« Pour la recherche et la prévention des infractions liées à la criminalité transfrontalière, les agents des douanes investis des fonctions de chef de poste ou les fonctionnaires désignés par eux titulaires du grade de contrôleur ou d’un grade supérieur peuvent, dans un rayon maximal de dix kilomètres autour des ports et aéroports constituant des points de passage frontaliers […] vérifier le respect, par les personnes dont la nationalité étrangère peut être déduite d’éléments objectifs extérieurs à la personne même de l’intéressé, des obligations de détention, de port et de présentation des pièces ou documents prévus à l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ».
Ces phrases sont issues de l’article 10 du projet de loi anti-terroriste dont j’ai déjà parlé la semaine dernière. Noyées dans la masse des mesures liberticides et autoritaires, elles n’ont pas fait beaucoup de bruit alors même qu’elles institutionnalisent, à mes yeux, le caractère délinquant de notre pays qui, vous l’aurez bien compris, semble se contrefoutre allègrement du principe d’égalité, ce même mot qu’il affiche sur le fronton de tous ses bâtiments. J’ai déjà dit tout le mal que je pensais de la globalité de cette loi et de pourquoi je considérais qu’il s’agissait là de la mort des libertés publiques mais il me semble qu’il est important de revenir sur cette disposition particulière tant elle est révélatrice d’une dérive au sommet de l’Etat.
La légalisation des contrôles au faciès
Le gouvernement a beau se débattre, dire que les dispositions en question ne sont là que pour lutter contre le terrorisme et ne constituent en aucun cas une institutionnalisation – et donc une normalisation – du contrôle au faciès, une étude rapide du texte démontre prestement le contraire. Que peuvent donc être ces « d’éléments objectifs extérieurs à la personne même de l’intéressé » ? Le ministre de l’Intérieur jure qu’il ne s’agit pas du faciès étant donné qu’est présente le mot « extérieurs » mais on peine à imaginer quel autre élément que la teint de la peau pourrait bien constituer un signe extérieur dont on peut déduire le caractère étranger d’une personne ou pas.
On se rappelle qu’il y a un peu plus d’un an, l’Etat s’était pourvu en cassation contre certaines personnes l’ayant assigné en justice – et ayant gagné leur procès face à lui – pour discriminations dans le cas de contrôle au faciès (nous y reviendrons). Aujourd’hui ce que nous voyons se mettre en place n’est ni plus ni moins que la légalisation de cette pratique abjecte et discriminatoire. Qu’il est loin le temps où François Hollande, alors candidat, s’engageait à mettre en place un récépissé de contrôle d’identité pour lutter contre le contrôle au faciès. Le landerneau politicien et identitaire aura eu raison de cette volonté en aboutissant même à l’odieuse tentative d’inscrire la déchéance de nationalité dans la Constitution. Si je parle de légalisation et de généralisation du contrôle au faciès permis par cette loi c’est bien parce que, loin de ce que peut laisser penser le texte, c’est l’ensemble du territoire ou presque (du moins les grandes villes) qui sont concernées. Toutes les gares de grandes villes sont le lieu d’arrivée de train en provenance de l’étranger. C’est donc sur l’ensemble du territoire ou presque que le contrôle au faciès est désormais autorisé.
Rupture ou continuité ?
A la lecture de cet article – a fortiori après l’adoption du projet de loi – d’aucuns se sont alarmés de voir que le contrôle au faciès allait être institutionnalisé en expliquant que celui-ci constituait une rupture fondamentale avec l’histoire de notre pays, qu’il nous ramenait aux heures les plus sombres de notre histoire (expression la plus partagée au monde je crois) et que rien ne serait désormais comme avant. A la vue de ces réactions, je dois avouer que je ris un peu jaune quand j’entends parler de rupture fondamentale, un peu comme si les contrôles au faciès n’existaient pas auparavant. Pour tout dire ces réactions m’ont un peu fait penser à ceux qui nous expliquaient que si Madame Le Pen était élue en mai dernier, le racisme ferait son apparition dans le pays, adoptant donc le présupposé que celui-ci n’existe pas à l’heure actuelle.
Finalement, cet article 10 semble avoir joué pour beaucoup le rôle de l’apocalypse, de la révélation. De la même manière que les violences policières lors des manifestations contre la loi El Khomri avaient servi de révélateur à une partie de la population qui semblait découvrir que les populations des quartiers populaires avaient été les rats de laboratoire de l’Etat policier, cet article 10 va peut-être permettre d’expliquer à ces mêmes belles âmes que la discrimination étatique est présente depuis bien longtemps dans notre pays, celui qui foule au pied les mots présents dans sa devise. Cela fait des années en effet que les contrôles au faciès ont lieu sur l’ensemble du territoire sans que cela ne semble émouvoir grand monde. Tout comme le mouvement Ultra dans les stades de foot avait alerté en vain la population sur les politiques liberticides qui s’annonçaient et dont il était le cobaye, les populations des quartiers populaires ont crié dans le désert pour dénoncer violences policières et arbitraire de l’Etat. Il est malheureux que la prise de conscience générale ne commence l’initiation de son début que maintenant.
Nous le voyons donc, avec le vote de ce projet de loi et de l’article 10 en particulier, c’est à l’institutionnalisation de l’Etat délinquant auquel nous avons assisté. Bien évidemment ledit Etat nous explique que c’est pour lutter contre le terrorisme qu’il faut en passer par là et que sacrifier quelques libertés pour la sécurité est un moindre mal. Je crois au contraire qu’agir de la sorte est la plus belle des victoires que l’on peut offrir aux terroristes tant cela montre à quel point notre système politique est faible et si peu démocratique qu’il est prêt à renier ses valeurs. Dans cette nuit si sombre qui semble parti pour durer très longtemps, il est grand temps de commencer à rallumer les étoiles selon le si beau vers d’Apollinaire.
[…] Source : Contrôles au faciès, l’institutionnalisation de l’Etat délinquant […]
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