L’islam et les musulmans, chronique d’une hystérie française (2/3): les principes dévoyés

Au nom du vivre ensemble

Mardi dernier, Marwen Muhammad, le porte-parole du CCIF était l’invité de RTL aux alentours de 13 heures pour réagir à la polémique autour du burkini et dialoguer avec des auditeurs de la station de radio. J’écoutais son intervention d’une oreille distraite lorsque tout à coup l’un des auditeurs (dont j’ai oublié le nom) m’a sorti de ma torpeur estivale. Il affirmait en substance qu’il était opposé au burkini parce que celui-ci était une provocation et qu’en ces temps troublés celle-ci était mal venue. Ce n’est toutefois pas cette partie de son propos qui m’a fait sortir de ma torpeur mais bien plus la conclusion de celui-ci répétée plusieurs fois telle une antienne qui a vocation à devenir vraie parce qu’on la martèle. Si cet auditeur était contre le burkini, c’était au nom du vivre ensemble que ledit maillot mettait à mal. J’ai donc tendu l’oreille avec plus d’attention pour l’entendre conclure une deuxième intervention par les mêmes propos, au nom du vivre ensemble le burkini est à proscrire. Passons sur la question du burkini en tant que tel et concentrons-nous plutôt sur le vivre ensemble ainsi défendu par l’auditeur. Il me semble assez clair qu’une telle définition du vivre ensemble n’aurait rien à envier au fameux novlangue crée par Georges Orwell dans 1984.

« Le but du novlangue, écrit le romancier en appendice, était, non seulement de fournir un mode d’expression aux idées générales et aux habitudes mentales des dévots de l’angsoc, mais de rendre impossible tout autre mode de pensée ». Il ne me paraît pas exagéré de comparer la définition que se fait cet auditeur du vivre ensemble avec la définition que donne Orwell du novlangue. Affirmer qu’interdire telle ou telle manière de se vêtir revient à défendre le vivre ensemble revient non seulement à travestir la notion même de vivre ensemble mais surtout peut aboutir à l’incapacité de penser le vivre ensemble tel qu’il fut conçu originellement. Les linguistes nous l’ont montré, les mots nous aident à structurer notre pensée. Appauvrir le langage revient donc à ériger des barrières qui empêchent de saisir la globalité des problèmes. Pour en revenir à la notion de vivre ensemble, il me semble évident que celui-ci ne saurait servir de bouclier pour se défendre face à une catégorie de personnes que l’on voudrait exclure de l’espace public. Le vivre ensemble, à mon sens, c’est précisément reconnaître nos différences mais ne pas transformer ces différences en objets de divisions voire de fractures. Il me semble que le vivre ensemble consiste plutôt à accepter des pratiques qui peuvent nous déranger voire nous choquer à partir du moment où ces pratiques respectent le cadre républicain et les lois de notre pays. Le vivre ensemble que défendait l’auditeur cité précédemment ressemble bien plus à un vivre en commun où certains disent aux autres comment il faut se comporter de telle sorte que nous arrivions à une forme d’uniformisation des pratiques. Là n’est pas la définition originelle du vivre ensemble.

La laïcité défigurée

Autre notion torturée et en permanence détournée, la laïcité fait partie des arguments les plus utilisés pour justifier des pratiques offensives à l’égard des religions. Dans l’exemple du burkini (point de départ de ce dossier), plusieurs responsables politiques ont utilisé la laïcité pour justifier l’interdiction. Là encore, comme avec le principe de vivre ensemble et avec une gravité autrement plus importante à mes yeux, la laïcité me semble manipulée pour servir les desseins des pourfendeurs de la religion. Alors qu’elle fut pensée comme un instrument d’égalité et de liberté, la voilà transformée en glaive pour attaquer les religieux de toutes confessions. Pourtant, lorsque Aristide Briand (le rapporteur de la loi de 1905) et Jean Jaurès (son bras droit sur cette question) présentèrent leur projet de loi, celle-ci visait bien à neutraliser le poids de l’Eglise dans notre pays mais ne visait en aucun cas à détruire l’Eglise. Ce dernier objectif fut d’ailleurs porté en ce temps par Maurice Allard un député d’extrême-gauche. La laïcité originelle, celle portée par la loi de 1905, se donnait donc un objectif clair : la stricte neutralité de l’Etat vis-à-vis de la religion. En aucun cas celle-ci ne s’est donnée pour objectif l’expulsion du fait religieux de l’espace public.

