Hollande et Valls ou la politique de la terre brulée

Mercredi dernier, le couperet est finalement tombé. Christiane Taubira a quitté son poste de Garde des Sceaux, emportant avec elle le peu de gauche qu’il restait encore dans ce gouvernement. Pour beaucoup d’observateurs, l’ancienne vice-présidente du Parti Radical de Gauche constituait la dernière « caution de gauche » du président dans un gouvernement qui a renié les promesses de 2012 les unes après les autres optant pour une approche de plus en plus libérale et autoritaire, insufflée en grande partie par Manuel Valls. Ce dernier a entretenu, depuis 2012, une relation tumultueuse avec la désormais ex-Garde des Sceaux. Depuis son arrivée à Matignon, il n’a, en effet, eu de cesse de réclamer à François Hollande l’éviction d’une Christiane Taubira qui ne se gênait pas pour faire entendre sa voix, presque toujours discordante avec l’action du gouvernement.

Le Premier ministre ne s’est, d’ailleurs, pas privé d’un dernier tacle à l’encontre de Madame Taubira. « Résister ce n’est pas fuir ses responsabilités » a-t-il rétorqué au tweet de son ex-collègue dans lequel elle affirmait : « Résister c’est parfois rester. Résister c’est parfois partir ». Dernière passe d’armes entre un Premier ministre socialiste-libéral – comme il s’est lui-même défini – et une femme de convictions, ou tout du moins une femme qui se dit fidèle à ses convictions. Je laisse chacun se faire son opinion sur la question. Aujourd’hui débute le débat sur la réforme constitutionnelle et sur la prolongation de l’état d’urgence. Le mariage pour tous aurait pu être le symbole sociétal de ce quinquennat – comme l’abolition de la peine de mort en a pu l’être en son temps – mais il n’en sera rien. Cette mandature restera marquée au fer rouge, tel le bagnard Jean Valjean, par le débat sur la déchéance de nationalité et sur la limitation des libertés individuelles.

Jusqu’où iront-ils ?

Débuté dans la dénonciation de la finance comme ennemie et dans l’exaltation de l’égalité, ce quinquennat se conclut sur des mesures libérales économiquement et liberticides politiquement. Rarement dans l’histoire de notre pays nous aurons vu telle transhumance intellectuelle, tel parcours erratique. Les quelques personnes qui constituent les cendres du peuple de gauche sont allés de Charybde en Scylla durant le mandat de François Hollande. Le Charybde libéral et le Scylla liberticide se sont partagés le travail pour tourmenter le sort de millions de personnes qui pensaient avoir porté une alternance au pouvoir et qui se réveillent avec une politique presque plus désastreuse que durant le quinquennat précédent, pourtant si décrié par le candidat Hollande. Elles pensaient avoir voté pour Prométhée – et rêvaient secrètement de le voir tenir tête au Zeus libéral – et se retrouvent à subir la loi de Janus, qui leur avait caché sa face terrible durant la campagne.

« A chaque jour suffit sa peine » comme le veut le proverbe. Ce peuple en cendres en a douloureusement fait l’épreuve depuis presque quatre ans. Son chemin de croix ne le mène pas au Golgotha mais au fond de l’abîme. La gauche mise en bière reçoit chaque jour des pelletés de terre de la part du gouvernement.  Finalement, la figure de Prométhée ne sied pas à celui qui a été élu mais à tous ceux qui l’ont élu et qui ont été trahis. Chaque jour notre foie est picoré par les vautours de Matignon et chaque jour il repousse pour subir à nouveau la même souffrance. Après le supplice économique du pacte de compétitivité, après le reniement sécuritaire voilà venu le temps de la stigmatisation sociale avec la volonté de rendre dégressives les allocations chômage, moyen de jeter au passage l’opprobre sur l’ensemble des chômeurs dont le nombre a dramatiquement augmenté depuis 2012, en dépit des multiples cadeaux fiscaux aux entreprises. Nous buvons le calice jusqu’à la lie et certains, tel Socrate, y ont préféré la ciguë.

