Marseille est à la mode. Marseille a la côte. Marseille attire de plus en plus de touristes. 5 Millions de personnes ont visité la cité phocéenne en 2015. Le New-York Times a même placé ma ville natale en deuxième position des cités à visiter, juste après Sao Paulo. De quoi réjouir tous les Marseillais. Tous les Marseillais ? Non, une infime partie en réalité, la Marseille des possédants et des hommes d’affaires, la nouvelle Marseille en somme. Cette Marseille qui regarde de manière dédaigneuse ses enfants et les voient s’éteindre à petit feu. Cette Marseille qui est peut-être plus belle aujourd’hui ou plutôt plus lisse – ce qui lui fait perdre tout charme aux yeux de la majorité des Marseillais.
Il fût un temps où Marseille était singulière en France, où elle incarnait la fronde de la province contre la monarchie toute puissante. Aujourd’hui, l’équipe municipale vend la ville et son âme pour garder ses sièges, pour attirer les touristes et pour montrer que Marseille n’est pas le problème de la France mais peut-être la solution. En agissant de la sorte, il concourt grandement à dénaturer cette millénaire grecque, française, italienne, espagnole, maghrébine, africaine et nous voilà à contempler notre ville, nos quartiers, notre Histoire être dépecés par des vautours de la pire espèce. La curée est lancée, les jeux sont ouverts. Et pendant ce temps, les enfants de Marseille crèvent la bouche ouverte sans un regard.
Sous le Mucem, la misère
Le Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée trône désormais fièrement sur l’esplanade du J4 non loin du Vieux-Port. Avancée majeure selon le sénateur-maire, Jean-Claude Gaudin, il représente l’entrée de Marseille dans la cour des villes touristiques. Toujours plus nombreux, les badauds se pressent de venir contempler « la plus grande opération d’aménagement urbain d’Europe » à savoir le projet Euroméditerranée. Un nouveau musée, des centres commerciaux à foisons, une politique de gentrification d’un centre-ville historiquement lieu de brassage et d’arrivée des migrants voilà les piliers de cette politique de nettoyage socio-économique. Le porte-monnaie a remplacé le cœur, de chaleureuse et ouverte voilà Marseille qui se transforme en monstre froid uniquement préoccupé par le capital et le profit sans se soucier du bien-être de ses habitants historiques.
Pendant que nos chers amis font preuve d’une ingéniosité toujours plus grande pour gagner plus d’argent, les Marseillais sont délaissés par la municipalité. Pas les Marseillais qui vivent dans le Sud non. Ceux-là sont chouchoutés par Monsieur le Maire puisque ses terres d’élections y sont. En revanche, pour ceux qui ont vraiment besoin de l’action de la ville dans les quartiers les plus déshérités rien n’est fait. Les touristes visitent la façade pendant que les enfants de la ville suivent des cours dans des écoles insalubres. Dans ces cités, le spleen a définitivement chassé l’idéal. Et dans cette morne plaine, la misère intellectuelle a triomphé des efforts de parents dépassés qui voient leurs enfants sombrer dans la précarité ou la violence. Les kalachnikovs éclaboussent de sang le maire, que celui-ci le veuille ou non, car il porte une responsabilité dans la déshérence présente dans ces mornes cités grises.
MP 2013 comme cheval de Troie
Voilà déjà trois ans que Marseille a été capitale de la culture européenne. Déjà à ce moment-là de nombreuses voix s’étaient élevées pour dénoncer l’incurie d’une opération qui ne visait qu’à mettre un label bourgeois pour attirer toujours plus de touristes et d’investisseurs au détriment des Marseillais. Celles-ci avaient été prises pour des affabulations, leurs auteurs réduits au rang de multiples Cassandre qui s’opposaient au progrès et souhaitaient faire perdurer la misère dans Marseille. La réalité est ailleurs, ces voix discordantes – qui étaient nombreuses et le sont chaque jour un peu plus – dénonçaient un évènement mis au service des grands possédants alors qu’il aurait pu permettre d’améliorer grandement la vie des Marseillais. Aucun évènement dans les quartiers nord durant cette année où le symbole d’une fête réservée à une partie de la ville dans le but de « soigner » son image comme l’exprimait à l’époque le maire.
En refusant d’inscrire le hip-hop à la liste des représentations, en balayant d’un revers de main toutes les formes d’art urbain qui fondent la culture marseillaise, en faisant appel à David Guetta pour symboliser l’année, la mairie a tout fait pour laisser les Marseillais dans l’angle mort de cette représentation. En 2013, Marseille fût en effet capitale européenne de la culture. Mais de quelle culture ? Assurément pas la culture marseillaise qui a été soigneusement dissimulée pour ne pas faire tâche dans l’objectif de lisser la ville. Capitale de la culture oui mais capitale de leur culture si bien que beaucoup ont transformé le nom capitale de la culture en capitale de la rupture – le documentaire de Keny Arkana à ce sujet est d’ailleurs excellent – pour bien montrer la dynamique qui s’est mise en place lors de cette funeste année 2013. Loin de rassembler les Marseillais autour d’un projet fédérateur, MP 2013 a été l’occasion de diviser encore une fois la ville. Quand j’entends aujourd’hui que tous les Marseillais sont unis pour faire de la ville un haut-lieu touristique je ris jaune. La plupart des Marseillais se demande simplement comment joindre les deux bouts.
Finalement, Marseille est plus belle aujourd’hui qu’avant. Seulement, tout dépend du référentiel que l’on prend pour l’observer. Quand la mairie envisage la construction d’un pont transbordeur pour traverser le Vieux-Port, des pans entiers de la ville sont encore très mal reliés au centre. Marseille il y a urgence, tes enfants crèvent la bouche ouverte dans des écoles insalubres et tu préfères jouer la dédaigneuse et tomber dans les bras de quelques riches. Tu as tourné le dos à ton Histoire et à tes valeurs mais prends garde, le foot qui était un puissant exutoire est en train de devenir un formidable catalyseur d’agitation sociale. Les Marseillais sont comme La Peste de Camus, ils peuvent se réveiller à tout moment et ce jour-là personne ne plaindra les charognards d’aujourd’hui qui seront peut-être les proies de la vindicte populaire demain. La misère est certes moins pénible au soleil, comme le chante Aznavour, mais elle ne disparaît pas sous ses rayons et finit par générer des rancœurs mortifères. Il est grand temps d’agir !