Prologue : C’est toujours triste les aux revoir
Il paraît que c’est au moment de la quitter que l’on se rend compte à quel point on aime une personne. Cela fait déjà une année que je suis parti vers d’autres horizons pour y suivre mes études et pourtant je ressens toujours ce même spleen lorsque vient le temps de repartir et de te quitter à nouveau pour plusieurs mois. Certains me diront que je devrais désormais avoir l’habitude de te dire au revoir. La vérité c’est qu’à chaque fois que je reviens te voir je me dis que ce plaisir n’est que momentané et je me prépare mentalement à devoir te dire au revoir dans peu de temps. Malgré toutes ces précautions c’est toujours le même sentiment amer que je ressens en repartant vers ta sœur qui vit tellement loin de toi. Au moment de t’écrire ces lignes, je regarde par la fenêtre du train et je contemple une dernière fois avant des mois ta silhouette et des courbes que je connais tant. Tel Orphée qui ne put s’empêcher de se retourner pour regarder Eurydice, je suis incapable de détourner mon regard même si ce coup d’œil m’emplit de mélancolie.
Si je suis mélancolique en te voyant t’éloigner, c’est avant tout parce que j’ai vécu tellement de choses à tes côtés. Marseille, Massilia, Marselha je ne sais comment t’appeler mais est-ce vraiment important de savoir quel est ton nom ? Ce qui compte réellement, c’est tous ces moments que tu peux me faire vivre et faire vivre à tes enfants que tu chéris tant. Et puis veux-tu vraiment être enfermée dans une case ? Te connaissant quelque peu, je suis persuadé que non. Après 22 années à te côtoyer, j’ai acquis la conviction que ton identité était plurielle et que tu revendiquais cette pluralité, que tu en faisais même un des points forts de ton caractère. Tu es, en effet, complexe tant dans ton caractère que dans les valeurs que tu défends. Beaucoup ne connaissent de toi que Notre-Dame de la Garde, la Bonne Mère comme l’appellent tes enfants mais bien peu savent que tu n’as jamais été très religieuse. Certains diront que la religion qui est la tienne est l’Olympique de Marseille et que les messes que tu suis sont sur le Boulevard Michelet, au sein du Vélodrome. Malgré cette distance entre la religion et toi, ce qui me lie à toi je l’appellerai volontiers Trinité. Un illustre de tes fils, Marcel Pagnol pour ne pas le citer, avait déjà en son temps évoqué une Trinité te mettant en avant. Ce fut la célèbre trilogie marseillaise : Marius, Fanny, César. Si je parle de Trinité pour parler du lien qui me relie à toi, c’est surtout dans les relations que j’ai pu avoir, et que j’ai encore, avec toi. Cette Trinité, que je vais tenter de te décrire dans cette lettre tout en te rendant un hommage sincère et plein d’amour, elle s’articule autour de trois lettres : MFF. Pour Pagnol c’était MFC pour Marius, Fanny, César. Pour moi c’est MFF pour Mère, Femme, Fille. Je parle de MFF parce que, pour moi, tu es à la fois une mère, une femme et une fille.
Chapitre 1 : La Mère
Tu es avant tout une mère pour moi. C’est sous ton regard bienveillant et ensoleillé que je suis né et que j’ai grandi. Bien sûr il t’est arrivé de me pousser des soufflantes aussi puissantes que le mistral qui vient souvent te fouetter le visage mais ce fut toujours pour mon bien. C’est donc sous ta surveillance bienheureuse que je me suis construit en tant qu’homme et tu as grandement façonné ma personnalité ainsi que mes valeurs. Keny Arkana parlait de mère des enfants perdus en évoquant la rue. Je considère que tu es toi aussi la mère d’enfants perdus mais n’y vois pas une critique ou un avis péjoratif. Tu es la mère des enfants perdus parce que tes enfants sont comme toi, ils ont leur propre culture, la tienne faite de tolérance et d’ouverture mais aussi de rébellion et de contestation. Tu m’as enseigné ces valeurs et jamais je n’y renoncerai.
