Parlons un peu de la FIFA

La lecture du manifeste du 19 février 1861 – Grigori Miassoïedov

La FIFA est une association à but non lucratif qui brasse pourtant des milliards de dollars et qui a un wagon de partenaires économiques. Tous les 4 ans, elle pose ses valises dans un pays avec sa caravane publicitaire et impose sa loi, sans ménagement. Le mondial lui appartient, elle en fait ce qu’elle en veut et peut donc le caler en hiver dans un pays qui pratique l’esclavage moderne. 2022 doit marquer un changement de cap et sonner le glas de l’impunité.

C’est la maraude qui traverse de nombreux observateurs européens du football : la coupe du monde au Qatar est un problème. Ce mondial symbolise trop de chose, la corruption, des investissements massifs dans des équipements qui n’ont aucun avenir, surtout des conditions de travail souvent exécrables sur les chantiers et la mort de nombreux ouvriers. Concernant ce petit pays du Golfe, c’est surtout le dernier critère qui hérisse le poil de beaucoup de monde. La presse anglophone martèle le chiffre de plus de 6000 morts sur les chantiers des stades, quand en France on parle d’une moyenne de 1000 morts par an sur ces mêmes chantiers. À la fin, la FIFA est-elle complice ou victime de tout ça ?

La FIFA, simple victime ?

C’est l’argument de beaucoup de monde à la FIFA ou des journalistes pas vraiment honnête intellectuellement. La FIFA subit la corruption parce qu’elle pratique le principe d’une fédération une voix, et que le comité qui s’occupe d’attribuer les mondiaux est assez opaque et repose essentiellement sur la responsabilité individuelle. Au final, dans sa volonté de faire confiance à tout le monde, la FIFA subit des dirigeants peu préoccupés par le football et qui donc peuvent répondre favorablement à des tentatives de corruption. L’organisation serait donc victime de sa volonté d’offrir une place à toute fédération volontaire à la rejoindre, et d’un traitement égalitaire entre riche et pauvre, pays du nord et pays du sud.

L’autre argument, pour expliquer que la FIFA ait choisi le Qatar c’est sa capacité à faire évoluer les mentalités. On le remarque avec la manière donc l’organisation a poussé pour dépénaliser l’alcool le temps de la compétition, ou alors sa volonté de vouloir une trêve concernant la traque des personnes non hétérosexuelles par le petit Etat. Au final, toujours les mêmes ficelles, la FIFA veut continuer de garder sa posture d’organisation qui veut propager le bien et faire développer le football. Amener une telle compétition dans une région pas connue pour son football, mais connue pour sa faible reconnaissance des droits humains fondamentaux est une bonne chose selon elle parce qu’elle a un pouvoir notable sur les pays et une capacité de faire évoluer les législations.

Aussi simple que ça ?

Cette posture assez simple intellectuellement et qui suffit à beaucoup est pourtant un mensonge. La FIFA cultive le clientélisme et la corruption depuis son basculement sous Joao Havelange. Elle ne subit pas la corruption, elle l’instrumentalisme et construit des princes vassalisés qui seront fidèles à celui que/qui leur accorde des grosses sommes sans vérification de la bonne utilisation des fonds. Sepp Blatter a repris le flambeau sans rien changer, au contraire. Les sommes brassées par la FIFA ont progressé, sa redistribution vers ses fédérations membres aussi, mais à la fin, le football a-t-il vraiment progressé sur la planète ? Rien n’est moins sur, mais certains gros bonnets s’en sont mis plein les fouilles en récupérant l’argent de la FIFA sans en faire profiter les pratiquants locaux.

La question du mode d’attribution de la Coupe du Monde est intéressante. Après le scandale autour du choix de la Russie en 2018 et du Qatar en 2022, Blatter a pris la décision de supprimer le comité opaque pour que cette décision soit prise en congrès. Même si cela peut permettre un peu plus de transparence, ça ne change pas le principe de base. La FIFA exige énormément de choses, et bien souvent les pays doivent faire la carpette pour récupérer l’organisation d’une édition. En 2022, les US et le Qatar sont en concurrence, mais le dossier de l’Etat arabe est mieux vu parce que l’Émirat a accepté toutes les exonérations fiscales demandées par la FIFA. Cette défaite des US a poussé l’autoproclamé gendarme du monde de monter une énorme enquête sur la FIFA pour faire tomber un maximum de monde.

L’idée n’est pas de remettre en cause cette volonté qu’on peut qualifier d’opération main propre concernant la FIFA. Cependant, placé les US comme garant de la lutte contre la corruption alors qu’ils ont été au cœur du plus grand scandale concernant l’attribution de JO qui a conduit le CIO a totalement se révolutionner est cocasse. On aime aussi dire que le Qatar est le premier à corrompre énormément de monde à la FIFA, quand une grosse enquête a été montée concernant l’Allemagne par exemple sur 2006 et arrêté pour prescription. Le fonctionnement de la FIFA est opaque, pousse à l’échange de bon procédé notamment une descente d’argent du haut de la pyramide vers le bas avec en retour, des votes assurés et donc, fabrique une culture de la corruption propre à l’organisation. Le problème est que maintenant, même les Arabes se mettent à corrompre, et ça dérange plus de monde que quand c’est des Allemands.

