Avant-hier matin, François Ruffin était l’invité de Jean-Jacques Bourdin pour une vingtaine de minutes d’entretien. Parmi la multitude de sujets évoqués – de la situation des AVS au positionnement du néo-député vis-à-vis de son groupe en passant par la future réforme du code du travail – le journaliste de RMC s’est quelque peu attardé sur l’un des engagements du fondateur de Fakir lors de sa campagne législative, celui de se rémunérer au smic et de reverser le surplus de sa rémunération à des œuvres. Le « député reporter » ainsi qu’il se définit lui-même a explicité quelle serait sa démarche, il se payera au smic après impôts.
Cette décision de François Ruffin de limiter sa rémunération à un smic aurait pu n’être qu’un épiphénomène mais il n’en est rien. On ne compte plus, en effet, les réactions à cette décision un peu comme si celle-ci remettait en cause des choses fondamentales. François Ruffin a pris l’habitude de devenir dérangeant pour les puissants de notre pays. Le succès de Merci patron a confirmé que le journaliste était un véritable poil à gratter s’appliquant méthodiquement à jouer le révélateur en soulevant des lièvres et en mettant à nu des comportements ou des réflexions que certains voudraient à tout prix cacher. Il me semble que cette décision de se rémunérer au smic s’insère pleinement dans cette logique que porte Monsieur Ruffin depuis des années.
Provocation et violence symbolique
Ce qui est intéressant, comme l’a rappelé François Ruffin lors de l’interview citée précédemment, n’est pas tant qu’il ait décidé de toucher le smic mais bien plus de voir quelles portes ouvre une telle démarche. Je l’ai déjà écrit à de multiples reprises, je suis intimement persuadé que la seule chose qui fait peur et peut faire vaciller le système politico-économique actuellement en place est la violence symbolique. En cela, la démarche du député de la France Insoumise s’inscrit pleinement dans cette tendance de fond qui tente non pas de simplement défier frontalement l’ordre économique et politique actuellement en place mais bien de de le remettre en cause en montrant que l’on peut faire autrement.
François Ruffin était l’un des initiateurs du mouvement Nuit Debout dont le slogan était « contre la loi Travail et son monde ». Le voilà devenu député et malgré ce nouveau rôle plus institutionnel, par cette décision symbolique il confirme là qu’il défie de nouveau l’oligarchie. Au vu des réactions plus que vigoureuses qu’a suscitées cet acte – à la fois sur les réseaux sociaux et dans la sphère politico-médiatique – il est évident que c’est une incontestable réussite. Comment ne pas voir, en effet, dans la levée de boucliers à laquelle est confrontée Ruffin (y compris au sein du groupe France Insoumise à l’Assemblée) le symptôme d’une certaine crainte au sein de la caste politicienne ? Ceux qui font peur au système en place n’est pas les avatars de Goldstein – qui dans 1984 se contente de s’opposer et finit par renforcer Big Brother et le parti – mais assurément les figures contemporaines de John le Sauvage – qui dans Le Meilleur des mondes construit en marge du système pour prouver que l’on peut faire autrement. Si François Ruffin est un très bon député en étant payé au smic cela viendra battre en brèche l’argumentaire central de ceux qui nous expliquent que la forte rémunération des parlementaires est nécessaire au sens philosophique du terme (ce qui ne peut pas ne pas être ou être autrement) si l’on veut qu’ils honorent bien leur mandat.
