
La Nouvelle Moscou – Youri Pimenov
Sauf retournement de situation plutôt improbable à ce jour, dans quelques semaines (le 28 juin plus précisément), une bonne partie des Français sera appelée aux urnes dans le cadre du second tour des élections municipales – une bonne partie seulement parce que les communes ayant déjà élu un ou une maire au premier tour ne voteront bien évidemment pas. Hier soir à 18 heures les préfectures ont fermé leurs portes, marquant ainsi la fin du dépôt des listes pour ce second tour et il y a fort à parier que dans un certain nombre de grandes villes les sujets écologiques auront la part belle dans les débats.
Outre Grenoble déjà administrée par un maire écologique depuis 2014, Lyon ou Bordeaux pour ne citer qu’elles sont des villes ou EELV figure en relative bonne position et a de réelles chances d’accéder à la mairie centrale. Plus largement, la prise de conscience des problématiques environnementales pourrait pousser, dans les années à venir, bien plus loin le débat sur ces sujets là et la politique de transports publics est sans doute l’un des meilleurs atouts dans les mains des mairies pour agir concrètement pour l’écologie. Rendre gratuits lesdits transports serait effectivement à la fois une mesure environnementale et une mesure sociale.
Le choix politique de l’allocation des ressources
Le principal argument avancé pour fustiger toute velléité de rendre gratuit les transports publics est assurément la question financière. Les contempteurs d’une telle mesure expliquent prestement que cela représenterait un coût insurmontable pour les mairies qui sont déjà étranglées financièrement. Il me semble pourtant que, sur ce sujet comme sur les autres d’ailleurs, il s’agit là de choix politiques. Plutôt que courir derrière la construction de grandes infrastructures sportives qui n’ont aucun sens (la question des complexes de piscines illustre bien les dérives de cette course à qui aura les plus bels équipements) ou de souscrire à des partenariats publics-privés – ces fameux PPP qui ont envahi la gestion locale – très onéreux et qui profitent bien plus aux entreprises qu’aux administrés, il est possible d’allouer ces ressources à la gratuité des transports en commun.
En France, la plus grande agglomération à s’être lancée dans la gratuité de son réseau de transport en commun est Dunkerque. Depuis le 1er septembre 2018, le réseau de bus est effectivement gratuit et si cela a généré un surcoût important pour les dépenses de la ville – environ 13,5 millions d’€ (8,5 millions d’€ pour le surcoût d’exploitation et 4,9 millions d’€ de manque à gagner) selon la mairie – a été absorbée par la baisse d’autres dépenses comme l’abandon de la construction d’une salle de sport et concert de 8000 places. Cette mesure a surtout, selon le maire, coûté moins cher que la baisse des dotations décidée par François Hollande durant son quinquennat, baisse de dotations qui continue avec le quinquennat actuel.
Au cœur de la politique environnementale et sociale
La mise en place d’une telle gratuité est avant tout une formidable mesure environnementale. Favoriser l’utilisation des transports en commun et non plus de la voiture pour se déplacer dans la ville est évidemment un moyen de faire diminuer tant la circulation que la pollution mais également une formidable occasion de permettre à des personnes qui n’auraient pas pu prendre les transports en commun régulièrement sans la gratuité de le faire. Dunkerque, pour reprendre le même exemple, a vu la fréquentation de ses bus bondir de 65% en semaine et de 125% le week-end la première année de la gratuité, ce qui prouve bien l’utilité d’une telle mesure. Grâce à la baisse de fréquentation des voitures, les parkings ne sont plus remplis et la mairie envisage d’y construire des parcs ou des logements à la place.
Ce positionnement de Dunkerque est porteur de beaucoup d’enseignements notamment le fait qu’une politique ambitieuse en termes de transports publics ne peut être pertinente que dans le cadre d’une politique plus globale. Toute politique environnementale qui se couperait de l’aspect social serait immédiatement disqualifiée et rejetée (les Gilets Jaunes ont bien montré la chose sur ce point). Mettre en place la gratuité des transports publics sans moderniser le réseau et faire en sorte qu’il desserve toute la ville de manière efficace serait un coup d’épée dans l’eau. Si demain la ville de Marseille décide de rendre son réseau de transports gratuits, cela ne changera rien au fait qu’il faut aujourd’hui près d’une heure pour se rendre de la Savine au centre-ville.