Malheureusement, cette vieille dame de 111 ans se trouve aujourd’hui attaquée de toutes parts. Telle la statue de Glaucus que le vent et les flots avaient tellement battu qu’elle est passée d’œuvre magnifique à hideux bout de roche, la voilà qui se voit battue par les flots des laïcistes les plus zélés d’une part et par les vents de ces contempteurs d’autre part. Soyons clair, la laïcité originelle est la seule à même de garantir la concorde nationale. Il nous faut donc la préserver et lutter avec force contre ceux qui l’attaquent frontalement. Toutefois, il me semble que les attaques les plus dangereuses à l’encontre de cette vieille dame sont ces attaques insidieuses qui ont le dessein de l’utiliser pour attaquer les religions. Affirmer que c’est la laïcité qui nous enjoint à expulser la kippa, le voile ou la croix de l’espace public c’est la travestir et la transformer en ce qu’elle n’est pas. Si l’on voulait respecter réellement la laïcité telle que l’ont pensée et conçue Jaurès et Briand, Manuel Valls et Laurence Rossignol ne devraient plus être ministres, eux qui s’autorisent alors qu’ils représentent l’Etat à donner leur avis sur telle ou telle pratique religieuse. Je le répète, les attaques les plus dangereuses contre le modèle de laïcité à la française ne sont pas forcément ceux qui avancent à visage découvert mais bien celles qui l’érodent au quotidien en la faisant passer pour ce qu’elle n’est pas. Si « ce qu’on souffre le plus durement c’est de voir travestir ce qu’on aime » comme l’écrivait Camus dans ses Lettres à un ami allemand, il est grand temps de réaffirmer la conception originelle de la laïcité et de la défendre contre tous ceux qui l’attaquent de part et d’autre. Dans le cas contraire, c’est la concorde nationale qui pourrait bien vite voler en éclat.

L’identité comme cage

Au-delà du cas du burkini, la question de l’identité surgit assez régulièrement pour justifier telle ou telle mesure. Il s’agit, selon d’aucuns, de défendre notre identité face à une identité venue d’ailleurs. Il serait à la fois absurde et dangereux de balayer d’un revers de main ce débat et certaines des peurs générées dans notre pays. Bien que ne pensant pas, comme notre Premier ministre, que la première des questions soit identitaire, je considère que cette question est importante et que notre pays a besoin d’avoir un débat serein et argumenté sur cette question, loin de l’hystérie avec laquelle celle-ci est quasiment toujours abordée. La manière que nous avons de concevoir l’identité est, il me semble, assez triste puisqu’on la considère presque toujours comme un corset, comme une cage qui nous oblige et jamais comme une attitude, une manière d’être face au monde. Aussi trouvé-je très intéressante la notion de personnalité développée par Régis Debray dans Madame H qui laisse une place à la modulation et tente de remplacer le corset par une forme de repère qui nous permet de nous guider sans nous enfermé dans une mâchoire d’airain. L’identité telle qu’elle est conçue dans le débat public ressemble étrangement à ce que Nietzsche appelait l’histoire monumentale, cette histoire tellement magnifiée qu’elle nous empêche d’être dans le domaine de l’action.

Pour rester dans le domaine philosophique, Nietzsche met en exergue deux autres types d’histoire : l’histoire traditionnaliste (ou antiquaire) et l’histoire critique. Le philosophe nous explique que chacune de ces trois espèces d’histoire sont mauvaises en excès et qu’il faut donc doser, jauger, équilibrer pour parvenir à une forme d’ordre harmonieux. Il me semble qu’il en va de même avec l’identité qui loin d’avoir pour seule vocation d’être une cage peut aussi permettre de s’élever et de s’améliorer. Tous autant que nous sommes, nous faisons déjà cette expérience au quotidien. Nos identités individuelles sont toutes plurielles, façonnées par nos origines, notre vécu, nos centres d’intérêts, etc. Pourquoi en serait-il différent pour une identité collective ? Il ne me semble pas totalement juste de parler d’une identité et une seule qui aurait la forme d’un bloc monolithique. L’identité française c’est certes une histoire monarchique mais c’est aussi les soubresauts des multiples révolutions, c’est Jaurès et Zola mais c’est également Maurras et Céline, c’est la résistance mais c’est aussi la collaboration. Vouloir résumer l’identité d’une nation à quelques éléments immuables et intangibles c’est finalement s’enfermer et s’aliéner d’une certaine manière de la même manière que l’on reproche à telle ou telle catégorie de personne d’être aliénée, asservie ou dogmatique. Il me semble que nous aurions énormément à gagner collectivement à avoir un débat posé et raisonnable sur cette fameuse crise identitaire que traverse notre pays.

Partie I: Soyez discrets, déshabillez-vous

Partie III: Apocalypses et catastrophes

2 commentaires sur “L’islam et les musulmans, chronique d’une hystérie française (2/3): les principes dévoyés

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