La tolérance et l’ouverture sont primordiales pour toi. Tu t’es construite sur ces principes : fille de Phocée, tu n’as jamais oublié ni renié tes origines grecques mais loin de t’enfermer dans celles-ci, tu t’es constamment enrichie d’autres cultures. C’est ainsi que des enfants d’Espagne, d’Italie ou plus récemment du Maghreb sont venus te rejoindre pour finalement devenir tes propres enfants. Tu leur as donné une identité à eux ces exilés et en retour ils ont apporté avec eux des nuances de plus et des richesses innombrables à ta culture déjà plurielle. Aussi tes enfants se réclament-ils d’abord de ton héritage avant de se dire Français, Arabes, Espagnols ou Italiens. Certains voient dans cette attitude une provocation de leur part. Je suis bien plus enclin à y voir un hommage appuyé à toi, cette mère qui nous offre une identité et une culture propres dans un monde où l’uniformité tend de plus en plus à s’imposer. Est-ce d’ailleurs un hasard si tu te tournes bien plus naturellement vers le sud de la Méditerranée que vers Paris, cette grande sœur que tu n’apprécies guère ? Pour notifier au monde ton esprit ouvert et ta volonté de communier avec des terres lointaines, tu t’es parée du monument aux héros de l’armée d’Orient et des terres lointaines qui trône fièrement sur la corniche Kennedy et qui vient rappeler que tu es avant toute chose la porte de l’Orient. Dans une famille qui se referme sur elle-même en ce moment tu fais figure de véritable bouffée d’oxygène.
Finalement, tu es un peu le sale rejeton de la France, celui qui ne veut rien faire comme les autres et qui l’assume pleinement. C’est ce caractère rebelle et contestataire que tu m’as aussi inculqué. Toute ton histoire est marquée par la contestation et la rébellion par rapport à l’autorité. C’est ce côté-là de ta personnalité qui fait que tu as des relations tumultueuses avec Paris, celle qui représente cette autorité. Combien de fois, en effet, as-tu remis en cause cette sœur lointaine ? Bien trop de fois à son goût. Faisant souffler le vent de la révolte dans le cœur de tes enfants, tu les as poussés à remettre en cause l’ordre établi. Ne l’entendant pas de cette oreille, l’autorité a réprimé, souvent durement et de manière sanglante. Mais tu es comme la révolution et rien ne t’arrête. On peut tuer les révolutionnaires on ne tuera pas la Révolution. Dans ton cas, on peut réprimer dans le sang tes enfants, on n’abattra pas ton esprit farouche et rebelle. Cet esprit te vaut la méfiance de Paris. Tu es surveillée et elle tente tant bien que mal de contenir tes ardeurs contestataires. Au cours de l’Histoire, elle a trouvé en la personne d’Aix-en-Provence l’alliée parfaite pour te surveiller. Aussi existe-t-il une rancœur tenace entre Aix et toi.
Chapitre 2 : La Femme
Tu ne contentes pas d’être une mère et de m’inculquer tes valeurs car tu es aussi une femme pour moi. Et pour cause, comment ne pas tomber amoureux de ta rade et de tes courbes si harmonieuses ? Comment détourner les yeux quand tu m’offres tes bras ? Et comment ne pas plonger dans le bonheur en te rejoignant dans la mer Méditerranée ? Alors bien sur tu as des défauts, tu n’es pas parfaite. Tu peux être violente par moments ou du moins tu peux engendrer de la violence comme quand tes enfants, rejouant un triste remake d’Abel et Caïn, se donnent la mort par jalousie ou par envie. Tu souffres aussi de la négligence de tes propres enfants ce qui fait que certains disent que tu es sale. Mais l’amour n’est-ce pas aussi de fermer les yeux sur les petits défauts de l’être aimé ? N’est-ce pas de renforcer la relation même avec ces petits défauts ?
D’aucuns disent que tu es populaire. Si pour certains c’est une qualité, dans la bouche de beaucoup c’est une critique voire une moquerie. Chez les plus vils il faut même entendre que tu es pauvre. Alors c’est sûr, tu n’es pas Aix la bourgeoise mais ce qu’ils ne savent pas, c’est que tu es bien plus riche que ce qu’ils pensent. Tu m’inondes de ces richesses un peu comme les nuages t’inondent de leurs précipitations en septembre, nous faisant déjà regretter l’été que nous venons de passer. Comment, en effet, passer un été en ta compagnie et ne pas tomber amoureux de toi ? Tu remplis mon cœur de petits bonheurs du quotidiens comme le simple fait de pouvoir jouer au foot à tes côtés puis de venir ensuite enlacer la mer et m’abandonner dans tes bras. J’aime ces longues journées d’été au cours desquelles le soleil est rouge sang. Souvent j’en profite pour me balader et te contempler dans toute ta splendeur toi qui est si grande et si étendue. Ces sentiments que je ressens au cours de ces moments sont indicibles et certainement incompréhensibles pour quelqu’un qui ne te connais pas mais je défie n’importe quel Homme de refuser la félicité que peuvent procurer une balade dans les Calanques, un pique-nique au Vallon des Auffes ou encore un coucher de soleil contemplé depuis le parc du Pharo ou le fort Saint-Jean.
