Les populismes en quelques lignes

A quelques jours d’une mobilisation sociale qui s’annonce extrêmement suivie et à quelques mois d’élections municipales qui ont toutes les chances de se révéler très difficiles pour le pouvoir en place, il y a de fortes chances que La République en Marche et toute la galaxie qui gravite autour d’elle use et abuse à nouveau de l’argument affirmant qu’Emmanuel Macron et ses affidés sont les remparts contre les populismes et contre ceux qui ne veulent pas avancer. C’est effectivement en grande partie l’argumentaire qui avait été utilisé en 2017 pour tenter de se distinguer des autres forces politiques, à savoir se présenter comme le mouvement modéré, tempéré au contraire de ses adversaires alors même que le monarque présidentiel ne représente rien d’autre que l’extrême-centre qui n’est pas le moins forcené des extrémismes.

Il faut dire que la caste au pouvoir peut profiter de l’intérêt que suscite le concept de populisme en même temps que la grande confusion qui règne autour de ladite notion pour amalgamer tout et n’importe quoi. Il n’est effectivement pas rare de voir la carte populisme être brandie pour discréditer tous les mouvements qui s’opposent au pouvoir en place un peu comme si tous les populismes se valaient, c’est clairement l’option argumentaire choisi par la camarilla au pouvoir pour ne pas avoir à discuter du fond. D’une certaine manière, le terme de populisme est devenu une sorte de nouveau point Godwin que l’on utilise pour mettre un terme à la discussion en présentant son interlocuteur sous les traits d’un affreux réactionnaire qui ne veut pas avancer. Il devient, je crois, plus que temps d’avoir une approche rigoureuse de ce concept.

La grande confusion

Je le disais plus haut, l’une des grandes utilisations du concept de populisme consiste à amalgamer extrême-droite et gauche plus ou moins radicale. L’on se souvient de la caricature où Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon avaient leurs discours qui se rejoignaient comme pour signifier qu’il n’y avait pas de différences fondamentales entre ces deux courants politiques. Dans cette entreprise, l’apparition de la notion de populisme a été (et demeure) bien pratique pour le pouvoir en place puisqu’il lui permet de ranger dans une même case des courants politiques que tout oppose. Alors même que la construction intellectuelle et idéologique des deux types de populismes – pour faire court celui de gauche et celui de droite – sont radicalement opposées en cela que le peuple n’est absolument défini de la même manière dans les deux cas, la définition, bien peu rigoureuse en termes de sciences politiques, d’un populisme qui « embrasserait les deux extrêmes » demeure bien vivace.

A force d’amalgamer tout et n’importe quoi pour faire du simple terme populisme un gros mot, les confusionnistes ont effectivement réussi à faire oublier qu’il existait bel et bien différents types de populisme et que le populisme de gauche ne saurait être l’équivalent de celui de droite. Dans un excellent article du Monde diplomatique publié en juillet 2014, le sociologue Gérard Mauger, se donne l’objectif de tracer la démarcation entre les deux et aboutit à la conclusion que c’est la manière d’appréhender le peuple qui sépare, en tout premier lieux, les deux populismes. Le populisme de droite convoque l’imaginaire d’un peuple bien plus ethnos que demos, un peuple envahi ou menacé d’envahissement. En épousant cette stratégie politique, en parlant de « submersion migratoire » par exemple ou encore en faisant du thème de « l’insécurité culturelle » le pivot de leur propos, nombreux sont les médias et les groupes politiques à faire le jeu, d’une manière ou d’une autre, de la théorie du grand remplacement. Parce que c’est aussi là le grand danger de ce confusionnisme ambiant : celui-ci participe non seulement à discréditer les idées de gauche mais a surtout pour conséquence d’euphémiser des courants qu’il faut nommer par leurs noms à savoir autoritaires, racistes et complotistes. La double peine en somme.

L’erreur stratégique du populisme de gauche (ou le piège des 99%)

Dans ma construction politique et intellectuelle personnelle, le populisme qui m’intéresse est évidemment celui de gauche. C’est pour cela que c’est sur celui-là qu’il me parait important de s’arrêter et notamment sur l’erreur stratégique que cette doctrine comporte à mes yeux. Bien que celui-ci ait des avantages indéniables, notamment celui de participer à nommer frontalement l’adversaire et à permettre de sortir de l’abstraction « il faut lutter contre le capitalisme » pour rendre la chose beaucoup plus concrète – vous aurez remarqué que le terme de caste, inhérent à ce populisme, est souvent utilisé sur ce blog – il me semble que le populisme de gauche reste prisonnier de sa contradiction originelle. En partant du postulat qu’il est possible de construire un peuple qui s’opposerait aux élites, au 1%, il offre un point d’accroche qui peut sembler intéressant pour mobiliser largement.

Toutefois, en congédiant en grande partie Marx de sa construction théorique et intellectuelle, le populisme de gauche se coupe de la logique des classes qui, bien qu’elle ait évolué entre sa théorisation par Marx et aujourd’hui, existe toujours – l’adaptation des thèses de Marx à la situation actuelle est d’ailleurs selon moi l’un des enjeux majeurs de la gauche dans les années à venir. Le postulat premier du populisme de gauche est en réalité que face au 1%, les 99% ont des intérêts communs et que de cette communion d’intérêts surgira l’union permettant de renverser la table en instaurant un nouveau système. Néanmoins, il me semble qu’adopter cette grille de lecture est une erreur stratégique majeure puisque cette approche présuppose que les 99% seraient un groupe homogène à la recherche des mêmes intérêts. Dans la réalité, les 99% sont une masse difforme et très hétérogène. Le médecin ou le très haut cadre font bel et bien partie de cette masse mais ne partagent assurément pas les mêmes intérêts que le petit ouvrier ou le membre du précariat. Passer à côté de cette complexité c’est se condamner stratégiquement à courir derrière une unité assez vaine et utopique.

Crédits photo: The Daily Beast

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