gauche hyper-réaliste (la gauche de droite en somme). A la manière des pancartes placées à l’entrée de certaines propriétés et indiquant la présence de molosses menaçants, peut-être faudrait-il placer une pastille lors de la présence de ces éditorialistes indiquant « attention chiens de garde méchants ».
La plus odieuse dans cet exercice est sans conteste notre chère Ruth Elkrief qui s’est littéralement indignée du fait que Benoît Hamon était arrivé en tête en dépit du fait qu’il ne place ni l’identité ni le terrorisme au cœur de son programme et de ses discours contrairement à son chouchou Valls. N’hésitant pas à dire que les électeurs avaient fait n’importe quoi, qu’il fallait qu’ils donnent leurs suffrages à Manuel Valls parce que lui, au contraire de Hamon, regardait la réalité en face, Madame Elkrief semble avoir oublié qu’en démocratie c’est les électeurs qui décident et non pas les éditorialistes ou les journalistes les plus en vue du pays. D’ailleurs, l’un des grands bienfaits de la candidature de Benoît Hamon est précisément le fait que l’on ait parlé d’autres choses que de terrorisme et d’identité durant la campagne. C’est une réelle détestation qui a été mise à jour dimanche soir et, toutes proportions gardées, celle-ci rappelle comment Bernie Sanders avait été attaqué de toutes parts durant la primaire démocrate il y a quelques mois.
Leur Réel idyllique, notre réalité épouvantable
Au-delà des éditorialistes, nombreux sont les politiciennes et politiciens à se revendiquer du Réel. Il est d’ailleurs assez drôle de constater que les tenants du Réel sont aussi ceux de la Réforme qui nous expliquent qu’il faut casser les archaïsmes utopiques encore trop présents à leurs yeux dans notre société. Les tenants du Réel nous expliquent donc qu’il faut pratiquer des politiques de rigueur, donner de l’argent public aux entreprises, mettre des policiers à tous les coins de rue, accepter de rogner nos libertés pour défendre notre sécurité et la liste n’est pas exhaustive. Là où le Parti du Réel est le plus pervers c’est qu’il nous explique que ce Réel est parfaitement idyllique et qu’on ne peut pas mieux vivre sur cette planète que sous son joug. On peut, à ce titre, reconnaître à François Fillon de ne pas se cacher et de ne pas raconter de salades, il assume en partie le fait que son programme sera violent pour les petites gens.
En regard de leur Réel idyllique, nous vivons pourtant une réalité épouvantable, une réalité que les partisans du Réel mettent sciemment de côté car, finalement, elle les dérange. La réalité de notre pays c’est que depuis des décennies le Parti du Réel détient le pouvoir et applique ses politiques. Pour quelle réalité ? Des inégalités toujours croissantes, un pacte républicain déchiré puisque l’école n’est plus vectrice d’égalité mais bien de discriminations, des personnes qui meurent dans la rue tout au long de l’année, des entreprises gavées d’argent public et qui en profitent pour augmenter les dividendes de leurs actionnaires, une crise climatique globale due au productivisme forcené, des famines en Afrique en raison de l’agriculture intensive. Voilà ce que leur immonde Réel a créé et malgré tout cela c’est encore nous qui sommes traités d’utopistes simplement parce que nous pointons les failles béantes d’un système qui profite à quelques-uns et qui coûte cher à quasiment tous. Finalement, leur Réel, s’il n’est assurément pas utopique ou idyllique, est une dystopie odieuse.
Ils défendent le Réel comme un almanach qui leur confère tout le pouvoir et finalement c’est vrai. Echinons nous à montrer que leur Réel crée une réalité immonde où les inégalités et les haines ne font que s’accroître. Il n’est pas encore trop tard mais l’urgence devient chaque jour plus grande. Arrêtons de sacrifier l’essentiel à l’urgence et occupons-nous de l’urgence de l’essentiel comme l’a si brillamment écrit Edgar Morin. Dans Les Misérables, Victor Hugo établissait une dichotomie qui reste plus que jamais d’actualité :
« En 1793, selon que l’idée qui flottait était bonne ou mauvaise, selon que c’était le jour du fanatisme ou de l’enthousiasme, il partait du faubourg Saint-Antoine tantôt des légions sauvages, tantôt des bandes héroïques.
Sauvages. Expliquons-nous sur ce mot. Ces hommes hérissés qui, dans les jours génésiaques du chaos révolutionnaire, déguenillés, hurlants, farouches, le casse-tête levé, la pique haute, se ruaient sur le vieux Paris bouleversé, que voulaient-ils ? Ils voulaient la fin des oppressions, la fin des tyrannies, la fin du glaive, le travail pour l’homme, l’instruction pour l’enfant, la douceur sociale pour la femme, la liberté, l’égalité, la fraternité, le pain pour tous, l’idée pour tous, l’édénisation du monde, le Progrès ; et cette chose sainte, bonne et douce, le progrès, poussés à bout, hors d’eux-mêmes, ils la réclamaient terribles, demi-nus, la massue au poing, le rugissement à la bouche. C’étaient les sauvages, oui ; mais les sauvages de la civilisation.
Ils proclamaient avec furie le droit ; ils voulaient, fût-ce par le tremblement et l’épouvante, forcer le genre humain au paradis. Ils semblaient des barbares et ils étaient des sauveurs. Ils réclamaient la lumière avec le masque de la nuit.
En regard de ces hommes, farouches, nous en convenons, et effrayants, mais farouches et effrayants pour le bien, il y a d’autres hommes, souriants, brodés, dorés, enrubannés, constellés, en bas de soie, en plumes blanches, en gants jaunes, en souliers vernis, qui, accoudés à une table de velours au coin d’une cheminée de marbre, insistent doucement pour le maintien et la conservation du passé, du moyen-âge, du droit divin, du fanatisme, de l’ignorance, de l’esclavage, de la peine de mort, de la guerre, glorifiant à demi-voix et avec politesse le sabre, le bûcher et l’échafaud. Quant à nous, si nous étions forcés à l’option entre les barbares de la civilisation et les civilisés de la barbarie, nous choisirions les barbares ». Entre leur Réel et la réalité, choisissons aujourd’hui de changer la réalité. Il est grand temps de construire un autre monde et d’œuvrer tel John le Sauvage dans Le Meilleur des mondes à démontrer que leur monde n’est qu’ineptie et inégalités.