Mais tu es aussi belle le reste de l’année. Tu n’es pas de ces femmes qui resplendissent durant l’été pour ensuite se faner une fois l’automne arrivé. C’est en arpentant tes ruelles et les divers petits chefs d’œuvres que tu réserves une fois les touristes partis que je communie pleinement avec toi. C’est en me perdant dans les petites rues du Panier que je te retrouve complètement. C’est en admirant les innombrables dessins du Cours Julien qui sont comme autant de tatouages sur ta peau frêle et gracile que je me rends compte à quel point tu es belle. Peu importe ce que peuvent colporter les médias ou les étrangers, je sais moi tout ce que tu peux offrir. Excuse-les. Ils n’ont pas la chance de t’avoir côtoyé et pour comprendre le bonheur que tu peux procurer aux gens qui t’aiment, il faut venir vivre à tes côtés. Le bonheur que tu promets est un bonheur charnel, loin des luttes pour la gloire ou pour l’ascension sociale. La misère est moins pénible au soleil chantait Aznavour. Je dirai plutôt que la misère c’est de ne jamais avoir connu ton soleil et de porter des jugements hâtifs sur ta personne et sur tes enfants. Et puis finalement, laisse-les te critiquer et te juger de manière péjorative. En agissant de la sorte ils contentent d’une certaine manière l’amant que je suis puisque ils ne voudront jamais entrer dans ton cœur comme j’essaye de le faire.
Chapitre 3 : La Fille
Pour finir cette Trinité, en plus d’être une mère et une femme, tu es aussi une fille pour moi. Drôle de retournement de situation tu ne trouves pas ? Toi qui m’as vu grandir, qui m’as inculqué tes valeurs et tes principes, tu es maintenant comme une fille pour moi. Cette histoire, elle est éternelle. Tu fais grandir tes enfants avant qu’ils deviennent comme des pères et des mères pour toi. Je te vois changer, grandir, évoluer et je me dis que chaque jour passé te fait grandir un peu plus. Parfois je sens que tu m’échappes comme ces ados rebelles mais tu finis toujours par revenir vers moi pour mon plus grand bonheur. Par moments je regrette de te voir changer et j’en viens à me demander si je ne suis pas devenu comme ces vieilles personnes qui n’acceptent le changement sous aucun prétexte. Et puis finalement non, je me rends compte que bien souvent je suis fier de te voir grandir. Comme toi par le passé, j’ai un regard bienveillant sur ta croissance et sur tes évolutions.
Je ne dis pas que j’accueille toutes tes évolutions avec un grand sourire et une bienveillance absolue. Il m’arrive d’avoir envie de te tirer les oreilles et de te souffler dans les bronches comme tu le faisais quand j’étais petit. Quand je te vois faire des choses absurdes comme te parer d’un nouveau tramway inutile alors que certains de tes enfants sont encore bien trop éloignés de ton cœur j’éprouve l’envie de te gronder de ma voix la plus grave. Mais comme ces enfants qui font des bêtises et qui savent se rattraper, tu parviens à me subjuguer encore et encore. Tu évolues dans le temps et tu arrives à obtenir des joyaux qui te rendent encore plus belle. A l’adolescence on a généralement envie de se révolter et d’avoir des choses bien à nous. Toi plutôt que cet égoïsme tu préfères partager tes nouvelles richesses avec tes enfants. Tu t’es parée du Mucem et il te magnifie encore plus. A la Major déjà présente non loin de son emplacement, tu as rajouté l’un des plus beaux musées de France. Plutôt que de rompre complètement avec son passé, la fille que tu es pour moi préfère améliorer son héritage. Ainsi en est-il du Vélodrome. Elément emblématique pour toi, au lieu de le détruire dans une crise d’adolescence tu l’as rendu encore plus beau. Et en le rendant plus joli, tu es devenue encore plus belle. Finalement, si je ne suis pas d’accord avec tous les changements que tu décides, tu sais me persuader et me montrer ta beauté sans cesse renouvelée et ton attachement aux valeurs qui sont les nôtres.
Nos enfants, on a envie de les protéger envers et contre tout et contre tous en général. C’est exactement la position qui est la mienne à ton encontre. D’ailleurs si je t’écris cette lettre, c’est aussi pour montrer au monde que tu es bien loin de tout ce que l’on peut raconter sur toi. Maintenant que je suis loin de toi pendant une grande partie de l’année je me rends compte à quel point les gens ont une image biaisée de toi. Je ne compte plus, en effet, le nombre de fois où j’ai dû démonter point par point les argumentations fallacieuses que j’ai pu entendre sur ta prétendue violence. Comme on défend un enfant un peu trop turbulent mais qu’on sait bon au fond de lui, j’ai passé des heures à expliquer à ces personnes que tu n’étais pas cette enfant terrible que la télé nous décrivait. Te rends-tu compte ? Ils te comparent avec les plus grands scélérats du monde, Détroit en tête. Pour moi tu es une fille douce et agréable. Aussi douce et agréable que ta rade est magnifique.
