Pourquoi une légalisation hâtive du cannabis serait absurde

150 personnalités marseillaises, dont des représentants politiques tels que Patrick Mennucci ou Marie-Arlette Carlotti, ont publié le 8 janvier dernier une tribune plaidant pour une « légalisation contrôlée du cannabis ». Affirmant que « Marseille souffr[ait] des dommages causés par la prohibition du cannabis » les signataires de cet appel ont affirmé qu’il « [était] temps d’agir ». En publiant cette tribune, les signataires faisaient le vœu que le débat sur la légalisation du cannabis soit ouvert au cours de la campagne à venir. Leur vœu semble avoir été entendu puisque lors du deuxième débat de la primaire de la Belle Alliance Populaire, les différents candidats ont été appelés à se positionner sur ce sujet.

Des quatre candidats socialistes, seul Manuel Valls s’est prononcé fermement contre la légalisation arguant que c’était mettre en péril l’autorité de l’Etat. A l’inverse Benoît Hamon – qui a inscrit ladite légalisation dans son programme et qui est arrivé en tête hier soir – Vincent Peillon et Arnaud Montebourg semblaient, eux plus ouverts à une telle proposition. Il me semble pourtant qu’une légalisation hâtive qui ne tiendrait pas compte des réalités de terrain serait absurde au sens que donnait Albert Camus à ce terme. « L’absurde, écrit-il dans Le Mythe de Sisyphe naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde ». Dans sa conception, l’absurde réside avant tout d’un divorce. Aucune chose n’est absurde en elle-même, c’est précisément la confrontation entre deux éléments qui peut aboutir au sentiment d’absurdité. Je crois précisément que la légalisation hâtive du cannabis répond à cette logique : ce n’est pas la légalisation en elle-même qui est absurde mais précisément une légalisation trop rapide et sans analyse de la situation.

 

Quoi faire de la manne financière ?

 

Dans le modèle de légalisation défendu par les signataires de la tribune ou par Benoît Hamon, c’est l’Etat qui pilote et enclenche ladite légalisation. L’idée est sans doute de s’inspirer de ce qui se fait aux Pays-Bas. Une telle démarche aurait pour but de faire tomber les trafics en même temps qu’elle rapporterait une manne financière considérable à l’Etat par le biais notamment des taxes récoltées. Toute la difficulté réside précisément dans la manière de gérer cette manne financière conséquente (certains évoquent un gain de plusieurs milliards d’euro annuels) et plusieurs conceptions s’opposent : certains souhaiteraient que l’argent ainsi récoltés alimentent les campagnes de prévention contre toutes les addictions tandis que d’autres préfèrent allouer ses ressources au budget médical.

Dans ces deux logiques, c’est finalement une approche rationaliste des choses qui s’appliquent : l’Etat légalise et encadre la vente de cannabis afin de mieux lutter contre la consommation toujours plus grande en France des produits stupéfiants. Cette approche est cohérente, il ne s’agit pas de le nier. Toutefois je crois qu’elle n’est pas la plus pertinente parce qu’elle oublie de penser le développement économique des zones urbaines ou péri-urbaines qui vivaient anciennement en partie des trafics de stupéfiants. Je pense au contraire que la manne financière ainsi dégagée devrait être exclusivement allouée au soutien et au développement des quartiers où régnaient les trafics de stupéfiants, sous peine de se contenter de déplacer le problème vers une autre forme de criminalité et de trafic.

 

Les trafics de stupéfiants, véritable économie parallèle

 

Il faut, en effet, bien comprendre que l’on ne pourra éradiquer pour de bon la criminalité sans proposer des débouchés économiques à ces quartiers oubliés de la République où les taux de chômage et de pauvreté sont bien plus élevés que dans le reste du pays. On peut – c’est le droit de chacun – se mettre un voile pudique devant les yeux, dire et se dire que les trafics de stupéfiants ne concernent qu’une infime minorité de trafiquants qui imposent leur joug à l’ensemble de la population des quartiers populaires. C’est, il me semble, la solution de facilité et certainement pas la manière de lutter contre lesdits trafics. On peut aussi – c’est plus compliqué j’en conviens – tenter de regarder la réalité en face et constater que les trafics de stupéfiants structurent aujourd’hui la vie économique et sociale de ces quartiers, qu’ils sont devenus le moyen de vivre, ou plutôt de survivre, pour beaucoup de familles.

Dans la Grèce antique, l’économie (« oikonomia ») signifiait la gestion de la maison, du foyer. Peut-être faut-il voir dans ses quartiers populaires un foyer gigantesque symbolique et bien souvent, les trafics de drogue jouent le rôle d’économie parallèle au sens de gestion du foyer. Là où l’Etat a déserté, les trafics pallient ses carences. Je suis né et j’ai grandi à Marseille, la ville que l’on associe dans l’inconscient collectif français aux trafics de drogue, et il est aujourd’hui clair que dans de nombreuses cités des quartiers nord, les trafics de stupéfiants ne profitent pas simplement à une minorité de personnes mais permettent à bien des foyers de compléter les fins de mois. Dans les mois suivant les opérations policières de grandes ampleur – ces fameuses interventions télévisées faites pour montrer que l’ordre règne bien – on constate une explosion des impayés, preuve que les trafics structurent bel et bien l’économie de ces quartiers et constituent une forme de soupape qui prévient l’éclatement de révoltes sociales.

 

Nous l’avons bien vu, une légalisation hâtive du cannabis, loin d’être une solution miracle face aux trafics de stupéfiants, ne ferait que reporter le problème de fond sur d’autres phénomènes. Sans analyse profonde des mécanismes qui expliquent l’importance structurelle des trafics dans l’économie des quartiers populaires, sans véritable plan ambitieux de développement économique et social qui permettrait un franc recul de la pauvreté et du chômage dans ces zones urbaines déclassées, sans volontarisme étatique puissant qui s’attaquerait aux racines du mal qui ronge les quartiers populaires depuis bien trop longtemps, une légalisation du cannabis ne reviendrait qu’à casser le thermomètre pour dire que l’on n’a plus la fièvre. Nous le voyons bien, il ne s’agit ni d’avoir un aveuglement hypocrite sur les trafics de stupéfiants ni de chercher à tout prix à maintenir l’autorité de l’Etat comme l’explique Manuel Valls. Au contraire, une telle démarche ne peut se résumer à des rodomontades sécuritaires ou à l’apport de solutions simplistes. Il nous faut, je crois, nous réconcilier avec la complexité tout en acceptant de prendre le temps de la réflexion sous peine de renforcer les problèmes. En somme, avant d’éteindre les trafics de stupéfiants il importe de rallumer les étoiles dans ces quartiers où une nuit noire et menaçante s’est faite depuis des décennies.

Un commentaire sur “Pourquoi une légalisation hâtive du cannabis serait absurde

  1. avant le cannabis il faut ouvrir la porte des instances représentatives et du pouvoir aux individus de ces quartier afin qu’ils apportent leur expériences sur la chose et d’autres domaines aussi : carence de logement, amélioration du cadre de vie, partage du temps de travail ( avec la robotisation et l’informatique, il y a longtemps que nous devrions être au 30h00 hebdo…) mais je pense que la guerre civile arrivera bien avant les bonnes volontés, c’est ce qui arrive un peu partout sur la planète…
    mettre sa vie à lutter contre l’injustice chez moi ça s’appelle : le Jihad !!!
    mais ce mot a été détourné par les académiciens comme à leur habitudes…

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