[Edit]: J’ai par erreur cru qu’Alain Juppé était nommé président du conseil constitutionnel alors qu’il est simplement nommé membre. Que cette erreur importante soit corrigée, j’en suis désolé.
Il y a quelques jours, nous apprenions qu’Alain Juppé allait être nommé au conseil constitutionnel. Dans une conférence de presse versant volontiers dans le pathos, le futur-ex maire de Bordeaux a expliqué à quel point cela constitue un déchirement de quitter la ville dont il a été maire durant plus de 23 ans – il a régné sur la capitale aquitaine de 1995 à 2019 avec une pause de presque deux ans entre décembre 2004 et octobre 2006. Proposé par le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, sa nomination au conseil constitutionnel est assurément l’une de ces décisions concoctées dans les cénacles du pouvoir et dont les raisons, ou tout du moins une partie d’entre elles, échappent au profane.
Futur successeur de Laurent Fabius, l’ancien candidat à la primaire de la droite ne va, en s’installant dans le siège de « sage », pas déroger à une vieille tradition française de nomination de responsables politiques au conseil constitutionnel – nous y reviendrons. Alors que Didier Migaud était pressenti pour être nommé dans ce qui est parfois pompeusement appelé le conseil des Sages, c’est donc à un formidable contre-pied que nous avons assisté, contre-pied qui en dit très long sur les carences françaises dans le domaine du contrôle constitutionnel.
De l’exemplarité
Comme son nom l’indique, le conseil constitutionnel a pour rôle de statuer sur le caractère constitutionnel ou pas des lois mais également de s’assurer de la bonne tenue des élections. « Régulateur du fonctionnement des pouvoirs publics et juridiction aux compétences variées, il a notamment la charge du contrôle de conformité de la loi à la Constitution » comme l’explique la description présente sur son site internet. A cet égard, la nomination d’Alain Juppé a de quoi soulever un nombre certain de questionnements. Condamné dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris, inéligible pendant un certain temps, le futur membre du conseil constitutionnel ne parait pas être la personnalité idoine pour siéger au sein de ce qui est l’équivalent de la cour constitutionnelle ou de la cour suprême dans d’autres pays – des différences existent bien entendu mais, dans les grandes lignes, la comparaison se tient.
D’aucuns ont beau arguer qu’Alain Juppé devrait, comme tout le monde, bénéficier d’un droit à l’oubli et d’un droit à la seconde chance, il n’en demeure pas moins vrai qu’une telle nomination me semble problématique du simple point de vue de l’exemplarité. Elle le parait d’autant plus si l’on s’intéresse à la deuxième mission principale dévolue au conseil constitutionnel, à savoir celle d’être le garant des diverses élections. La présence importante d’Alain Juppé auprès de Nicolas Sarkozy peut éveiller le soupçon dans la mesure où ce dernier a vu sa campagne de 2012 dépasser allègrement le plafond légal sans que le conseil constitutionnel n’invalide l’élection et que la campagne de 2007 reste sous la menace d’un financement libyen, là encore non décelé par les Sages.
Par-delà Juppé
A la lecture de ces faits, l’on pourrait se dire que le problème Juppé n’est finalement que conjoncturel, qu’il n’est lié qu’à sa personne et son passif. Je crois pourtant qu’il ne faut pas tomber dans ce piège et critiquer plus largement le fonctionnement global du conseil constitutionnel. Plus précisément, la nomination d’Alain Juppé me parait être un élément parfait pour pointer les carences gravissimes de cette institution. Il est en effet totalement aberrant de constater que le gros des membres de ladite institution est composé d’hommes et de femmes politiques, souvent âgés, un peu comme s’il s’agissait d’une forme de retraite dorée que l’on octroyait à telle ou telle personne en récompense de services rendus ou pour d’obscures raisons politiciennes.
A ce titre, il est assez ironique de constater que ce pouvoir soi-disant acquis aux sirènes de la compétence – c’est l’un des principaux mantras du macronisme – s’inscrit pleinement dans la tendance qui, certes, lui préexistait de nommer des personnalités politiques dans cette institution. Alors que dans de nombreux autres pays la cour constitutionnelle ou cour suprême est composée de juges garantissant la compétence et l’expertise – on peut citer par exemple le Bundesverfassungsgericht allemand ou les cours suprêmes étasuniennes et suédoises – la France s’entête à ne pas nommer des juges experts de la question constitutionnelle mais à transformer son ersatz de cour suprême en placard doré. A l’étranger, le pouvoir politique n’est certes pas bien loin des nominations comme on peut le voir à chaque nomination d’un juge à la cour suprême des Etats-Unis mais c’est aussi pour leur expertise que les juges sont nommés. Plutôt que se borner à critiquer la nomination d’Alain Juppé, c’est donc toute l’architecture de l’institution qui est à revoir. Sans cela, la critique demeurera parcellaire et bancale.
Crédits photo: Ouest-France
[…] Source : https://marwen-belkaid.com/2019/02/26/conseil-constitutionnel-le-symbole-juppe/ Auteur : Date de parution : 2019-02-26 21:20:10 […]
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