Antiparlementarisme, la mauvaise cible

C’est assurément l’une des idées les plus en vogue en ce moment. Elle figure en bonne place des discours dans les manifestations tous les samedis depuis plus de deux mois et s’inscrit pleinement dans l’atmosphère populiste – je précise que je n’utilise pas ce terme nécessairement de manière péjorative – en cela que le fondement même du populisme est le discours du peuple contre les élites. Cette idée dont je parle, c’est la défiance à l’égard des élus, plus précisément ceux de l’Assemblée nationale. Très en vogue, le discours populiste aboutit bien souvent à considérer que l’un des problèmes est celui des élus. En France, par-delà la figure d’Emmanuel Macron, c’est donc les députés qui sont brocardés.

Il ne s’agit évidemment pas de dire que les députés sont intouchables et ne doivent pas être critiqués, chose que je ne pense pas, mais bien plus de remettre en perspective l’antiparlementarisme ambiant dans les institutions actuelles. Aussi ce papier ne peut-il concerner que la situation française puisque dans notre pays le rôle de l’Assemblée nationale est très singulier depuis quelques années et l’inversion du rythme électoral. A ce titre, la fustigation (que je considère comme juste et légitime) des élites ne doit selon moi pas se concentrer sur les députés au risque de viser une mauvaise cible et, plus grave encore, avoir des effets extrêmement pervers en accentuant les dynamiques contre lesquelles l’on prétend lutter.

La peau de chagrin

Cette défiance à l’égard du Parlement n’est pas nouvelle en France. Pour clarifier les choses une bonne fois pour toutes, il me semble qu’il y a diverses manières d’exprimer cette défiance. A cet égard, la critique qui va suivre n’embrasse pas les positions défendant une révocation des élus ou l’instauration d’un mandat impératif qui sont, selon moi, à même de démocratiser quelque peu le système représentatif – qui n’est en rien démocratique, rappelons-le. Au-delà de ces positions il y a également une forme d’antiparlementarisme très développée et qui vient de très loin. Si l’on devait replacer sa genèse dans l’histoire contemporaine il n’est pas absurde de la placer à l’émergence du poujadisme. Pierre Poujade et ses suiveurs ont effectivement construit leur notoriété sur leur engagement antiétatique et leur antiparlementarisme accru.

Par-delà le caractère conservateur voire réactionnaire du mouvement poujadiste, il me semble totalement aberrant de défendre les mêmes positions que lui aujourd’hui sur la question du Parlement. A l’époque de son émergence, la France était alors sous le régime de la IVème République qui était un régime parlementaire au sein duquel l’Assemblée avait un poids réel. Depuis l’avènement de la Vème République et plus encore depuis l’inversion du calendrier électoral concomitant de la mise en place du quinquennat, le pouvoir du Parlement a diminué comme peau de chagrin pour n’être plus rien ou presque aujourd’hui. De pouvoir législatif réel, le Parlement s’est progressivement transformé en chambre d’enregistrement des mesures décidées par le Président et son gouvernement. Le poids déjà très faible du Parlement fait, à mes yeux, qu’il n’est guère pertinent de concentrer les critiques sur celui-ci mais bien plus de remettre radicalement en cause le système institutionnel dans sa globalité.

La dynamique perverse

Plus encore que viser la mauvaise cible, il me semble que l’antiparlementarisme peut avoir des effets extrêmement pervers – au sens premier du terme, à savoir une chose qui peut sembler bénéfique de prime abord mais qui se révèle être en réalité très néfaste. Critiquer vertement l’Assemblée, le nombre de députés ou le budget qui est alloué au Parlement pourrait en effet aboutir paradoxalement à un renforcement du système institutionnel contre lequel l’on prétend lutter. Emmanuel Macron a bien compris qu’il pouvait tirer parti de cette défiance et il ne serait guère surprenant de le voir proposer un référendum sur la question de la révision constitutionnelle qui a été avortée avec l’affaire Benalla.

Je ne serais effectivement pas surpris de voir le monarque présidentiel tenter de surfer sur ce rejet et cette défiance du monde politicien en proposant une réduction drastique du nombre de parlementaire par exemple. Un tel référendum, qui pourrait être gagnant selon moi, ne viserait finalement à rien d’autre qu’à renforcer encore un peu le pouvoir exorbitant de l’exécutif et à rendre le système encore moins représentatif qu’il ne l’est actuellement. L’ironie de l’histoire est donc que c’est en surfant sur une défiance aux contours mal définis qu’un tel coup de force pourrait être réalisé. Il est plus que temps de répéter encore et encore que le seul adversaire qui importe c’est le système. Si nous échouons à comprendre cela alors nous pourrons remporter ce qui nous semble être des victoires mais alors celles-ci nous mèneront droit à la bérézina. Au travail.

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