De l’hypocrisie (à propos de Sarkozy et de la prison)

Le dernier voyage du Téméraire – J.M.W. Turner

Il y a quelques jours, nous avons appris que Nicolas Sarkozy était condamné à trois ans de prison dont un ferme dans l’affaire dite « des écoutes » et qui, très prosaïquement, concerne des faits de corruption. Une information en chassant une autre, d’autant plus dans cette période particulière liée à la crise sanitaire, nous ne nous sommes pas attardés plus longtemps que cela sur ce verdict. Si Nicolas Sarkozy et ses coprévenus ont immédiatement fait appel, si l’ancien président s’est empressé d’aller dans des médias amis pour plaider sa cause et si la séquence politico-médiatique autour de cet évènement n’a guère duré longtemps, il n’en demeure pas moins vrai que ce verdict judiciaire et, plus encore, les réactions à ce dernier, nous en ont beaucoup appris sur l’hypocrisie qui suinte d’une large part des élites politiques, médiatiques et économiques dès lors qu’il s’agit de la question de la prison.

Il serait toutefois inexact de circonscrire les réactions auxquelles nous avons pu assister au simple cas de Nicolas Sarkozy. La mécanique qui s’est mise en route n’est assurément pas nouvelle tant des personnalités comme Patrick Balkany ou Carlos Ghosn – qui était invité sur un plateau télé le même jour que Nicolas Sarkozy dans une douce ironie – ont suscité ce genre de débats pour ne citer que les cas les plus récents. Pour autant, la situation de Nicolas Sarkozy est fortement symbolique à bien des égards : personnalité bien plus médiatique que les autres, ancien premier personnage de l’État, véritable bête médiatique disposant d’une aura encore certaine parmi beaucoup de sympathisants de droite, celui qui fut maire de Neuilly-sur-Seine suscite tout simplement beaucoup plus de réactions que n’importe quel autre homme politique dans le pays.

Sarkozy ou la République abimée

En ce sens, bien que l’exercice soit toujours délicat et menace à tout moment de nous faire basculer dans la personnification à l’extrême, il faut revenir sur Nicolas Sarkozy lui-même et ses méfaits. S’il vient d’être condamné dans l’une des affaires pour laquelle il est poursuivi – et non des moindres puisqu’il s’agit de faits caractérisés de corruption – il demeure mêlé à d’autres affaires bien plus graves (financement libyen de sa campagne de 2007, affaire Bygmalion lors de la campagne de 2012 dont le procès s’est ouvert hier). Surtout, il est le premier ex-président de la République condamné pour de tels faits.

Quand bien même il a fait appel – et il reviendra à la Cour d’appel (puis, à n’en pas douter, à la Cour de cassation si jamais la première venait à confirmer la sentence) de statuer – il ne parait pas exagéré de voir dans la situation actuelle la matérialisation d’une République abîmée par celui qui était son plus haut représentant durant cinq années, le même qui pratiquait selon ses propres termes une hyperprésidence. Dès lors, à partir du moment où la Vème République est un régime où la personnalisation est outrancière, la condamnation d’un ancien président pour ce genre de méfaits jette une grande ombre sur elle.

Le risque toujours présent du bouc émissaire

Une fois que l’on a dit cela, la tentation pourrait être grande de clouer au pilori Nicolas Sarkozy. Cela serait assurément jouissif pour un certain nombre de personnes mais reviendrait assurément à passer à côté du sujet majeur que représentent les multiples affaires dans lesquelles il est impliqué : le fait qu’il s’agit bel et bien d’un système et non pas d’une simple brebis galeuse. Cahuzac, Fillon, Solère et donc Sarkozy (la liste n’est évidemment pas ici exhaustive) sont autant de boucs émissaires que l’on pourrait désigner un peu comme le faisaient les Grecs antiques dans l’objectif de purger la Cité d’un mal.

La pratique aurait le confort de nous mettre en accord avec nous-mêmes et d’ainsi dire qu’une fois ostracisées ces tristes personnes ne pourront plus causer de mal à la société. La réalité est que nous nous voilerions collectivement la face en agissant de la sorte. Bien évidemment qu’il faut châtier ces sinistres personnages qui œuvrent pour leurs propres intérêts et contre le bien commun mais cela ne suffira assurément pas à assainir la société et le système politique. Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, de faire le procès d’un système qui existe depuis des décennies et ne s’arrête évidemment pas aux figures les plus médiatiques. Fustiger les pratiques des personnes tout en se gardant bien d’en faire de commodes boucs émissaires, voilà quel est notre chemin de crête.

Vous avez dit incohérence ?  