Le débat ouvert
François Ruffin l’a rappelé lors de son passage chez Jean-Jacques Bourdin, cette décision ne l’engage que lui, il n’appelle pas à ce que tous les députés soient rémunérés au smic comme certains l’ont attaqué de manière mensongère. Toutefois, il me semble que cette décision nous permet d’engager un véritable débat de fond sur la rémunération des parlementaires dans notre pays. Il ne s’agit évidemment pas de se réfugier dans une posture dogmatique affirmant que les parlementaires devraient tous être payés au smic mais bien plus d’avoir une réflexion sur quelle serait la rémunération juste pour lesdits parlementaires. A l’heure actuelle, en effet, les parlementaires font allègrement partie des 10% des Français à la rémunération la plus élevée. D’aucuns justifient cette rémunération élevée par le travail fourni – nous y reviendrons. Certains voient dans la critique du niveau de rémunération élevée des parlementaires de l’aigreur ou un antiparlementarisme camouflé – ce qui ne manque pas d’ironie lorsque l’on sait que la plupart de ces personnes défendent aveuglément la Vème République qui vide le Parlement de tout pouvoir.
Loin de ces caricatures, il me semble qu’il est nécessaire d’aller au fond des choses et ne pas se contenter de l’écume superficielle. Si la rémunération des parlementaires doit être singulièrement diminuée à mes yeux ça n’est pas pour de sombres raisons arbitraires mais bien pour des raisons politiques au sens noble du terme. Les parlementaires sont en effet ceux qui votent les lois qui régissent la vie des millions de Français. Dernièrement la critique sur la déconnexion des élus a fait florès dans notre pays mais en conservant un tel niveau de rémunération on induit voire favorise une telle déconnexion. Comment peut-on voter des lois allant dans l’intérêt général et être conscient des réalités des Français lorsque l’on fait partie des très riches ? C’est proprement impossible. D’ailleurs à chaque fois qu’une personnalité politique fait montre de cette déconnexion on se contente de se gausser sans voir que cela en dit très long. Lorsque Jean-François Copé dit que le pain au chocolat coûte 10 centimes c’est éminemment politique puisque si l’on croit qu’avec 10 centimes on achète un pain au chocolat on pense qu’avec un smic on vit très bien. Gardons-nous néanmoins de toute démagogie et de tout dogmatisme car en cas de rémunération trop basse, cela favorisera encore plus les rentiers.
L’insulte faite au peuple
De la même manière que Merci patron avait tourné en ridicule Bernard Arnault et certains des membres haut-placés de LVMH, la décision de François Ruffin de se payer au smic a indéniablement permis de pointer les contradictions de bien des dominants et possédants dans notre pays. En somme, elle a permis de montrer l’arrogance toute-puissante de cette caste qui se partage pouvoir et ressources dans notre pays pendant que l’extrême-majorité essaye de vivre tant bien que mal. Il est assez délicieux de voir Eugénie Bastié, éditorialiste au Figaro, expliquer qu’il est impossible de vivre décemment avec un smic. Et la nouvelle égérie de la droite conservatrice n’est qu’un symbole du déferlement d’absurde (au sens camusien du terme) qui s’est abattu sur nous depuis la décision de Monsieur Ruffin.
Ces personnes-là semblent en effet oublier que plusieurs millions de Français vivent avec un smic et que le salaire médian dans notre pays est aux alentours de 1700€. Faut-il rajouter que près de 9 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté ? Ce mépris et cette morgue propres aux groupes dominants complétement déconnectés de la réalité du Français moyen ont tout du mépris de classe dégoulinant. Ce que l’on désigne sous le vocable de pauvrophobie tourne à plein régime depuis l’annonce de Ruffin. Il est d’ailleurs assez significatif de remarquer que certains expliquent la rémunération des parlementaires par la masse de travail en même temps que sa pénibilité. Ces belles âmes, ces parfumés, cette classe bourgeoise en somme, ignorent sans doute que nombre de personnes payées au smic ont un travail bien plus pénible et tout aussi chargé en volume horaire qu’eux.
