Loi Travail et triomphe du marché
Au cours du printemps dernier, François Hollande et son exécutif ont réalisé, pour reprendre les termes d’André Chassaigne, un triple coup de force avec l’adoption de la loi Travail. Coup de force contre les Français majoritairement opposés à ladite loi, coup de force contre l’Assemblée avec l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 de notre Constitution et coup de force enfin contre les salariés. Si les deux premiers coups de force ne se rapportent pas directement au thème que nous abordons ici, le troisième touche, au contraire, pleinement la question du travail. En adoptant cette loi – qui aurait bien plus dû s’appeler « Loi Travaille ! » ou loi Capital – un gouvernement qui se réclame de la gauche a anéanti des années de conquêtes sociales en même temps qu’il a participé à affaiblir un peu plus le travailleur face au patron. D’aucuns diront que la même loi a instauré le compte personnel d’activité et qu’elle est donc une avancée sociale. Je leur laisse bien évidemment leur jugement. Il ne s’agit pas de nier que la loi Travail a instauré de maigres avancées mais – et je crois précisément que c’est là tout le caractère pervers et cynique de cette loi – elle s’est servi de ces maigres avancées comme d’un apparat pour tenter de cacher l’affreuse réalité qu’elle amenait avec elle. La loi Travail, comme j’ai pu l’écrire par le passé, est un symbole de cette dérégulation folle que l’on nous impose depuis des décennies. Ce n’est pas un hasard si l’un des mots d’ordre de Nuit Debout était « contre la loi Travail et son monde ».
Dans le sillage de la contestation de cette loi de régression sociale s’est lancée l’initiative #OnVautMieuxQueça sur les réseaux sociaux, initiative qui est vite devenue virale. Il s’agissait de raconter, anonymement ou pas, les souffrances endurées au travail. C’est précisément l’ensemble de ces souffrances quotidiennes et invisibles aux yeux du marché et des puissants que la loi Travail a institutionnalisé et que la future loi de Monsieur Macron va renforcer. Sous couvert d’agrandir la démocratie sociale elle permet désormais à des syndicats minoritaires d’imposer un referendum qui a tout de l’ultimatum aux salariés. Quelle personne sensée peut, en effet, décemment croire que le choix est libre lorsque pèse la menace du licenciement, de la pauvreté et, parfois, de la perte de logement ? Quelle personne sensée peut décemment croire que les ouvriers accepteraient volontairement de travailler plus sans gagner plus – et donc accepteraient de perdre de l’argent – s’ils n’étaient pas soumis à d’odieux chantages ? Quelle personne sensée peut décemment défendre que cette loi ait agrandi la démocratie sociale alors même qu’elle a été adoptée en passant outre la représentation nationale ? Adopter cette loi, la promulguer ensuite, ça a été faire fi de toute la souffrance au travail qui existe en considérant finalement que les revendications des travailleurs ne sont que des bavardages. Evidemment un tel épilogue dans ce quinquennat n’est guère surprenant puisque François Hollande et ses acolytes ont offert de multiples cadeaux aux entreprises et aux grands patrons sans que rien n’ait été donné en retour – nous y reviendrons plus tard. « Contre la loi Travail et son monde » scandait les manifestants au printemps 2016 et ce slogan reste plus que jamais d’actualité, va devenir un véritable cri de ralliement au fur et à mesure que nous constaterons l’ampleur des dégâts causés par cette loi qui ressemble à s’y méprendre à une véritable boite de Pandore de la casse sociale.
Chômage et burnout
Ce triomphe du marché institué par la loi Travail repose finalement sur deux piliers aussi maléfiques l’un que l’autre. Dans cet océan néolibéral à outrance nous naviguons entre le Charybde du chômage et le Scylla des conditions de travail désastreuses. Il est proprement formidable de constater qu’alors que nous souffrons d’un chômage de masse structurel, les conditions de travail (stress, durée de travail, etc.) se détériorent à toute vitesse sans que nos irresponsables responsables politiques n’y trouvent rien à redire. C’est même pire que cela, plutôt que de lutter contre ce phénomène de ciseaux, ils préfèrent l’accompagner, parfois même le précéder. Le nombre de burnout a littéralement explosé dans notre pays de même que le nombre de chômeurs est en constante hausse depuis bientôt deux mandats. Alors oui on nous expliquera que la fameuse courbe du chômage s’est inversée en 2016 mais à quel prix ? Des radiations abusives, la mise en formation de dizaines de milliers de chômeurs afin de réduire le nombre de membres de la fameuse catégorie A, celle pour qui les médias ont toutes les attentions. Dans le même temps, si l’on s’intéresse au chômage toutes catégories confondues (A, B, C, D et E), celui-ci n’a pas reflué malgré tous les effets d’annonce possibles et imaginables.