Pour en revenir au cas particulier de Nicolas Sarkozy, l’un des éléments opposés à celles et ceux qui se sont réjouis de la peine prononcée a été une forme d’incohérence. L’exhumation de l’un de ses tweets a parfaitement symbolisé cet état de fait. Il y a plusieurs années, Nicolas Sarkozy affirmait effectivement que toutes les peines prononcées devaient être effectuées. C’était alors dans le cadre d’un débat sur les peines planchers et sur le fait que, sauf exception, en cas de peine de moins de deux ans fermes celle-ci est aménagée (principalement en raison de la surpopulation carcérale).

Sur le fond, cette position demeure aujourd’hui encore fortement critiquée voire raillée par une bonne partie des personnes qui se sont fait un malin plaisir de ressortir le tweet en question. Faut-il vraiment y voir une incohérence de la part de celles et ceux qui l’ont fait ? Je ne le crois pas. Dans ce mouvement, c’est bien plus assurément l’incohérence de Nicolas Sarkozy qu’il faut souligner dans la mesure où il y a fort à parier qu’il fera tout ce qui est en son pouvoir pour ne pas passer une seule nuit en prison alors même qu’il défendait cette position-là il n’y pas si longtemps. Ce retournement de l’accusation est symptomatique d’une tentative de diversion éhontée.

Critique du carcéral ou défense des puissants ?

Le débat déborde allègrement du simple cas Sarkozy et pose effectivement la question de la critique de l’institution carcérale. Derrière les accusations d’incohérence se niche, en effet, une toute autre question : celle de la critique uniquement quand il s’agit de défendre les puissants. Nous avons vu la même mécanique se mettre en place dans les cas de Balkany ou de Ghosn par exemple. Tout d’un coup, une foultitude de personnes se sont saisies de la question des conditions de détention ou de la pertinence de la prison. Ces mêmes personnes s’empressent bien souvent de dénoncer une prétendue hypocrisie venant de celles et ceux qui critiquent ou sont sceptiques à propos de l’institution carcérale mais se réjouissent ou s’amusent de voir les puissants condamnés.

Il faut, je crois, poser la question dans des termes différents. De la même manière que défendre la liberté des gens qui nous ressemblent ne revient pas à défendre le principe de liberté mais uniquement ses petits intérêts, se saisir de la question carcérale uniquement quand il s’agit de puissants qui sont condamnés revient avant tout à défendre les puissants. Dès lors que ces personnes sont silencieuses le reste du temps sur la prison (sa philosophie ou ses conditions pratiques) mais sont les premiers à en parler dès qu’elle approche d’un des leurs – rappelons que Sarkozy n’a strictement aucune chance de passer cinq minutes en prison dans l’état actuel des choses – cela démontre qu’elles n’en ont en réalité que faire et saisissent juste les branches qu’elles trouvent, sans peur aucune du ridicule.

La nécessaire réflexion sur la prison

Parce que c’est bien là tout l’enjeu soulevé par ce débat. Se réjouir de la condamnation de Nicolas Sarkozy, est-ce renier la critique de la prison ? Quelle personne sensée peut décemment croire à cette bouffonnerie ? Encore une fois, il est urgent de changer de perspective. Personnellement, j’ai l’humilité de reconnaitre que je n’ai pas d’avis tranché et définitif sur la question carcérale parce que je n’ai pas les éléments nécessaires pour cela et que je n’ai pas encore assez réfléchi sur le sujet. Pour autant je crois profondément que l’institution carcérale actuelle vise bien plus à marquer les déviants qu’autre chose.

Dès lors, je crois effectivement qu’il faut changer radicalement les choses à commencer par offrir le minimum de décence aux prisonniers. Dire cela m’empêche-t-il de me réjouir que Sarkozy soit condamné ? Pas le moins du monde. Si je suis intimement convaincu des nécessaires changements radicaux à ce sujet, je ne vois pas pourquoi, aussi longtemps que l’institution carcérale sera défaillante, il faudrait la réserver aux classes laborieuses et dominées. Dit autrement, ce n’est pas à Nicolas Sarkozy que va ma compassion mais plutôt à Claude Gueux. Le second débat sous-jacent réside dans la caractérisation de la dangerosité des condamnés. Nous le savons bien, les criminels en col blanc sont bien moins incarcérés que les autres. Comme pour Sarkozy l’argument de leur plus faible dangerosité pour la société est avancé. Mais en réalité, entre le voleur de moto multirécidiviste qui vole une personne à chaque fois et le corrupteur qui abime la République et vole l’argent public, donc tout le monde, qui est le plus dangereux pour la société ?

Pour aller plus loin:

Surveiller et punir, Michel Foucault

Corruption, nous sommes tous responsables, Antoine Peillon

Claude Gueux, Victor Hugo

La violence et le sacré, René Girard

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