Eclipsé depuis par la sortie du livre Un président ne devrait pas dire ça et par le débat de la primaire de droite et du centre, le sauvetage de l’usine Alstom de Belfort avait pourtant fait couler beaucoup d’encre il y a quelques semaines. L’annonce de la fermeture du site par Alstom avait consterné, le plan de sauvetage mis en place par l’Etat a été vertement critiqué. Accusé de sauver le site pour des raisons électoralistes, l’exécutif était bien en peine d’expliquer le pourquoi de sa stratégie quant au sauvetage de ce site. L’opposition s’est, en effet, déchainée après l’annonce du plan de sauvetage de 500 Millions d’€.
Dilapidation d’argent public pour les uns, absence de vision à long terme pour les autres, la décision a trouvé bien peu de défenseurs. Bizarrement, personne ne s’est soucié du sort des Alsthommes qui allaient rapidement se trouver sur le carreau si rien n’avait été fait. Cela est bien symptomatique d’une époque où l’hégémonie néolibérale se fait de plus en plus grande où l’on ne parle que de déficits publics, de résultats électoralistes et de dépenses publiques. En revanche, rien n’a été dit sur la dilapidation d’argent public, bien réelle elle, qu’a été le CICE ou l’absence de vision industrielle dans ce pays. En somme, nous voilà encore une fois face au vieux proverbe de la paille et de la poutre.
La vision absente
Soyons clairs d’entrée, le plan de sauvetage du site de Belfort est mauvais à mes yeux. Non pas parce qu’il serait intolérable de dépenser de l’argent public mais bien plus parce que la solution trouvée n’est pas pérenne. Commander des rames de TGV pour rouler sur des lignes Intercités ne règle en rien le problème de fond et prête le flanc à toutes les critiques. En revanche il permet de sauver des centaines d’emplois pour quelques temps et cela est une bonne chose. Toutefois, les difficultés sur le site de Belfort me semblent être symptomatiques de l’absence de vision industrielle de notre pays, chose dramatique selon moi. Entre un Parti socialiste qui a abandonné les ouvriers depuis la fameuse lettre de Terra Nova et le parti Les Républicains qui pousse chaque jour plus loin dans sa frénésie néolibérale financiarisée, notre pays semble avoir fait le deuil de son industrie. Quand l’Etat est actionnaire à près de 25% d’une entreprise et qu’il découvre les difficultés d’un site au dernier, cela relève au moins de la faute de gestion il me semble et Emmanuel Macron est hautement responsable de cet état de fait bien qu’il essaye de s’absoudre de toutes responsabilités.
Cette absence de vision industrielle ne concerne pas qu’Alstom mais bien toute l’industrie française. Des chantiers navals de Saint-Nazaire à la prise de participation d’un acteur chinois dans Peugeot, de la prise de pouvoir dans la filière nucléaire d’Alstom par GE à la cession de l’aéroport de Toulouse Blagnac à un consortium chinois, des arrangements entre EDF et des groupes divers sur l’EPR d’Hinkley Point à la situation de Rhodia, la France ne semble avoir aucune vision de long terme sur la question industrielle. A trop vouloir devenir un pays de service, nos dirigeants semblent avoir oublié que les services s’appuient sur l’industrie. Aussi longtemps que nous laisserons notre industrie subir une curée mondiale, tous les plans de sauvetage pourront être mis en place, notre tissu industriel sera dépecé lentement mais surement. Il est d’ailleurs assez révélateur de constater que le Ministère du redressement productif est rapidement redevenu un Ministère de l’économie tout ce qu’il y a de plus classique. Sur cette question également, l’adversaire ne semble pas être la finance mais bien les ouvriers.
Silence radio sur le CICE
L’opposition, si rapide à critiquer ce sauvetage onéreux au prétexte de la dilapidation d’argent public, reste étonnamment silencieuse sur le CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi). En réalité, elle fait même plus que rester silencieuse puisque la plupart des candidats à la primaire de droite et du centre propose d’accentuer encore la logique mise en place par François Hollande dans leur frénésie néolibérale. Baisse des charges compensées par une hausse de la TVA figure dans tous les programmes, ou presque, des candidats. Pourtant, si le problème de la dilapidation d’argent public était réellement au cœur des préoccupations de nos chers dirigeants, il y a fort à parier qu’ils ne voudraient pas accentuer une logique qui a montré son inefficacité en même temps que son coût abyssal pour l’Etat. Un récent rapport de France stratégie (qui est peu susceptible d’être noyauté par de dangereux gauchistes) a montré que le CICE et toute la politique de l’offre menée par l’exécutif actuel n’avait pas créé d’emplois alors qu’elle a couté plusieurs dizaines de milliards d’euros à l’Etat et donc aux contribuables.
Ah qu’il est aisé de critiquer un sauvetage en criant à la dilapidation des ressources. Il est bien plus compliqué de reconnaitre que ce que l’on préconise a déjà été mis en place et a échoué sur toute la ligne. De Hollande à Sarkozy, de Valls à Le Maire, de Macron à Juppé, tous les tenants d’un néolibéralisme, plus ou moins dur, sont prompts à défendre une politique de l’offre qui casse les services publics sans créer le moindre emploi. Il est peut-être temps de leur montrer la poutre dans leur œil à eux qui sont toujours enclins à nous bassiner avec la paille dans le nôtre. Il est grand temps de retourner leurs termes favoris contre eux. Leur réalisme qui se coupe de toutes les réalités, leur pragmatisme qui ne fait qu’échouer nous en avons assez mangé et l’heure de nous-mêmes est venue. Valls veut rassembler toute la gauche derrière lui, n’ayant peur ni du ridicule ni de la honte. Le jour est venu de réunir la gauche mais contre ces sbires qui représentent tous la même tendance. De Hollande à Sarkozy, il n’y a que des différences de degré, pas de différence de nature.
Aujourd’hui, on nous explique, Emmanuel Macron en tête, que la droite et la gauche pensent la même chose et que le temps est venu de faire une grande coalition qui défendrait une forme de consensus mou. Je crois au contraire que jamais dans notre histoire contemporaine la droite et la gauche n’ont été si éloignées sur le plan des idées mais je pense aussi, il faut le reconnaître, que jamais depuis longtemps la gauche n’avait été aussi faible face à l’hégémonie néolibérale. La lutte des idées doit reprendre, elle est une impérieuse nécessité. Sans cela, pas de victoire possible à l’horizon. Ce qui nous intéresse ce n’est pas la prise de pouvoir mais la prise de conscience. Pour le moment.