Au royaume des privatisations cyniques

 Bien que peu présente dans les médias, la question des privatisations est l’un des sujets importants de la rentrée pour le gouvernement. Lors de l’université d’été du Medef il y a quelques jours, Bruno Le Maire a, en effet, expliqué que l’Etat allait vendre très rapidement des participations qu’il détient dans des entreprises. Dès hier, d’ailleurs, nous apprenions que l’Etat avait vendu un peu plus de 4% de ses parts dans Engie pour 1,4 Milliards d’euros. Cette volonté de privatiser à tout va correspond, il me semble, à un double objectif. De manière structurelle cette course aux privatisations est la conséquence de l’idéologie néolibérale actuellement au pouvoir qui considère que l’Etat doit se désengager au maximum de la sphère économique pour laisser les entreprises diriger.

Toutefois – et il ne faudrait pas négliger cet aspect de la question – il y a également une raison conjoncturelle à cette volonté de privatiser dès la rentrée selon moi. Effectivement, l’objectif d’Emmanuel Macron étant de rentrer au plus vite dans les clous de la règle des 3% de déficit édictée par Bruxelles, ces privatisations répondent évidemment à une volonté de faire entrer de l’argent dans les caisses si bien que la politique de l’exécutif fleure bon la navigation à vue sur cette question hautement stratégique ainsi qu’en a témoigné la nationalisation temporaire des chantiers navals de Saint-Nazaire. Ces privatisations, qui sont loin d’être l’apanage du nouveau locataire de l’Elysée, s’inscrivent néanmoins dans une logique décennale qui n’a rien à envier au cynisme le plus pur.

 

Le symbole SNCF

 

Au cours de l’été, un incident peu commun a paralysé la gare Montparnasse à Paris. A la suite d’une panne, la gare de l’ouest parisien a en effet été complètement bloquée durant le week-end du chassé-croisé chevauchant les mois de juillet et d’août. La panne en question était celle du système de signalisation situé dans les Hauts-de-Seine. Face à cette panique monstrueuse ayant cours lors de l’un des week-ends les plus chargés de l’année, médias et usagers n’ont pas hésité à tirer à boulets rouges sur la SNCF et sur ses dirigeants. Aussi avons-nous vu ressurgir à ce moment-là le vieux débat sur la privatisation de la compagnie de chemin de fer selon l’antienne désormais bien connue (malgré son inexactitude crasse) qui veut que les entreprises privées gèrent mieux que l’Etat ce genre de situations.

Les vautours libéraux ont en effet cela en commun qu’ils n’attendent guère longtemps avant de fondre sur ce qu’ils considèrent être une charogne et, quoi de mieux que cette panne ainsi que la panique qui s’en est suivie pour attaquer la SNCF et réclamer à cor et à cri sa privatisation comme des petits enfants capricieux ? Ces parfumés – qui espèrent sans doute faire de juteux profits grâce à ladite privatisation – sont bizarrement atteint de cécité quant aux raisons profondes de cette panne. Ce genre de problèmes techniques est en effet causé par le fait que l’investissement soit réduit à peau de chagrin dans bien des entreprises publiques de notre pays. Loin d’améliorer cet état de fait, les privatisations ne font que l’aggraver.

 

Le cynisme à son sommet

 

Ce constat ne s’applique évidemment pas à la seule SNCF mais bien à l’ensemble des services publics que compte notre pays. La coterie au pouvoir depuis des décennies a sciemment mis en place cette logique délétère consistant à ne plus faire d’investissement dans les services publics afin de finir par dire que ceux-ci ne peuvent être sauvés que par des privatisations. Cette logique de privatisation a en effet une histoire dans notre pays et le principe même des privatisations a progressivement colonisé ce que l’on appelle la gauche de gouvernement. En 1981, en effet, à son arrivée au pouvoir, François Mitterrand lance une grande vague de nationalisation. Dès la cohabitation de 1986, Jacques Chirac met en œuvre un plan de privatisation et plus jamais après cette date les pouvoirs politiques qui se sont succédés n’ont plus remis en cause ces privatisations. Tout juste François Mitterrand pratiquera la politique du ni-ni (ni privatisation, ni nationalisation) durant son second septennat.

Dès lors, il devient primordial, il me semble, de déconstruire le mythe qui entoure la « nécessité » des privatisations que l’on nous présente bien trop souvent. C’est précisément parce que l’Etat sous la logique du New Public Management a adopté les codes du monde du business et a réduit les investissements à portion congrue que certains services publics fonctionnent si mal aujourd’hui. Partout, des hôpitaux aux écoles en passant par la poste et l’ensemble des services publics ou presque, la chasse aux coûts est devenue l’alpha et l’oméga des politiques publiques. Expliquer que les privatisations sauveront les services publics c’est prendre les citoyens pour des idiots et inverser les causes et les conséquences. C’est la logique du privé qui tue les services publics. Finalement les privatisations ressemblent à s’y méprendre aux saignées des médecins de Molière. Après avoir saigné à de nombreuses reprises les services publics – en les coupant de la sève que représente l’investissement – on nous explique que la prochaine saignée sauvera le patient. Je suis d’avis qu’elle l’achèvera. A ce titre, si l’on veut prendre un exemple caricatural du cynisme absolu de ces privatisations, il n’y a qu’à se pencher sur la question des autoroutes qui sont déjà rentables pour les entreprises auxquelles l’Etat les a vendues et qui représentent donc un manque à gagner considérable pour notre pays.

 

Nous le voyons donc, les privatisations sont sans doute le symbole le plus puissant du cynisme ambiant dans lequel nous vivons. L’interconnexion entre les milieux politiques et d’affaires n’est pas mieux mise en lumière par cette question qui ressemble à s’y méprendre à un véritable nœud gordien de la vie politico-économique française. Dans mes cours de géopolitique en prépa au moment d’étudier le Japon l’accent était en partie mis sur la présence d’un triangle de fer entre les sphères économiques et politiques. Notre pays n’a absolument rien à envier au pays nippon. Il est par ailleurs possible d’aller au-delà de la seule question des seules privatisations puisque la dépense publique qui augmente est souvent due à des externalisations de services publics qui finissent par coûter plus cher précisément parce que c’est le privé et non le public qui s’en charge. Quand on se rappelle de comment s’est terminée la privatisation des chemins de fer britanniques, il est grand temps de repartir à l’offensive sur cette question. La peur doit changer de camp.

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