La triangulation ou le suicide annoncé

Depuis un moment, l’exécutif a adopté une stratégie qu’il pense pertinente, celle de la triangulation. Inspirée par Tony Blair, celle-ci est assez simple à décrire. Elle consiste à faire passer des mesures chères à l’opposition afin de lui couper l’herbe sous le pied ce qui revient finalement à tout faire comme elle afin qu’elle n’ait aucun moyen de critiquer l’action du gouvernement. En menant une politique économique bien plus libérale que ce qu’il avait promis ou en amorçant un tournant sécuritaire, le président de la République entend ainsi court-circuiter à la fois Les Républicains et le Front National. Marine Le Pen ne se fait-elle pas bien discrète depuis la survenue du débat sur la déchéance de nationalité ? François Hollande fait ainsi un pari risqué mais qui lui semble, sans doute, être le seul susceptible de lui assurer sa réélection : partant du principe où la présence de Marine Le Pen au deuxième tour de la présidentielle est acquise ou presque, il tente de déplacer le débat entre son parti et celui de Nicolas Sarkozy au premier tour.

Aussi mène-t-il une politique de l’offre et adopte-t-il le corpus idéologique de la droite sur le plan économique afin d’occuper l’espace laissé vacant, au centre,  par la dérive droitière de l’ancienne UMP. Ce faisant, il considère les électeurs de gauche avec un mépris sans précédent en les pensant acquis à sa cause quoi qu’il advienne. Dans le fond de son cerveau machiavélique il doit sans doute se dire qu’il sera toujours temps de sortir la carte du vote utile à quelques semaines du scrutin afin « d’éviter à la gauche de disparaître dès le premier tour ». Tous les caciques du PS reprenait pourtant en cœur la même ritournelle au soir du 13 décembre, celui du second tour des régionales : « Nous avons compris le message exprimé par les Français. Plus rien ne sera jamais plus comme avant ». Et pourtant voilà le premier personnage de l’Etat reparti dans les mêmes vieilles recettes politiciennes, allant même au paroxysme de ces recettes obsolètes puisqu’il est en train de jouer avec la constitution pour tenter d’assurer sa réélection. Les électeurs de gauche ne voteront pas, je pense, dans leur grande majorité pour une personne ayant ostensiblement affiché son mépris pour elles. Au mieux pour lui elles s’abstiendront, au pire elles se jetteront dans les bras du Front National. Leur stratégie de triangulation les mènera certainement au désastre. Et je n’aurai aucune compassion pour eux.

Nous le voyons bien, la campagne pour les élections présidentielles de 2017 a commencé par une tambouille constitutionnelle abjecte. L’exécutif pense que la stratégie de la triangulation le mènera au deuxième tour face à Marine Le Pen et donc à la victoire. François Hollande fait ouvertement ce pari, ce qui le discrédite à mes yeux – bien que cela fait un moment qu’il a perdu toute crédibilité pour moi. « Le courage, disait Jaurès, c’est de chercher la vérité de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques ». Aujourd’hui plus que jamais il nous faut être courageux et rechercher la vérité. En attendant, entre une droite qui n’a plus d’idée, une gauche qui n’a plus de gauche que le nom et une extrême-droite qui tend à modifier son programme pour se normaliser encore un peu plus, il y a fort à parier que nous nous dirigeons vers une abstention massive le dimanche 23 avril 2017.

Un commentaire sur “Hollande et Valls ou la politique de la terre brulée

  1. De la nécessité de conférer…

    Bonsoir Marwen !!! J’ai du retard de lecture, vous êtes prolifique… C’est très bien !

    Je voulais vous dire…
    #1 … « Quand je désespère, je me souviens qu’à travers toute l’histoire, les chemins de la vérité et de l’amour ont toujours triomphé. Il y a eu des tyrans et des meurtriers, et parfois ils ont semblé invincibles, mais à la fin, ils sont tous tombés. Pensez toujours à ça. » – M.K. GANDHI

    De plus…
    #2 … ‘La conscience’, poème tiré de l’épopée « la Légende des siècles », Victor Hugo, nous invite à réfléchir. Toutes les interprétations sont possibles, me direz-vous… Cependant, comment ne pas y voir l’actualité brûlante qui touche notre pays en ces temps présents : conflits, migrants, replis, menaces extrémistes, mais SURTOUT la remise en question de nos droits les plus fondamentaux ! On inquiète les français -inutilement- de ‘Déchéance de la Nationalité’, on méprise le ‘Droit du Sol’… Droits inaliénables acquis au temps de François 1er ! Alors que d’autres problèmes, VERITABLES, sont à résoudre…

