Les sondages en quelques lignes

Oedipe explique l’énigme du Sphinx – Jean-Auguste-Dominique Ingres

Comme à l’accoutumée à la sortie du mois d’août, les différentes universités d’été et autres rentrées politiques se sont succédé ces dernières semaines. Avec elles, les sondeurs s’en sont donnés à cœur joie pour interroger « les Français ». Malgré le fait que l’année 2021 sera marquée par deux scrutins locaux, les départementales et les régionales, tout le monde semble n’avoir en tête que l’échéance de 2022 et la présidentielle qui se profile. Dans cette optique, les enquêtes d’opinion vont bon train quand bien même tout le monde ou presque sait bien qu’elles n’ont pas grand sens si longtemps avant un scrutin. Quelle formule à gauche pour battre Emmanuel Macron ? Quel candidat pour Les Républicains afin de limiter la casse ? La revanche entre Macron et Le Pen est-elle inévitable ? Autant de questions auxquelles les sondages prétendent pouvoir répondre dès à présent.

Outre le fait qu’il est plus qu’hasardeux d’annoncer des résultats aussi longtemps à l’avance – qui, début septembre 2015, était en mesure de prévoir la non-présence de Sarkozy et Hollande, le surgissement aussi fort de Macron ou le score de Mélenchon ? – les sondages participent à saturer l’espace médiatique en prétendant donner corps aux préoccupations de l’ensemble des Français. Ainsi a-t-on vu ces derniers jours fleurir les enquêtes d’opinion à propos des questions de délinquance et d’insécurité puisque le gouvernement et certains médias ont décidé de faire de ce sujet le plus important de l’été. Si les enquêtes d’opinion ne sont pas néfastes en elles-mêmes, l’utilisation récurrente des sondages comporte de larges biais qu’il s’agit de ne pas oublier.

Le mythe de la représentativité

Le premier écueil, le plus évident aussi, des sondages est à mes yeux leur prétention à représenter fidèlement l’avis de l’ensemble des Français. Je ne vais pas revenir ici sur les méthodes d’échantillonnages utilisées pour mener les enquêtes d’opinion mais la plupart du temps lesdits sondages sont effectués sur seulement 1 000 personnes voire moins. Évidemment les personnes interrogées sont sélectionnées selon un certain nombre de critères mais de facto les résultats de ces enquêtes doivent être pris avec des pincettes. Pour être juste, le problème ne réside peut-être pas tant dans les sondages en eux-mêmes que dans la manière dont ceux-ci sont présentés par les médias qui s’en servent la plupart du temps.

Il n’est pas rare en effet que les médias ayant passé la commande du sondage – parce que c’est ainsi que cela fonctionne la plupart du temps, les sondeurs n’agissent pas de leur propre fait (une grosse part de leurs prestations va d’ailleurs aux entreprises et non pas à l’analyse politique) – présentent ensuite les résultats comme l’avis des Français dans leur ensemble. X% d’un échantillon de 1 000 ou 2 000 personnes se transforment ainsi par la magie de la présentation en l’avis de l’ensemble des Français. Ajoutons à cela les multiples biais existant au moment de répondre à des questions comme par exemple la propension à dissimuler des avis que l’on estime honteux et la véracité des résultats est rapidement mise à mal.

Contrôler et produire l’opinion publique

Plus largement, les sondages peuvent très souvent induire un biais de confirmation. Selon la célèbre formule de Bourdieu, ils produisent l’opinion publique bien plus qu’ils ne la mesurent. Exception faite des séquences électorales (une fois le dépôt des candidatures clos), les sondages participent la plupart du temps à générer des questions que les personnes interrogées ne se posaient pas nécessairement avant que le sondeur ne débarque avec sa grille d’entretien. Dans le cas du sujet ayant agité les plateaux TV durant la fin de cet été, les questions de délinquance et d’insécurité ont été poussées sur le devant de la scène à la fois par le gouvernement au travers de Gérald Darmanin et par de multiples enquêtes pressant les interrogés de répondre à des questions parfois sorties de nulle part.

De la même manière, à chaque fois qu’un sondage politique est commandé par tel ou tel acteur, celui-ci contribue à façonner le débat public plus qu’à prendre la température de l’opinion publique. À force d’interroger les personnes sur certains sujets, l’on finit par engendrer des réflexions voire des positionnements qui non seulement sont le fruit de ce matraquage mais surtout cette pratique contribue à rendre centrales des questions qui ne le sont pas nécessairement pour la population. De la même manière, les sondages électoraux aussi loin d’un scrutin comme l’élection présidentielle participent à créer presque de toutes pièces des candidatures que personne ou presque n’envisageait. À cet égard, le cas d’Emmanuel Macron en 2017 est plus qu’éloquent.

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