Samedi dernier, la marche pour la VIème République a été une formidable réussite. En effet, près de 130 000 personnes y ont participé puis ont écouté le discours empli de métaphores mais aussi de gravité de Jean-Luc Mélenchon. Il y a de fortes chances que cet évènement qui ouvrait la campagne officielle du représentant de la France Insoumise soit celui qui, à la fin de la campagne, aura rassemblé le plus de monde. Lundi, continuant sur sa lancée, Jean-Luc Mélenchon a été, à mes yeux et il me semble à ceux de beaucoup, le meilleur des cinq femme et hommes présents sur le plateau. Survolant par moment le débat, tranchant à souhait, pédagogue sans être pédant, l’ancien candidat du Front de Gauche a réussi son premier pari : celui de se présenter comme un candidat sérieux en même temps qu’il a cassé l’image d’homme non-sympathique que contribuent à lui coller lémédia sur le dos.
Il a été le seul, avec Macron, à s’opposer frontalement à Marine Le Pen et ce, à de nombreuses reprises. Cela n’a pas empêché Gilles Bouleau de tenter de le rapprocher de la présidente du Front National. De la même manière que lors de L’Emission politique il y a quelques semaines, l’un des objectifs apparents de certains journalistes est de renvoyer Mélenchon et Le Pen dos à dos dans un odieux jeu de comparaison. Lémédia compare à dessein les deux candidats afin de tenter de décrédibiliser Mélenchon. L’énormité de leurs propos, sciemment présente ou pas, contribue, au contraire, à crédibiliser Le Pen. Puisqu’il est de bon ton à l’heure actuelle de décoder tout et n’importe quoi sauf lémédia (comment pourrait-il en être autrement puisque le Décodex est l’émanation de lémédia ?), il ne me paraît pas superflu de rappeler quelques vérités.
La fable du même programme
Le symbole le plus éclatant de cette mécanique odieuse de comparaison entre les deux candidats restera sans doute cette séquence surréaliste sur le plateau de L’Emission politique au cours de laquelle la soi-disant caution économique objective de l’émission, à savoir François Lenglet, aidé comme il se doit par le plus représentatif nouveau chien de garde, à savoir David Pujadas, a affirmé pendant une dizaine de minute que Mélenchon avait le même programme économique que Le Pen en mettant en parallèle certaines mesures. Au-delà de l’aspect ridicule de la situation, on touche ici le fond (dans les deux sens du terme) des choses. Il convient donc de mettre en évidence pourquoi de telles assertions sont non seulement inexactes mais absolument malhonnêtes et utilisées à dessein.
Dire que Mélenchon et Le Pen ont le même programme économique c’est faire fi de toute la réalité des choses et, plus grave, oublier de mettre en évidence les incohérences manifestes du programme de la présidente du Front National. La première de ces incohérences, et pas la moindre, est le fait que toute l’architecture du programme économique du FN repose sur la sortie de l’euro. Pourtant, Marine Le Pen a expliqué à de nombreuses reprises qu’elle aurait recours au referendum. Que se passera-t-il alors si les Français refusent la sortie de l’euro ? Aucun journaliste n’a encore posé la question à la candidate, il serait temps. Jean-Luc Mélenchon, lui, n’a pas cette faiblesse dans son programme. L’autre principal point de divergence concerne la question du financement. Là où Le Pen peut promettre des choses identiques à Jean-Luc Mélenchon – nous y reviendrons plus tard – le financement de ses promesses est loin d’être évident : ce n’est pas en supprimant l’AME qui pèse quelques centaines de millions d’euros que l’on finance les retraites à 60 ans. Cette incohérence est inhérente au conglomérat que représente son électorat : elle doit faire tenir ensemble les ouvriers et classes populaires, le nouveau réservoir de voix du parti frontiste d’une part et les petits patrons qui représentent la première base électorale du parti (dans le temps) d’autre part. C’est pourquoi Le Pen se refuse à imposer plus fortement les plus riches.
Mêmes constats, propositions différentes
Une chose m’a énormément frappé lors du débat de lundi soir : hormis Emmanuel Macron, aucun candidat n’a accepté de reconnaitre qu’il pouvait avoir le même constat que Marine Le Pen mais qu’il proposait autre chose. Avec une « pudeur de gazelle » pour reprendre l’expression de Jean-Luc Mélenchon, tous se sont soigneusement appliqués à montrer à quel point ils étaient en désaccord sur tout avec elle. A ce petit jeu-là, Benoît Hamon a sans doute été le plus mal à l’aise dans la mesure où de nombreuses fois il a dit qu’il n’était pas d’accord avec le constat avant de reformuler ledit constat. Cette attitude symbolise bien toute l’impasse dans laquelle Marine Le Pen a réussie à plonger la classe politique : dites que vous êtes d’accord avec son constat et vous êtes caractérisé comme nationaliste, dites que vous n’êtes pas d’accord et cela revient à la laisser préempter bien des sujets.
Il est totalement absurde de refuser de reconnaître que Marine Le Pen est le produit d’une colère qui monte graduellement dans le pays. En ce sens, nombreux sont les constats mis en évidence par elle que je partage. Toutefois, on peut partager des constats avec une personne sans pour autant préconiser les mêmes choses. Il y a plus de trente ans, Laurent Fabius disait déjà que le FN posait les bonnes questions. C’est toujours le cas (pas pour toutes évidemment). Cela veut-il pour autant dire qu’il faut suivre aveuglément ses préconisations ? Je ne le crois pas. Si aujourd’hui une part importante du vote frontiste est constitué par les ouvriers, les classes populaires et tous les petits que la machine néolibérale broie jour après jour ce n’est pas un hasard, c’est bien que le FN pose de bonnes questions et fait de bons constats. Il faut donc urgemment cesser de décréter les constats du FN comme pestilentiel par essence pour mieux lutter contre le vote FN dans les classes populaires et proposer des mesures qui seront vraiment à même de mettre en place une plus grande justice.
Nous le voyons donc, comparer Marine Le Pen et Jen-Luc Mélenchon – ou plutôt les renvoyer dos à dos – est à la fois complètement absurde au sens camusien du terme et dangereux. Dans Le Mythe de Sisyphe, le philosophe définit en effet l’absurde comme tel : « L’absurde est essentiellement un divorce. Il n’est ni dans l’un ni dans l’autre des éléments comparés. Il naît de leur confrontation » ce qui me semble répondre parfaitement à la comparaison Le Pen/Mélenchon. Au-delà de ces considérations, la comparaison Le Pen/Mélenchon est éminemment dangereuse. Utilisée pour discréditer Mélenchon elle concourt bien plus à rendre plus crédible l’approche de Marine Le Pen et à dire aux ouvriers et membres des couches populaires que la candidate la plus proche du leur est celle du FN. En utilisant la « bête immonde » pour faire tomber le seul candidat qui fait réellement peur à l’oligarchie, l’éditocratie et lémédia renforcent ladite « bête immonde ». Au soir du 7 mai prochain, il se pourrait bien que cette stratégie aboutisse à la victoire de Marine Le Pen de la même manière que les attaques incessantes contre Sanders ont permis l’avènement de Trump. Si Dieu se rit réellement des Hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes, tendons bien l’oreille le 7 mai prochain au soir, nous pourrions bien l’entendre rire à gorge déployée face à l’air catastrophé de tous les pontes de lémédia.
[…] milieux d’affaires que l’arrivée de Jean-Luc Mélenchon pour la simple et bonne raison que, comme je l’avais déjà démontré il y a quelques semaines, le programme économique de la présidente du FN est une vaste escroquerie qui n’est ni […]
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