Le football ressemble de plus en plus à un prétexte

La posture de la FIFA garant de valeurs progressistes qui viendraient ouvrir l’esprit des Arabes arriérés notamment sur le droit des minorités est aussi un mensonge. Quand l’organisation Suisse pose ses valises dans un pays, elle s’est auparavant assurée avoir les mains libres juridiquement. En plus d’une exonération d’impôt, la FIFA exige une zone d’exclusion de 2 kilomètres autour des stades où seuls les stades de ses partenaires peuvent vendre des produits par exemple. Il faut bien comprendre que la FIFA n’a pas choisi le Brésil, l’Afrique du Sud ou le Qatar pour l’amour du football, mais parce que ces pays ont accepté toutes ses conditions. Et sa volonté de pousser à autoriser la vente de l’alcool durant la compétition dans l’Émirat, ce n’est pas la volonté de faire évoluer les mentalités, mais surtout pour écouler des litres de Budweiser, le brasseur officiel de la FIFA.

On pourrait tout de même imaginer la FIFA tisser des liens avec des entreprises locales pour aider le pays et que cela profiter directement à la population locale, mais pas du tout. Par exemple, la FIFA impose son brasseur de bière, une marque américaine dans tous les stades et interdit la vente de toute autre liquide alcoolisée autour du stade. Même dynamique pour les aménagements, au Brésil par exemple, des Favelas ont été « pacifié » le temps de la préparation du mondial, mais quand la compétition s’est achevée, le programme a peu à peu périclité et la plupart des projets qui devaient à terme profiter à la population ne sont pas aller à leur terme. Il n’y a que des violences, un peu de spéculation immobilière, des projets pour faire bonne figure mais aucun bouleversement notable. Finalement, reste des éléphants blancs, des dépenses publiques très hautes et une FIFA qui a pris ses sous sans payer d’impôt dans des pays en développement où les inégalités sont très grandes.

Le traitement des ouvriers au Qatar est un vrai problème, et ce mondial peut permettre de mettre en lumière un système révoltant. Cependant, il ne faut pas imaginer que la construction des stades était un long fleuve tranquille dans les autres pays. La construction du stade à Manaus au Brésil a fait scandale et des morts ont aussi été décomptés. Bien sûr, les chiffres annoncés pour le Qatar sont bien plus haut et l’idée n’est pas de dire que vu que ça arrive ailleurs, on ne doit pas se révolter concernant le Qatar. Cependant sous-entendre que les anciennes éditions étaient plus acceptables socialement au point de parler d’un boycott de cette édition seulement parce qu’elle est organisé au Qatar sans remettre en cause la FIFA est un problème pour moi. Personne ne devrait mourir en travaillant du fait des conditions de travail déplorables, que ça soit au Qatar, au Brésil ou en France.

Quel avenir ?

La FIFA a toujours plaidé pour un football dépolitisé, en embrassant le libéralisme économique et en se construisant une situation de monopole tout en acceptant régulièrement de voir sa compétition phare être organisée dans des dictatures ou des régimes très problématiques pour les droits humains. Pourquoi ? On peut y voir un cynisme très clair. La FIFA porte de moins en moins d’intérêt au football, mais veut continuer à pouvoir imposer son modèle unique en changeant de pays tous les 4 ans. Accepter d’organiser une Coupe du monde en hiver dans des stades climatisés aussi facilement est un bon exemple pour bien voir que le niveau des matchs n’est plus un argument.

Concernant l’aspect économique, organiser une Coupe du Monde n’apporte rien directement au pays qui est désigné et lui coute beaucoup en plus de réveiller bien souvent des contestations sociales. Le Brésil est un bon exemple où il a été demandé de mettre un mouchoir sur ses problèmes et éviter de « gâcher la grande fête du football qu’est la Coupe du Monde ». Arrive ce moment où les seuls pays en capacités d’accepter les exonérations fiscales exigées par la FIFA tout en investissant massivement dans des infrastructures publiques qui ne seront jamais exploités par la suite sans craindre une sanction par le vote ensuite sont les Etats peu ou pas démocratiques. L’autre logique est une compétition partagée par différents pays riches pour éviter des coûts trop importants. En 2026, c’est les USA, le Canada et le Mexique qui seront hôtes. L’UEFA a suivi le même chemin avec un Euro dans toute l’Europe.

Tant que la FIFA restera cette organisation qui est surtout là pour vendre une CDM identique avec les mêmes sponsors, les mêmes produits dérivés, mais dans des endroits différents sans prendre en compte le local, elle s’éloignera des pays démocratiques pour se rapprocher des pays qui peuvent lui dérouler le tapis rouge pour s’acheter une acceptabilité. Ces positionnements ne sont pas nouveaux, la FIFA a toujours été tiraillé entre sa volonté de faire progresser la pratique du football et son pouvoir économique immense. Ces dernières années, le curseur est plus tourné vers la possibilité de brasser des grosses sommes, cependant on peut imaginer un changement dans les années avenirs. Le point de basculement se rapproche, les acteurs économiques qui ont phagocyté le football pour ne plus en faire un sport populaire et accessible, mais un produit de consommation en veulent toujours plus. Dans le même temps, la fracture avec les supporters est de plus en plus grande.

Comment pousser vers ce changement et éviter de voir le football nous échapper totalement ? C’est là le plus difficile parce que pour l’ensemble de la population, la FIFA a encore une excellente image, ce ne sont que les amateurs de football qui ont de moins en moins confiance envers l’organisation. L’association suisse se comporte comme une multinationale, mais a toujours cette image d’organisation bienveillante qui milite pour le camp du bien. Il est temps de penser à un football sans FIFA, pour construire une alternative crédible et donc amorcer le changement pour que le Football reste cet outil émancipateur. Et surtout ne pas voir dans la volonté de certaines juridictions de vouloir faire tomber quelques hommes sans vouloir changer le système, une quelconque victoire dans la lutte contre le comportement de la FIFA et son rapport au football.

Benjamin Chahine

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