A la fin de l’été et à l’orée de la rentrée, un camp d’été décolonial s’est tenu à Reims et a déchainé les passions et les polémiques. Organisé par deux militantes de l’antiracisme, ce camp décolonial n’était ouvert qu’aux personnes susceptibles de subir un jour le racisme d’Etat. Aussi d’aucuns se sont-ils empressés de condamner une telle entreprise, n’hésitant pas à affirmer que le camp d’été versait dans un racisme anti-blanc. Au cours de cet évènement ont été abordées des questions relatives au racisme mais aussi aux stratégies et aux moyens pertinents pour lutter contre ce phénomène. J’ai eu du mal à trancher, au moment de la tenue de ce camp, sur le bien-fondé de la démarche. Pourtant, après réflexion, j’ai acquis la conviction que cette expérience était non seulement positive mais surtout fondatrice : il me semble que dans ces journées de la fin août 2016, l’antiracisme politique a vraiment pris forme en France.
De la même manière que la marche pour l’égalité et contre le racisme – rebaptisée à tort « marche des beurs » – avait marqué l’avènement de l’antiracisme moral dans notre pays en 1983, il me semble qu’aujourd’hui, 33 ans après cette marche, ce camp d’été marque la supplantation de l’antiracisme moral, tombé en désuétude, par l’antiracisme politique. Nous commémorions hier les 55 ans de la terrible répression à l’encontre des manifestants réclament la libération de l’Algérie et c’est aussi en mémoire de ces victimes de la répression raciale la plus violente de l’après-guerre dans notre pays que la lutte antiraciste s’articule aujourd’hui. Le mot décolonial a pu heurter mais il ne me semble pas déplacé dans la mesure où l’antiracisme politique se place nécessairement dans cette logique d’émancipation en regard de l’antiracisme moral qui se voulait paternaliste et quelque peu méprisant.
L’antiracisme moral ou l’aide perverse
Pendant longtemps, en effet, l’antiracisme en France n’a été que moral. Cette manière d’aborder les choses me semble être particulièrement perverse au sens premier du terme : bénéfique de prime abord mais terriblement néfaste dans ses aboutissements. La marche pour l’égalité et contre le racisme a trouvé sa pleine expression notamment dans l’association SOS Racisme créée en 1984, quelques mois après ladite marche. A première vue une telle association avait tout de bénéfique dans la lutte antiraciste et, soyons justes, a contribué pendant des années à lutter contre le racisme. Toutefois, les apories dans lesquelles elle est bien vite tombée, elle et tout l’antiracisme moral, sont structurelles d’une telle démarche. L’antiracisme moral ne se préoccupe effectivement pas de revendication politique forte puisqu’il se contente de combattre le racisme au quotidien sans formuler de projet politique à moyen et long terme sur la question. Il a finalement le rôle de palliatif en ne s’attaquant qu’aux effets et pas aux causes profondes. A se contenter de placer des rustines sur des plaies béantes, l’antiracisme moral contribue simplement à rendre un peu plus soutenable des pratiques contraire à toutes les valeurs de la République.
Néanmoins, le plus grand tort de l’antiracisme moral à mes yeux n’est pas celui-là mais bien plus sa propension à infantiliser ceux qu’il prétend défendre. Nulle volonté d’émancipation dans l’antiracisme moral puisqu’il s’agit de s’exprimer au nom de ceux qui subissent les discriminations. Mais faire quelque chose pour quelqu’un sans lui ne revient-il pas à agir contre lui ? Il me semble que l’antiracisme moral est porteur d’une contradiction mortifère qui a précipité sa chute dans les méandres politiciennes : il se propose de se battre contre le racisme mais en ne se préoccupant jamais ou presque de considérer l’avis de ceux qui le subissent. Il s’agit de calquer une vision du monde, la sienne, sur des problèmes qui ne nous concernent pas. J’aimerais ici me départir d’une ambiguïté fondamentale : nombre de militants de l’antiracisme moral adopte une telle posture à leur corps défendant. Pensant bien faire, ils ne se rendent souvent pas compte que leurs actes vont à l’encontre de ce qu’ils veulent défendre. Alors bien sûr, certains, surtout au PS, ont instrumentalisé cette question de l’antiracisme moral pour le tirer à leur profit, si bien que beaucoup de militants de l’antiracisme moral sont les pires alliés des discriminés puisqu’ils leur démarche leur empêche de s’émanciper.
