Lassitudes

Prologue : Les tenailles refermées

Une plage, une femme, des policiers qui la verbalisent pour tenue contraire aux bonnes mœurs. La scène ne se tient ni à Téhéran, ni à Ryad et encore moins à Raqqa mais bel et bien à Nice, dans le sud de la France, dans cette région où je suis né et j’ai grandi. Une plage pour scène de cette triste représentation, une autre plage, sur les rives de la même mer comme point de départ de ce récit. Une plage légèrement plus à l’ouest, dans les environs de Marseille. Cette photo, ces photos plutôt, d’une femme contrainte de se dévêtir pour demeurer sur cette plage auront joué un rôle prépondérant dans l’état de lassitude et d’usure mentale qui m’a envahi. Voilà désormais plus d’un an et demi que notre pays est frappé par des attentats mortifères, attentats qui mettent à chaque fois un peu plus à mal la cohésion du pays. Ces photos auront été celles qui font franchir l’un de ces seuils imperceptibles que l’existence place autour de nous. Le genre de seuil invisible mais dont le dépassement génère des conséquences parfois insoupçonnées.

En plongeant dans cette Méditerranée, à la fois barrière et creuset, cimetière morbide et espérance fertile, pont entre les cultures et mur que certains souhaiteraient infranchissables je laisse mon esprit divaguer. Cet esprit toujours en alerte et focalisé sur l’actualité terrible depuis maintenant près de deux ans, le voilà qui réclame un peu de répit, un peu d’évasion car l’actualité lui pèse et le rend chaque jour un peu plus las et un peu moins optimiste. Le sel brûlant de la Méditerranée devient presque un remède tant il demeure moins corrosif que le climat dans lequel est plongé le pays. Et là, face à cette mer d’huile, qui ressemble à un tapis, on peut enfin savourer un moment de calme. A vrai dire, ce soir-là la Méditerranée à laquelle je fais face est aussi calme que le pays est hystérique. Et malgré tout, voilà l’actualité qui me rattrape et je ne peux m’empêcher de voir dans ce cadre, pourtant idyllique, une forme d’allégorie de ce que nous vivons. Cette plage coincée entre les collines calcinées par le récent incendie qui a menacé Marseille et la Méditerranée qui sait se montrer déchainée les jours de mistral me semble en tous points identiques à notre pays, coincé entre deux tenailles, prisonnier d’une mâchoire d’airain qui se referme chaque jour un peu plus sur lui.

Chapitre 1 : L’été dérobé

J’ai toujours aimé l’été. Ces longues journées au cours desquelles le soleil finit rouge sang et nous irradie de sa chaleur et de sa bienveillance. J’imagine que mes origines et ma jeunesse méditerranéennes ont joué un rôle important dans cet amour pour l’été mais elles ne sauraient, à elles seules, expliquer complètement cet attrait pour la torpeur estivale. Petit, l’été apportait avec lui les longues vacances et les bonheurs simples d’une soirée au bord de mer. Adolescent, la combinaison des matchs de football caniculaires entre amis puis d’un bain rafraichissant n’ont fait qu’augmenter mon attrait pour cette saison. Désormais, l’été se veut mélancolique puisqu’il coïncide avec le retour dans le sud après l’exil de l’année scolaire dans des terres bien moins accueillantes. A ces trois moments de ma, encore courte, existence, l’été est donc synonyme de décompression, de rupture avec l’année écoulée et de détente. Cet été ne semblait pas déroger à la règle. Le parcours de l’Equipe de France de football lors de l’Euro était là pour lancer cette saison bénie, loin des conflits politiciens et de l’actualité pesante de ces derniers mois.

C’était sans compter sur le carnage de Nice et la surenchère sécuritaire et liberticide qui s’en est suivie. Alors que nous pensions nous échapper l’espace de quelques semaines de la froide réalité et des minables prises de positions électoralistes, voilà cette réalité qui nous rattrape et nous sommes de composer avec elle. Il y eut Nice, il y eut la mort d’Adama Traoré, il y eut les querelles politiciennes, il y eut les attaques contre la constitution, il y eut l’agression d’un campement de Roms à Marseille et la mort de Zhang Chaolin. Telles les sept plaies d’Egypte, la réalité morbide et politicienne nous rattrapait pour mieux nous dérober notre été. Nous le savons déjà, les neuf mois qui séparent septembre 2016 de mai 2017 seront abjects de propos rances et de propositions toujours plus liberticides. Nous pensions pouvoir nous reposer quelque peu durant l’été, prendre du soleil et de l’énergie pour continuer à supporter ce qui est parfois insupportables entre attentats et rhétorique autoritaire, entre casse du modèle social et stigmatisation de ceux qui luttent contre. Las, nous nous sommes vus embarqués contre notre gré dans une polémique ahurissante au cours de laquelle beaucoup affirmèrent que la liberté de certains était monnayable. Ce court répit ne nous aura pas été accordé. Me voilà donc tel le Docteur Rieux, las de lutter sans pouvoir obtenir un peu de repos.