    La conscience

    Lorsque avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes,
    Echevelé, livide au milieu des tempêtes,
    Caïn se fut enfui de devant Jéhovah,
    Comme le soir tombait, l’homme sombre arriva
    Au bas d’une montagne en une grande plaine ;
    Sa femme fatiguée et ses fils hors d’haleine
    Lui dirent : « Couchons-nous sur la terre, et dormons. »
    Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts.
    Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres,
    Il vit un oeil, tout grand ouvert dans les ténèbres,
    Et qui le regardait dans l’ombre fixement.
    « Je suis trop près », dit-il avec un tremblement.
    Il réveilla ses fils dormant, sa femme lasse,
    Et se remit à fuir sinistre dans l’espace.
    Il marcha trente jours, il marcha trente nuits.
    Il allait, muet, pâle et frémissant aux bruits,
    Furtif, sans regarder derrière lui, sans trêve,
    Sans repos, sans sommeil; il atteignit la grève
    Des mers dans le pays qui fut depuis Assur.
    « Arrêtons-nous, dit-il, car cet asile est sûr.
    Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes. »
    Et, comme il s’asseyait, il vit dans les cieux mornes
    L’oeil à la même place au fond de l’horizon.
    Alors il tressaillit en proie au noir frisson.
    « Cachez-moi ! » cria-t-il; et, le doigt sur la bouche,
    Tous ses fils regardaient trembler l’aïeul farouche.
    Caïn dit à Jabel, père de ceux qui vont
    Sous des tentes de poil dans le désert profond :
    « Etends de ce côté la toile de la tente. »
    Et l’on développa la muraille flottante ;
    Et, quand on l’eut fixée avec des poids de plomb :
    « Vous ne voyez plus rien ? » dit Tsilla, l’enfant blond,
    La fille de ses Fils, douce comme l’aurore ;
    Et Caïn répondit : « je vois cet oeil encore ! »
    Jubal, père de ceux qui passent dans les bourgs
    Soufflant dans des clairons et frappant des tambours,
    Cria : « je saurai bien construire une barrière. »
    Il fit un mur de bronze et mit Caïn derrière.
    Et Caïn dit « Cet oeil me regarde toujours! »
    Hénoch dit : « Il faut faire une enceinte de tours
    Si terrible, que rien ne puisse approcher d’elle.
    Bâtissons une ville avec sa citadelle,
    Bâtissons une ville, et nous la fermerons. »
    Alors Tubalcaïn, père des forgerons,
    Construisit une ville énorme et surhumaine.
    Pendant qu’il travaillait, ses frères, dans la plaine,
    Chassaient les fils d’Enos et les enfants de Seth ;
    Et l’on crevait les yeux à quiconque passait ;
    Et, le soir, on lançait des flèches aux étoiles.
    Le granit remplaça la tente aux murs de toiles,
    On lia chaque bloc avec des noeuds de fer,
    Et la ville semblait une ville d’enfer ;
    L’ombre des tours faisait la nuit dans les campagnes ;
    Ils donnèrent aux murs l’épaisseur des montagnes ;
    Sur la porte on grava : « Défense à Dieu d’entrer. »
    Quand ils eurent fini de clore et de murer,
    On mit l’aïeul au centre en une tour de pierre ;
    Et lui restait lugubre et hagard. « Ô mon père !
    L’oeil a-t-il disparu ? » dit en tremblant Tsilla.
    Et Caïn répondit : » Non, il est toujours là. »
    Alors il dit: « je veux habiter sous la terre
    Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
    Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. »
    On fit donc une fosse, et Caïn dit « C’est bien ! »
    Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
    Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre
    Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain,
    L’oeil était dans la tombe et regardait Caïn.

    Victor Hugo, La Légende des Siècles, composée entre 1855-1876

    … « ils sont tous tombés. Pensez toujours à ça. » – Pensons toujours à ça !!! A bientôt

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