La twitterisation de la vie politique, symbole de sa déchéance

Au moment de sa création par Jack Dorsey, Evan Williams, Biz Stone et Noah Glass en 2006, qui aurait cru que le petit oiseau bleu occuperait une place si importante une décennie plus tard ? Pas grand monde ne misait sur ce nouveau réseau social au départ et pourtant, aujourd’hui, Twitter est le deuxième réseau social le plus important avec plus de 500 millions d’utilisateurs. Parmi ces utilisateurs, les hommes politiques français en sont assez friands. Ils y voient un moyen simple de communiquer avec l’opinion publique et donc avec de potentiels électeurs en vue d’élections futures.

Lancé en 2006, Twitter a pris son envol au moment même où la fracture entre les hommes politiques et la population semblait irrémédiablement s’accroitre, le référendum de 2005 à propos de la Constitution Européenne n’était pas étranger à cette défiance grandissante que ressentait le peuple envers les élites. Twitter aurait alors pu constituer un moyen de renouer ce lien qui semblait coupé entre les politiques et la population. Malheureusement, neuf ans plus tard la défiance est plus grande que jamais. Mon but n’est évidemment pas d’accuser Twitter. Le réseau social n’est pas néfaste en soi. Finalement, tel un couteau qui peut sauver ou ôter une vie selon comment on l’utilise, Twitter aurait pu sauver ou définitivement détruire le lien entre les politiques et le peuple. Plutôt que de me cantonner à l’analyse de l’utilisation qu’ont les politiques de Twitter, je me propose aussi d’analyser ce que j’appelle la «twitterisation» de la vie politique, c’est-à-dire l’application des us et des coutumes de ce réseau social à la vie politique.

La fin des débats de fond

Le principe fondamental de Twitter réside dans la taille des messages que les utilisateurs peuvent poster depuis leur compte. 140 caractères et pas un de plus, voilà la taille maximale des tweets. Qu’est-ce qu’on peut exprimer en 140 caractères ? Un ressenti, une blague, une indignation mais assurément pas une réflexion nourrie. Twitter, c’est le règne de l’invective, de la petite phrase, du petit slogan accrocheur (les catch slogan si chers aux anglo-saxons) mais pas moyen d’avoir un débat posé, serein et avec de réels arguments de fond. Pas parce que les gens ne le veulent pas mais parce que 140 caractères c’est l’équivalent d’une vingtaine de mots voire moins et qu’en vingt mots on n’argumente pas sur des choses profondes.

Si je parle de «twitterisation» de la vie politique c’est parce que ce mode de fonctionnement propre à Twitter qui aboutit à l’absence de débat de fond se retrouve aussi à l’œuvre dans la vie politique contemporaine. Plus de débat de fond projets contre projets de nos jours. Simplement des slogans ou des phrases grandiloquentes pour décrédibiliser la personne en face. Regardez les débats d’entre-deux tours : on n’assiste plus à des débats mettant en jeu deux projets contradictoires mais à des batailles de chiffres pour la plupart du temps. Et que retient-on de ces débats ? Les idées ? Assurément pas, on retient les formules rhétoriques. La seule personnalité politique à tenter encore d’avancer des arguments de fond et des discours construits et argumentés est Christianne Taubira. Quoi qu’on puisse penser d’elle, on ne peut lui retirer ses longs discours ponctués de références littéraires ou philosophiques et récités sans notes. Elle est bien la seule à être dans cette position.

La recherche du buzz à tout prix

Logique consubstantielle à celle des messages courts et des slogans accrocheurs, beaucoup de personnes sur Twitter cherchent à faire le buzz comme l’on dit. Vouloir faire parler de soi, vouloir être reconnu quitte à s’auto-caricaturer et à exagérer nos propos telle est la logique perverse que Twitter peut induire. D’aucuns sont même prêts à aller à l’encontre de leurs idées pour se faire connaitre sur les réseaux sociaux. Twitter, plus que Facebook, incite à jouer ce jeu-là et à rentrer dans cette logique.

Et ne retrouve-t-on pas cette logique à l’œuvre chez les hommes et femmes politiques ? Cette culture de l’exagération et de la petite phrase pour que l’on parle d’eux est commune à l’extrême majorité des représentants politiques. De Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen, de François Hollande à Nicolas Sarkozy, de Manuel Valls à Arnaud Montebourg, ils sont tous aux aguets à propos des différents sondages, des occurrences sur les réseaux sociaux ou du nombre de fois où leur nom aura été prononcé par les journalistes durant la semaine. C’est pourquoi chacun va de sa petite phrase dès qu’il le peut : Sarkozy et sa métaphore de la fuite d’eau pour parler des migrants, Valls et sa petite phrase sur l’antisionisme qui nourrirait l’antisémitisme, Mélenchon et ses phrases véhémentes sur l’Allemagne, aucun n’y coupe. Alors oui décidément Twitter n’a pas fait que du bien à la vie politique.

Un commentaire sur “La twitterisation de la vie politique, symbole de sa déchéance

  1. […] Il y a quelques semaines j’avais tenté d’analyser ce que j’appelle la twitterisation de la vi… Aujourd’hui, c’est les rapports entre Twitter, ses utilisateurs et la démocratie qui m’intéressent, ou plutôt qui m’inquiètent quelque peu devrais-je dire. « Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse ». Ce proverbe me semble particulièrement adapté à ce réseau social tant la vocifération et l’outrance semblent être les règles du petit oiseau bleu. […]

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