Epilogue : Tant que ton esprit soufflera…
Aujourd’hui il m’arrive d’être inquiet pour toi. Je vois ces vautours te tourner autour et tenter de te faire changer. Je ne compte plus les endroits où tu es éventrée pour que ces personnes à la moralité douteuse puissent faire advenir ce qu’ils ont en tête. Ils veulent te défigurer, changer complétement ton être. Tu es populaire ? Ils veulent t’embourgeoiser et te faire oublier tes racines. Tu es rebelle et révolutionnaire ? Ils veulent te dompter et transformer le tigre que tu es en petit chat domestique. Tu es tournée vers l’Orient ? Ils veulent de toi que tu fasses allégeance à la capitale ainsi que tu renies tes origines grecques et ton histoire cosmopolite. Finalement ils veulent que tu abdiques ta singularité. Ils veulent que toutes ces petites particularités qui font que tu es singulière en France disparaissent pour ne laisser place qu’à une image policée et normée. En fait, ils veulent que tu ressembles à tes sœurs de la Côte d’Azur, ces clones qui n’ont aucun trait particulier dans leur caractère si ce n’est celui d’attirer de riches touristes. Ils avaient déjà commencé leur travail de sape il y a un petit moment avec Euromed. Ils l’ont continué par l’intermédiaire de Marseille Provence 2013. Capitale de la Culture qu’ils disaient. Capital de leur culture plutôt pour mieux tenter de faire disparaitre ta propre culture.
Tu pourrais croire que je suis pessimiste en écrivant ces lignes mais il n’en est rien. J’ai confiance en ton caractère effronté et en ta force de révolte. Aussi longtemps que tu feras souffler ton esprit de révolte dans la tête de tes enfants, nous serons comme autant de sardines qui iront boucher le port de leurs rêves, qui sont pour nous des cauchemars. Tu as démontré par le passé ta force de conviction face à un pouvoir beaucoup plus puissant et autoritaire qu’aujourd’hui. Tant que tes enfants seront habités par cette foi inébranlable, nous serons comme ces vagues déchainées qui te frappent durement les jours de mistral. Ils pourront en repousser une, deux, des dizaines mais quand ils comprendront que nous lutterons jusqu’en enfer pour te défendre et défendre nos valeurs ainsi que nos principes, il sera trop tard et l’ultime vague, poussée par le souffle puissant de ton esprit, engloutira définitivement leurs espoirs de te voir changée et aseptisée.
On me dira sans doute que je suis très (certains diront trop) optimiste à propos de tes capacités de résistance et qu’il se pourrait bien que tu sois vaincue par tes rudes opposants. Mais même si cela devait arriver je ne perdrais pas espoir. Je saurai ce que tes vainqueurs en joie ignoreront, et qu’on peut lire dans les livres, que le bacille de ton esprit ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les cœurs et les esprits de tes enfants, qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que le jour viendra où, pour le malheur et l’enseignement de ces démons, ton esprit réveillera ses enfants et les enverra combattre et mourir pour ton honneur et ta fierté.
Massilia fai avans !
Très beau texte,
je suis belge, né en Belgique, et j’ai croisé la route de la Cité Phocéenne en mai 1993 lors de la victoire de l’OM face au Milan AC… fan de boli, j’ai été conquis par cette équipe.
je me suis donc interessé à la ville, à l’accent, et je suis tombé amoureux.
Mon voyage de noce s’est fait à Marseille en 2004 pour faire découvrir cette ville à mon épouse qui a été très séduite aussi, au-delà de tout ce qu’on en dit dans la presse…
Chaque année nous descendons à Marseille et en une minute je me sens chez moi.
je vis un attachement profound à cette ville… je ne me dis pas marseillais mais mon entourage m’appelle comme cela 🙂
On naît marseillais mais je pense qu’on peut aussi le devenir.
Cette ville aux 2600 ans d’histoire, le plus vieux port d’Europe, aux multiples facettes, je m’y sens chez moi.
Le Vieux ports, le quartier du Panier, le Cour Julien, Les plages du prado, la Castellane…
quel Bonheur de pouvoir passer qques heures là bas et recharger mes batteries pour une année 🙂
Cette année, j’ai la chance d’aller animer 3 mois à Carry le Rouet, et le samedi je descendrai a Marseille pour me ressourcer et encore découvrir d’autres endroits magnifiques
Mike
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Evidemment qu’on peut devenir Marseillais ! La ville ouvre grand ses bras à qui veut l’aimer comme elle est sans la changer et la défigurer (coucou les promoteurs Parisiens). Je suis loin d’elle pour mes études mais à chaque fois que je reviens ça me ressource pour retourner dans le grand Nord 🙂
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