Contrôle des chômeurs, l’odieux durcissement

Le 31 décembre dernier au soir, au moment de prononcer ses vœux, Emmanuel Macron a glissé une petite phrase passée inaperçue ou presque. En parlant de foules haineuses pour décrire les manifestants qui se rassemblent depuis des semaines un peu partout en France, le monarque présidentiel a sans doute voulu faire diversion. La petite phrase en question concernait le durcissement du contrôle des chômeurs. Ledit contrôle a effectivement été drastiquement durci par un décret publié en catimini en fin d’année dernière. Alors même que le pays connait un moment de tensions exacerbées depuis des semaines, voilà le pouvoir qui, non content de ne pas répondre aux revendications des Gilets Jaunes, vient enfoncer le clou comme pour mettre en acte ses paroles sur le cap qui sera tenu.

Décidé il y a plusieurs mois déjà, l’odieux durcissement du contrôle des chômeurs auquel nous assistons a, me semble-t-il, plusieurs buts. En choisissant de faire fi de la contestation sociale actuelle qui porte justement sur le niveau de vie des plus dominés de cette société, Emmanuel Macron et sa caste ne font rien d’autre que de prouver à quel point leur entêtement et leur idéologie sont là pour servir les plus puissants de notre société. En décidant de suspendre les allocations chômage dès le premier rendez-vous manqué ainsi que de faire voler en éclat la notion d’offre d’emploi « raisonnable », le pouvoir ne fait que montrer un peu plus son visage et la vision de la société qu’il entend imposer.

Le symbole sécuritaire

Invité au JT de 20h de TF1 hier soir, Edouard Philippe a présenté tout un arsenal juridique pour, selon lui, lutter contre les violences lors des manifestations. En esquissant l’idée d’une interdiction de manifestation calquée sur les interdictions de stade bien connues par les supporters de football – je reviendrai prochainement sur ce sujet précis – et en adoptant un discours que l’on pourrait qualifier de martial, le Premier ministre n’a fait que confirmer le degré sécuritaire atteint par ce pays. Il serait évidemment injuste de circonscrire cette poussée sécuritaire au seul pouvoir actuel mais force est de constater que celui-ci porte cette question à incandescence, l’inscription de l’état d’urgence dans la loi ordinaire symbolise à merveille cet état de fait.

En faisant le choix de criminaliser le mouvement social et en dégainant un arsenal sécuritaire jamais vu jusqu’ici, le pouvoir en place cherche très clairement à démontrer qu’il est prêt à tout ou presque pour demeurer en place. Plus largement, la caste au pouvoir pourrait être résumée par une maxime assez simple voulant qu’elle est forte avec les faibles et faible avec les forts. A cet égard, le durcissement du contrôle des chômeurs s’inscrit pleinement dans cette logique dans la mesure où il s’agit encore une fois de faire montre d’une sévérité extrême avec ceux qui ne peuvent pas réellement se défendre quand, dans le même temps, l’évasion et la fraude fiscales sont tolérées voire favorisées par des mesures votées par cette majorité fantoche. L’extension du domaine sécuritaire, voilà comment l’on pourrait définir l’action du locataire de l’Elysée et de sa clique.

L’emploi à tout prix

Il serait aisé de s’arrêter à l’écume de cette décision, de n’y voir qu’une volonté de fliquer (puisqu’il faut appeler les choses par leur nom) les chômeurs et de les jeter dans une insécurité permanente. Je crois pourtant qu’il faut aller plus loin et interroger ce que nous révèle ces décisions de la vision de la société portée par Monsieur Macron et ses sbires. Par-delà la question sécuritaire symbolisée par la suspension de l’allocation dès le premier rendez-vous manqué, il me semble que la redéfinition – pour ne pas dire la suppression – du principe d’offre d’emploi « raisonnable » en même temps que la volonté d’obliger les chômeurs à accepter les offres qu’on leur propose sous peine de voir leur allocation amputée voire supprimée en dit très long.

Nous sommes effectivement en présence d’une forme d’apocalypse au sens premier du terme (à savoir une révélation) puisque derrière cette décision se niche en réalité la vision de la société portée par Emmanuel Macron et tous ceux qui le soutiennent. Que postule cette vision sinon qu’il vaut mieux être un travailleur pauvre prêt à accepter n’importe quel emploi sous-rémunéré ? Parce que le fond du problème est bien celui-là. Plus que la volonté de culpabiliser les chômeurs, nous y reviendrons, c’est cet état de fait que révèle ce durcissement du contrôle. Il s’agit en somme d’appliquer le fameux modèle allemand où des travailleurs sont obligés de cumuler plusieurs emplois pour pouvoir survivre. L’emploi à tout prix est le dogme qui se dissimule derrière ce durcissement.