En réalité, il n’y a rien de bien surprenant à voir augmenter parallèlement les courbes du chômage et du nombre de burnout. Il est même tout à fait logique de voir ces deux données augmenter de manière réciproque. Si le nombre de chômeurs est si élevé, c’est bien parce que certains travaillent plus qu’ils ne devraient et qu’ils sont au bord de l’explosion. Contrairement à ce que l’on essaye de nous vendre constamment, le chômage a historiquement été une véritable aubaine pour le patronat et le marché en général. Celui-ci leur permet en effet de faire peser la menace d’un remplacement par l’un des millions de pauvres hères actuellement au chômage sur leurs travailleurs afin de leur faire accepter tous les compromis et toutes les compromissions pour conserver leur emploi. Vouloir nous faire croire que le taux de chômage élevé et le nombre de burnout ainsi que la détérioration des conditions de travail n’ont aucun lien relève au mieux de la fable au pire de la franche moquerie à notre égard. La loi Travail promulguée il y a quelques mois et dont nous commençons à voir les premiers effets va évidemment poursuivre cette double logique mortifère du toujours plus de chômeurs et du toujours moins de bonnes conditions de travail. Tout cela sera encore et toujours au bénéfice d’une poignée de personnes qui sont, malgré toutes les apparences, les véritables assistés de notre société.
Les actionnaires, véritables assistés de la société
François Fillon a axé sa campagne sur eux. Eux ? Les assistés bien sûr ! Reprenant avec joie et allégresse le vocabulaire récurrent du Point ou de Valeurs Actuelles, l’ex candidat de Les Républicains s’est placé en pourfendeur de ceux qui profiteraient du travail d’autrui pour ne rien faire et qui se complairaient dans une attitude rentière en n’apportant aucune richesse à l’Etat, en le spoliant même. Je suis d’accord avec Monsieur Fillon, l’un des grands problèmes de notre pays est constitué par les assistés. Cependant, je doute fort qu’il soit d’accord avec moi sur ceux que je place sous ce vocable puisqu’il s’agit de ceux qui profiteraient à plein régime de la politique qu’il se proposait de mettre en place: les possédants, les puissants, les grands actionnaires. Je crois en effet que les plus grands profiteurs du système ne se trouve pas en bas mais bien en haut. Je pourrais écrire de longues lignes sur les questions d’optimisation fiscale et autres fraudes fiscales mais ce n’est pas de cela dont je souhaite parler. Au contraire, je veux mettre en évidence quelque chose de tout à fait légal, une chose qui est même instituée et que l’on nous demande de croire sur parole, sans rien vérifier : les actionnaires sont ceux qui créent la richesse alors que les travailleurs sont ceux qui nous coûtent (combien de fois entend-on parler de « charges sociales » ou de « coût du travail » ?). Par contre nous n’entendons jamais parler du coût du capital qui est bien le coût le plus lourd qui pèse sur notre économie.
Il est grand temps de rappeler que l’actionnaire ne crée aucune richesse et qu’il est au contraire le plus grand des rentiers dans le système capitaliste néolibéral financiarisé. Allons même plus loin, il agit comme un véritable parasite en ponctionnant une part très importante de la richesse produite dans notre pays au quotidien par ceux qui travaillent. La part des dividendes dans les profits a explosé depuis quelques années dans notre pays si bien que 2016 a été une année record pour le versement de dividendes et ce, alors même que le SMIC restait invariablement bloqué à son taux le plus bas sans qu’aucun coup de pouce ne lui soit donné par un gouvernement se réclamant du socialisme. Quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt nous dit un proverbe. Eh bien je crois qu’il est plus que temps d’arrêter de regarder le doigt qui montre les assistés d’en bas pour s’intéresser à la lune constituée par les grands patrons et actionnaires de ce monde qui se gavent sur le dos de toute la société. Les rentiers et les assistés dénoncés à longueur de journées par les politiciens et les médias ne coûtent rien ou presque à l’Etat, cela ne veut pas dire qu’il n’y aucun abus de ce côté-là mais signifie simplement que l’hypertrophie médiatique sur cette question permet d’éviter de parler des personnes qui coûtent beaucoup plus à l’Etat – et qui par ailleurs détiennent bien souvent les médias, heureuse coïncidence. Chaque année, c’est près d’un tiers de la richesse produite dans le pays qui s’en va dans les poches des actionnaires c’est-à-dire grosso modo 700 Milliards d’euros sur 2100 Milliards produits chaque année. Sur ces 700 Milliards une certaine partie sera certes réinvestie mais pas pour les beaux yeux des travailleurs, bien plus pour avoir une rentabilité encore plus grande l’année suivante. Le reste est définitivement perdu pour la nation puisqu’il va enrichir les poches des plus riches d’entre nous qui, pour certains d’entre eux, ne payent même pas d’impôts dans notre pays. Nous le voyons donc – nous y reviendrons plus tard – s’attaquer au problème de l’actionnariat est absolument essentiel. Pour penser le travail de demain il nous faut aussi ouvrir les yeux sur l’avenir.
Partie I: Le travail, nouveau centre du monde
Partie II: Travailler pour vivre ou vivre pour travailler ?
Partie III: Ouvrir les yeux sur l’avenir
PArtie IV: La nécessité d’un changement radical