Chers députés La République en Marche, j’ai quelque peu hésité avant de vous écrire ces quelques lignes. J’ai hésité non pas en raison de je ne sais quelle pudeur ou appréhension, après tout dans un système qui se veut démocratique il est tout à fait normal que les citoyens puissent interpeller les députés qui sont, dans les institutions françaises, les représentants du peuple. Si j’ai hésité, c’est assurément bien plus en raison du caractère sans doute inutile qu’aura cette missive. Je doute fort que l’un d’entre vous la lise et quand bien même cela arriverait, il est peu probable que celle-ci influe sur votre vote à propos de la loi asile et immigration présentée et défendue par Gérard Collomb ce jour-ci à l’Assemblée.
C’est en effet à propos de cette loi que je souhaite vous interpeller, cette fameuse loi selon laquelle, si on écoute les éléments de langage du gouvernement, l’Etat français agira désormais avec fermeté et humanité à propos des exilés. La fermeté, on la voit à l’œuvre depuis l’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron et la nomination de Gérard Collomb place Beauvau. Toutes les associations venant en aide à ces pauvres hères dénoncent d’une seule et même voix les pratiques inhumaines que font subir les forces de l’ordre à ceux qui, bravant la peur, regardant la mort en face et n’ayant souvent pour bagages que leurs enfants, tentent non pas de trouver une meilleure vie ailleurs que dans le pays qui les a vus naitre mais simplement de trouver une vie moins pire si vous me permettez cette faute de français.
Cette loi asile et immigration n’est en réalité qu’une manière d’expulser de plus en plus de monde. Sous couvert d’efficacité, le mot que votre président utilise avec tant d’outrance qu’il finit par le dénaturer, elle organise le traitement inhumain de personnes à qui l’on retire toute dignité. Cette loi est l’une des victoires intellectuelles les plus probantes de l’extrême-droite. Voter en faveur de celle-ci dans l’hémicycle c’est se ranger au côté de ces idées rances et pestilentielles. Il n’y a aucune modernité à traiter des êtres humains qui fuient la guerre, les menaces ou la misère comme la lie de l’humanité qu’il faudrait s’empresser d’expulser. Il n’y a aucune modernité à rallonger la durée de détention en centre de rétention administratif. Aucune modernité à enfermer des enfants. Aucune modernité à laisser des femmes, des hommes et des enfants traverser les Alpes pieds nus au péril de leur vie. Aucune modernité à soutenir la mise en place d’un délit de solidarité dont la formulation même est une obscénité et une insulte à notre intelligence et à notre humanité. Là où vous et vos ministres voient de la modernité, de l’efficacité, du pragmatisme ou de l’équilibre, je ne vois que l’archaïque loi du plus fort et l’expression de l’inhumanité de l’être humain. Après avoir détruit directement ou indirectement ces pays, voilà la France, la soi-disant patrie des droits de l’Homme, qui fait tout pour martyriser ceux qui fuient le désastre.
Bien sûr, il est des points sur lesquels nous ne serons jamais d’accord. Vous avez été élus sur une ligne néolibérale quand je suis volontiers un critique acharné du capitalisme. D’ailleurs je ne cherche pas à vous interpeller sur les sujets économiques ou sociaux, parce que nos positions sont à des années lumières. Je dois pourtant admettre que je vous pensais libéraux sur tous les plans, économique et politique. Je ne croyais pas qu’une fois au pouvoir vous voteriez le doigt sur le pantalon des lois mettant à mal les droits humains ou la démocratie. Je sais bien que, pour beaucoup d’entre vous, vous ne devez votre élection qu’à la figure d’Emmanuel Macron accolée à la votre sur les affiches électorales lors de la campagne législative mais tout de même, avez-vous à ce point perdu tout sens et esprit critiques ?
Le gouvernement que vous soutenez ou vous-mêmes, vous utilisez jusqu’à la nausée l’argument du courage. Lorsque vous menez des coupes budgétaires vous nous affirmez qu’il s’agit là de courage. Lorsque vous mettez en place des mesures impopulaires parce que destinés aux plus riches, le courage est encore convoqué. L’on pourrait entrer dans des débats philosophiques sur ce qu’est la notion de courage et ce qu’elle n’est pas mais je me contenterai d’en donner une approche. A mes yeux le courage c’est aussi et peut-être avant tout de se lever contre quelque chose qui nous parait injuste et ce, peu importe les conséquences. Récemment votre patron, Richard Ferrand, a menacé d’expulsion de manière à peine voilée ceux qui seraient tentés de ne pas voter le projet de loi dont il est question dans cette lettre. Sans doute un nombre important d’entre vous a été sensible à cette menace mais il me semble précisément que le courage c’est de refuser le diktat que tentent de vous imposer les caciques de votre parti et le gouvernement pour voter en votre âme et conscience. Vous avez signé une charte en vous portant candidat je le sais bien mais celle-ci ne vaut rien aux yeux de notre constitution puisque nul mandat ne saurait être impératif et c’est vous, et vous seuls, qui décidez de ce que vous votez. Ce que vous déciderez en ce lundi 16 avril 2018 vous définit. Aurez-vous le courage de vous lever contre ce texte inique et inhumain ou bien consentirez-vous à vous asseoir à la table de l’extrême-droite par pusillanimité ? Je ne m’adresse bien sûr ici qu’à ceux d’entre vous qui ne partagent pas les idées de ce texte mais qui par peur ou fidélité ont l’intention de voter cette loi. Ceux qui sont en phase avec ces idées nauséabondes ne m’intéresse pas.
L’un des principaux arguments de Gérard Collomb pour défendre son texte face à la fronde naissante au sein de votre groupe a été d’utiliser le fameux principe de réalité. Pour être honnête, le recours à ce principe est une constante depuis votre accession au pouvoir et, comme je l’ai déjà écrit, ce n’est pas du réel dont vous nous parler en l’utilisant mais bien plus du Réel, ce concept fantasmé qui nie totalement la réalité des choses. Le principe de réalité, plutôt que de le brandir en étendard ou en oripeaux, choisissez de vous y confrontez comme l’ont fait certains d’entre vous en allant visiter des centres de rétentions. Allez donc voir à Stalingrad la misère et le désespoir de ces pauvres âmes, passez donc une nuit avec eux, aidez-les et vous comprendrez que le principe de réalité ce n’est pas des chiffres froids et des tableaux Excel comme le prétend Monsieur Collomb. Je vous le répète, ce que vous ferez aujourd’hui vous définira. L’on n’est pas progressiste ou humaniste parce qu’on le proclame. On le devient en agissant en accord avec ces doctrines. Nul discours, nul repentir, nul remord ne pourra effacer ce que vous ferez en votant en faveur de cette loi, elle vous définira pour le reste de votre vie en vous plaçant du côté de l’oppresseur. Et surtout n’oubliez pas, nous sommes tous des immigrés.
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