L’absurde contemporain

« L’absurde, écrit Albert Camus dans Le Mythe de Sisyphe, naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde. C’est cela qu’il ne faut pas oublier ». Plus loin, toujours dans le même livre, le philosophe ajoute : « Je suis donc fondé à dire, continue le philosophe dans le même livre, que le sentiment de l’absurdité ne naît pas du simple examen d’un fait ou d’une impression mais qu’il jaillit de la comparaison entre un état de fait et une certaine réalité, entre une action et le monde qui la dépasse. L’absurde est essentiellement un divorce. Il n’est ni dans l’un ni dans l’autre des éléments comparés. Il naît de leur confrontation ». Les mots de Camus me paraissent illustrer avec une acuité particulière la situation actuellement révélée par le durcissement du contrôle des chômeurs.

Alors même que le pays traverse ce que l’on peut aisément qualifier de mouvement insurrectionnel dont la principale revendication est une augmentation du niveau de vie et une plus juste répartition des richesses, le pouvoir en place décide d’ignorer ce cri et de taper encore plus fort sur les plus dominés. Dans le même temps, comme je l’écrivais plus haut, rien ou presque n’est fait pour lutter de manière efficace contre la fraude fiscale, le verrou de Bercy est toujours en place et les fraudeurs sont tranquilles. Dans le même temps, le gouvernement transforme le CICE qui n’était qu’un crédit d’impôt en baisse de cotisations patronales, faisant ainsi un cadeau de plusieurs dizaines de milliards d’€ et mettant à mal le principe même du système assurantiel du chômage.

Le grand enfumage

Je crois, en effet, qu’il importe de saisir la volonté profonde qui préside à ce durcissement du contrôle des chômeurs. L’argument avancé par les défenseurs de ce durcissement est assurément budgétaire. Ils nous expliquent que le pays n’a plus les moyens de verser autant d’allocation chômage et qu’il faut donc contraindre les chômeurs à retourner au travail. Pourtant, une rapide analyse de la situation suffit à battre en brèche cet argumentaire. La suppression de l’ISF ou la transformation du CICE pour ne citer qu’elles ont un coût bien plus important. Comment dès lors comprendre ce durcissement sinon par la volonté de faire croire d’autres choses à la population ? Ce grand enfumage concerne, à mon sens, deux principaux sujets : la culpabilisation des chômeurs et la volonté de casser le modèle assurantiel.

Le premier des deux sujets est le plus évident. En durcissant ainsi le contrôle, le pouvoir entend faire croire à la majorité de la population que si les chômeurs sont dans leur situation c’est qu’ils le veulent (on se rappelle la phrase sur les chômeurs partant en vacances aux Bahamas). Toute la politique menée vise à démontrer que ce sont les chômeurs et eux seuls qui sont responsables alors même que les postes à pourvoir sont largement inférieurs au nombre de chômeurs (dans un rapport d’environ un à dix). Ce premier mensonge déconstruit, il s’agit désormais de s’attaquer au plus inquiétant des sujets, inquiétant parce que justement il est dissimulé. Derrière le durcissement du contrôle il y a effectivement un discours nauséabond qui se met en place, celui selon lequel les chômeurs ne seraient que des profiteurs. Depuis son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron entend faire complètement exploser le modèle social français et casser le modèle assurantiel du chômage. C’est dans cette optique qu’il fait baisser les cotisations pour assécher le financement du modèle assurantiel et amputer le salaire différé des salariés. En durcissant le contrôle des chômeurs il tente d’accréditer la thèse selon laquelle le chômage serait une allocation alors qu’il est en réalité une assurance pour laquelle tous les travailleurs cotisent. Les chômeurs ne volent rien du tout, ils bénéficient simplement de l’assurance pour laquelle ils ont cotisé. Il est impérieux de casser et de déconstruire ce discours mensonger. Dans la philosophie camusienne, la révolte succède au sentiment de l’absurde. Il est urgent que nous nous révoltions encore plus fort puisque, selon la magnifique phrase du philosophe, je me révolte donc nous sommes.

Crédits photo: Sud Ouest

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