Chapitre 2 : Les courants titanesques

Dans cette lutte quotidienne qui s’annonce de plus en plus violente à mesure que l’élection présidentielle approchera, les courants qui parcourent le pays semblent aussi fort que ceux qui peuplaient le Styx, fleuve le plus connu des enfers Grecs. Sommes-nous en train de sombrer petit à petit dans le premier des sept cercles définis par Dante ? Devons-nous nous préparer à abandonner toute espérance ? Par moments je me sens dans la peau d’Orphée, lui qui dût plonger au fin fond du Styx pour aller y chercher son Eurydice et qui finit par se retourner, ce qui le condamna à la perdre à jamais. Quand un ancien président affirme que « ce n’est pas avec les religions que la République a des difficultés, c’est avec l’une d’entre elles qui n’a pas fait le travail nécessaire autant qu’inévitable d’intégration », ne nommant pas expressément ladite religion mais en en disant assez pour que chacun comprenne qui est visé alors oui il ne me semble pas exagéré de parler de courants titanesques qui traversent actuellement notre pays et qui mettent à mal sa cohésion et son unité si tant est que celles-ci soient encore présentes.

Dans ces moments de grande lassitude, il est aisé de se laisser porter par le courant, d’arrêter de lutter contre des forces qui prouvent chaque jour leur puissance et qui semblent largement nous dépasser. Il est encore plus aisé de se laisser couler un peu comme Martin Eden et de laisser la Méditerranée faire le reste. Chacun, ou presque, d’entre nous est porteur de contradictions. Ces contradictions, moi comme beaucoup je pense, je tente de m’en accommoder, de les mettre sous le tapis. Toutefois, et la réalité peut sembler cruelle, celles-ci finissent toujours par nous rattraper et nous transpercer de toutes parts. Que faire dans ces moments de doutes intenses ? Dans ces moments où l’on se dit que la lutte est peut-être, d’aucuns diront sans doute, perdue d’avance ? Je crois qu’il faut accepter qu’en ces moments un peu troubles, les victoires obtenues ne soient toujours que provisoires et presque toujours plus un motif de soulagement qu’autre chose. Est-ce pour autant une raison de cesser de lutter ? Sans doute pas et tant pis si comme Don Quichotte ou Rieux cela doit aboutir à ne vivre qu’une interminable défaite. Le doute n’est pas un signe de faiblesse s’il est le point de départ et non l’arrivée, il est même un atout non-négligeable. Face à ce long chemin tortueux et à la pente raide j’ai acquis une conviction : ce qui importe c’est de s’y engager pleinement en étant sûr à l’avance de nos propres défaillances et moments de doute plus ou moins profonds.

Epilogue : Tant qu’une lueur subsistera…

Le constat dressé est, j’en conviens, bien sombre. Ce seuil imperceptible qui a été dépassé a entrainé des conséquences profondes il est vrai mais temporaires. Face à ce constat faut-il se résigner ? Je ne le crois pas. En sortant de l’eau, les gouttes qui perlent sur le bras ne sont-elles pas d’une certaine manière un message ? Message qui affirme que même dans un environnement hostile, rien n’est jamais totalement perdu de la même manière que les naissances dans la nuit du 14 au 15 juillet dernier étaient là pour nous signifier que la vie continue et reprend toujours le dessus. Un jour peut-être, d’ici neuf mois dans le plus rapide des cas, les partisans des mesures les plus autoritaires s’imposeront. Ce jour-là, je pense que de nombreuses personnes quitteront le pays, moi sans doute y compris. On nous dira « ils sont rentrés chez eux ». En réalité, nous aurons simplement quitté chez nous et nous nous serons exilés. Et si finalement, pour éviter la défaite les bonheurs simples suffisaient ? Et si une soirée en bord de mer en famille, une tranche de rire entre amis signifiaient à ces fantômes d’idéologies leurs défaites ?

En attendant, l’avatar de Sisyphe que je suis continuera à pousser son rocher pour finalement le voir dévaler à toute vitesse. Malgré la lassitude et l’usure, la lutte continue et continuera. Pour ces femmes voilées mais aussi pour ces Roms agressés, pour la communauté asiatique prise pour cible, pour ces SDF à qui on ne répond pas et que l’on finit par ne plus voir. La liste n’est évidemment pas exhaustive. La lutte continue contre les moulins à vents comme pour Don Quichotte. Contre les moulins à vents et pour les valeurs inscrites au fronton de nos bâtiments.

 

Un commentaire sur “Lassitudes

  1. Lassitude ? lassitude ?…
    Tss, tss !! couvrez ce mot que je ne saurais lire … Molle’ ère ???
    Allez, allez, Hauts les cœurs, ya du boulot !

    #1
    La véritable indépendance ne viendra pas de la prise du pouvoir par quelques-uns, mais du pouvoir que tous auront de s’opposer aux abus de l’autorité… Dixit M.K.Gandhi.

    #2
    Savez-vous quel est le comble de l’optimisme, Marwen ?

    « c’est de rentrer dans un grand restaurant et compter sur la perle qu’on trouvera dans une huître pour payer la note. » hahaha !!

    #3
    Elle vécut à Carry Le Rouet ; écoutez les paroles, Nina ou de l’optimisme !

    Excellence rentrée, et à très bientôt…

    Aimé par 1 personne

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