Nous le voyons donc, au-delà de la simple décision de François Ruffin c’est un élément de la bataille culturelle auquel nous sommes en train d’assister. Seule la violence symbolique peut venir à bout de ce capitalisme néolibéral financiarisé devenu complètement fou et aveugle aux souffrances du plus grand nombre afin de satisfaire une petite caste de dominants. L’acte de fronde de Ruffin ressemble à une première pierre envoyée vers ce colosse aux pieds d’argile qu’est le système en place. Trop longtemps nous avons été Sisyphe, devenons David et faisons tomber Goliath. « Dans l’épreuve quotidienne qui est la nôtre, la révolte joue le même rôle que le « cogito » dans l’ordre de la pensée : elle est la première évidence. Mais cette évidence tire l’individu de sa solitude. Elle est un lieu commun qui fonde sur tous les hommes la première valeur. Je me révolte, donc nous sommes » écrivait Camus dans L’Homme révolté. Mes amis, révoltons-nous il est grand temps, seule notre unité leur fait peur.
Merci pour ce texte.
Les symboles sont en effet importants, et dans le même sens, l’histoire des cravates me semble également moins anecdotique qu’il n’y parait. Je souscris donc totalement avec votre analyse.
Pour le revenu des parlementaires, si le salaire d’environ 7000 parait en effet trop élevé, je me demande aussi quel serait un revenu acceptable qui permettrait non pas forcément de rémunérer le travail effectué, qui comme vous le soulignez n’est probablement pas le plus pénible qu’il soit, mais de protéger les députés d’une éventuelle emprise des lobbyistes et autres « corrupteurs » dont les intérêts sur la rédaction des lois est fort. C’est une dimension que j’ai toujours à l’esprit quand on parle du revenu des élus, et elle n’est pas abordée ici. Est-ce que vous la jugez sans intérêt? Le fort salaire n’a pas empêché les conflits d’intérêts jusqu’à présent, mais qu’en serait-il avec un salaire différent.
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Merci à toi (je me permets de te tutoyer je trouve ça plus chaleureux).
Oui effectivement l’histoire des cravates est moins anecdotique qu’il n’y parait.
Sur la question de l’emprise des lobbyistes et autres « corrupteurs » ta réflexion est tout à fait pertinente. Je ne l’ai pas abordée ici pour ne pas que le billet soit trop long et comme je le dis souvent mon blog est un tout donc ce que je n’ai pas traité ici c’est parce que je l’ai traité il y a quelques semaines dans un grand dossier sur la corruption (qui a évidemment vocation à être complété). C’est une question très épineuse et c’est pourquoi personnellement je n’ai pas encore tranché sur la « juste » rémunération. Toutefois pour lutter contre la corruption il me semble que l’on peut faire des choses en prenant par exemple des sanctions très lourdes (inéligibilité à vie) pour ceux convaincus de corruption. Je pense que ça les ferait réfléchir à deux fois.
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Merci, je vais prendre le temps de lire le dossier sur la corruption.
Inéligibilité, révocation, transparence, c’est tout ce qu’on peut attendre d’une loi sur la moralisation, mais j’ai bien peur qu’on ne fasse qu’attendre !
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C’est le système qu’il faut changer. Et c’est pas ce gouvernement qui le fera c’est clair
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[…] La suite sur : https://marwen-belkaid.com/2017/06/29/francois-ruffin-le-smic-et-le-poil-a-gratter/ […]
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Salut
Symboliquement c’est bien vu !
Les symboles c’est important .
Si vous arrivez au moins à les faire CHIER ce sera au moins ça mais ça changera pas grand chose .
Par contre si les 17 appelaient le peuple à descendre dans la rue parce qu’en dehors de la grève générale ya pas d’autres moyens! Ce sera la baston mais de toute façon c’est la guerre sociale qui ne fait que continuer avec un nouveau Napoléon.
La dictature est en marche :
http://www.lemonde.fr/societe/article/2017/06/29/toilettee-l-interdiction-de-manifester-revient-dans-le-texte-sur-l-etat-d-urgence_5152768_3224.html
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[…] La France, c’est le pays où règne le mépris général des dominants pour le bas peuple. […]
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