Relever la tête
En regard de cet antiracisme moral qui se révèle être pervers, s’est construit un antiracisme politique qui se donne pour ambition de rendre leur parole aux discriminés, de faire que leur propre voix porte sans avoir besoin de la médiation d’un porte-voix. En ce sens, l’antiracisme politique me semble se rapprocher singulièrement de la figure de l’homme révolté défini par Camus dans son essai éponyme. « Qu’est-ce qu’un homme révolté ? s’interroge le philosophe. Un homme qui dit non. Mais s’il refuse, il ne renonce pas : c’est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement. Un esclave, qui a reçu des ordres toute sa vie, juge soudain inacceptable un nouveau commandement. Quel est le contenu de ce « non » ? Il signifie, par exemple, « les choses ont trop duré », « jusque-là oui, au-delà non », « vous allez trop loin », et encore, « il y a une limite que vous ne dépasserez pas ». En somme, ce non affirme l’existence d’une frontière ». Et voilà précisément ce qu’est l’antiracisme politique. Loin de se contenter du non, il affirme aussi un oui dès le moment où il se met en marche puisqu’il est porteur d’un projet de société et ne se satisfait plus de simples revendications en l’air.
Ainsi en est-il de tous les mouvements que nous voyons se mettre en place ou prospérer dans notre pays. Certainement bien aidés par le fameux Black Lives Matter américain, l’antiracisme politique commence à prendre forme et à se dessiner en France. Cela ne plait pas à tout le monde évidemment et notamment pas à tous ceux qui étaient bien contents lorsque les noirs, les arabes ou les chinois se faisaient discrets et acceptaient d’être représentés par des personnalités fantoches au service du système en place. Il n’est donc guère étonnant de voir des réactions virulentes se mettre en place y compris au cœur de la gauche qui se défend d’avoir eu une approche néocoloniale de la question des discriminations et du racisme. Et pourtant, même au sein de la gauche radicale cette dynamique a pu être présente. On peut penser ici au mouvement Nuit Debout présent place de la République et qui se proposait d’aller montrer aux gens de banlieues comment il fallait s’organiser et lutter.
Nous l’avons donc vu, l’antiracisme politique se met en place dans notre pays bien aidé par un gouvernement qui se dit socialiste mais qui n’a cessé de stigmatiser les populations issues de l’immigration. François Hollande candidat promettait le droit de vote aux étrangers, François Hollande président a proposé d’inscrire la déchéance de nationalité dans la Constitution. François Hollande candidat promettait la mise en place d’un récepissé pour lutter contre le contrôle au faciès, François Hollande président (sous la pression d’un Premier ministre trouvant qu’il n’y avait pas assez de « whites, de blancos » dans sa ville d’Evry) a enterré prestement cette promesse et l’Etat s’est pourvu en cassation alors qu’il avait été condamné pour discrimination. Ne nous leurrons pas, la route sera longue, la pente raide et les embûches nombreuses mais ce combat est chaque jour plus urgent. Cette lutte ne date pas d’aujourd’hui d’ailleurs et les mots d’Aimé Césaire dans sa lettre à Maurice Thorez résonnent toujours aussi forts aujourd’hui qu’au moment où ils ont été écrits : « Le résultat est qu’à l’heure actuelle le monde est dans l’impasse. Cela ne peut signifier qu’une chose : non pas qu’il n’y a pas de route pour en sortir, mais que l’heure est venue d’abandonner toutes les vieilles routes. Celles qui ont mené à l’imposture, à la tyrannie, au crime. C’est assez dire que pour notre part, nous ne voulons plus nous contenter d’assister à la politique des autres. Au piétinement des autres. Aux combinaisons des autres. Aux rafistolages de consciences ou à la casuistique des autres. L’heure de nous-mêmes a sonné ».
[…] pour se battre contre le, à mes yeux, véritable discours antiraciste. Je l’ai déjà écrit sur ce blog, l’antiracisme moral a été remplacé par l’antiracisme politique et nombreux sont ceux à […]
J’aimeJ’aime