L’empire touché en plein cœur
La victoire de Donald Trump n’est pas un évènement isolé dans le cours de notre histoire contemporaine. Elle répond en effet à une dynamique déjà présente un peu partout sur la planète. La mondialisation est, en effet, remise en cause depuis quelques temps dans le monde occidental et depuis plus longtemps encore dans les pays du Sud qui ont bien conscience d’être les grands perdants de ce jeu de dupe. En revanche, si l’élection du magnat de l’immobilier n’est pas un évènement fortuit, elle n’en demeure pas moins une rupture dans le sens où c’est la première fois qu’un candidat ouvertement hostile à la globalisation accède au pouvoir dans un pays qui compte. La montée des mouvements nationalistes en Europe ainsi que l’émergence d’une critique de gauche radicale vis-à-vis de l’austérité au sein de l’Union Européenne étaient déjà bien ancrées. Tout le monde savait que la digue finirait par sauter un jour mais chacun considérait que si cela devait arriver, le pays concerné ne serait qu’un pays périphérique. Nous pouvions nous amuser à parier sur le pays qui marquerait cette rupture – il faut dire que les candidats ne manquaient pas. Serait-ce Victor Orban et son régime fascisant ? Le FPÖ autrichien ? Le FN en France ? Les exemples sont légions. La vague montait chaque fois un peu plus sans que rien ni personne ne semble pouvoir l’arrêter.
Il y eut bien le coup de semonce du Brexit en juin dernier mais personne n’y prêta finalement une si grande attention que cela. Il serait cavalier de dire que le Brexit préfigurait ce qui se passerait cinq mois plus tard de l’autre côté de l’Atlantique. En revanche, on peut sans se tromper affirmer que le Brexit tout comme l’élection de Donald Trump participent d’une forme de remise en cause de la mondialisation néolibérale et d’une volonté de repli sur soi. L’Histoire a bel et bien redémarré – si tant est qu’elle se soit réellement arrêtée un jour – et ce qui est marquant c’est que c’est le cœur de l’empire mondialisé, financiarisé et néolibéral qui est touché. Le souverain autoproclamé de cette globalisation, les Etats-Unis, et son vassal fidèle, le Royaume-Uni, ont rejeté tour à tour le modèle qu’ils avaient façonné au cours des dernières décennies. Nul ne sait aujourd’hui vers quoi ces votes évolueront et quelles seront les conséquences de tels choix mais il est évident que ces deux scrutins marquent un coup d’arrêt sans précédent à la mondialisation heureuse. « Il arrive que les décors s’écroulent » écrivait Camus dans Le Mythe de Sisyphe et il ne me paraît pas aberrant d’affirmer que nous vivons actuellement un moment d’absurde camusien profond. Quand les tenants les plus fervents du TINA néolibéral se transforment en premiers adversaires du système globalisé qu’ils ont mis en place, il est raisonnable de dire que les décors s’écroulent à mon sens. Cela ne veut bien sûr pas dire que le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont décidé de se diriger vers un système plus égalitaire et plus soucieux de justice sociale. Il me semble, au contraire, que, dans une logique très dialectique, ils tentent de dépasser les contradictions du système actuel pour mieux affirmer la domination des mêmes groupes dans la société.
Demain, c’est loin ?
Faut-il donc voir dans cette rupture une nouvelle ruse afin que les « élus ressassent rénovation ça rassure, /Mais c’est toujours la même merde, derrière la dernière couche peinture » pour reprendre les termes de Demain, c’est loin ? Il me semble en effet que l’alternative qui s’offre à nous n’en est pas réellement une. La réalité c’est que le nationalisme de Donald Trump n’est que l’enfant hideux du néolibéralisme. Le néolibéralisme ne pousse-t-il pas la concurrence entre les individus à un niveau exacerbé ? Le nationalisme ne fait-il pas que mettre en commun cette concurrence en dirigeant l’animosité non vers l’autre individu mais vers l’étranger, vers l’Autre ? En ce sens, parler de rupture en continuité ou de continuité en rupture me paraît tout à fait pertinent. Sommes-nous condamnés à choisir entre le néolibéralisme et la nationalisme ? Il me semble que, finalement, le grand enseignement de cette accélération de l’Histoire c’est que la social-démocratie (ou le social-libéralisme) n’est plus qu’un astre mort. En se jetant avec amour dans les bras du marché, la social-démocratie a signé son arrêt de mort. Dès lors que celle-ci a cessé de vouloir régenter le marché et qu’elle s’y est adaptée, elle a perdu toute raison d’être puisque ce qu’on nous a présenté comme la deuxième gauche est bien plus assurément une deuxième droite.
Les démocrates avaient en leur sein le candidat qui aurait certainement battu Trump, il s’appelle Bernie Sanders mais était trop de gauche pour ces sociaux-libéraux. Entre la gauche et la droite-extrême (ou l’extrême-droite) ils ont choisi. Ce n’est pas Trump qui met réellement en danger l’oligarchie économique. Il n’est donc guère surprenant que le Parti Démocrate ait préféré écarter celui qui aurait pu s’imposer pour placer la seule qui aurait pu perdre contre Donald Trump. Entre le Charybde néolibéral et le Scylla nationaliste nous voilà pris dans une mâchoire d’airain qui se referme chaque jour un peu sur nous. De la même manière que le Brexit avait souligné l’échec des gauches européennes, la victoire de Donald Trump vient encore une fois souligner l’incapacité des gauches à porter une alternative réelle au système. Il est grand temps de nous sortir de cette mâchoire de fer avant qu’il ne soit trop tard. Refusons la concurrence entre travailleurs devenus simple marchandise et refusons la concurrence entre nations devenues prisons mentales. L’élection de Donald Trump peut être finalement le moment d’un réveil salvateur pour faire enfin converger les idées de gauche aux Etats-Unis et partout dans le monde. Le Tea Party a profité des mandats de Barack Obama pour prendre le pouvoir sur le Parti Républicain. Et si un mandat de Donald Trump permettait à cette Amérique qui vient, selon le livre éponyme de Christophe Deroubaix de prendre le contrôle sur le Parti Démocrate ? En attendant, Donald Trump aura les mains quasiment libres durant deux années puisque le Parti Républicain contrôle la Chambre des Représentants et le Sénat. La dernière fois que cela est arrivé c’était lors de la mandature de Bush fils et on connaît les conséquences. Il ne s’agit assurément pas de convoquer le passé pour dire quel sera l’avenir mais une chose est claire : pour paraphraser Churchill, ce n’est pas la fin, ce n’est pas le début de la fin tout juste est-ce peut-être la fin du début.
Nous voilà donc arrivés à la fin de ce dossier traitant de l’élection de Donald Trump. J’espère que celui-ci aura permis d’aller au-delà des analyses superficielles que l’on a pu lire depuis plus d’une semaine à propos de ce scrutin. Déjà nous entendons les médias tenter de faire des comparaisons entre le scrutin américain et l’élection française qui arrive. Certes, nous semblons vivre une forme de séquence historique. Toutefois, ce Zeitgeist n’aboutira pas forcément aux mêmes conséquences. Prenons garde à ne pas calquer sans réfléchir les enseignements d’une élection sur un autre scrutin. La victoire de Trump a montré que le Sisyphe nationaliste a finalement réussi à pousser son rocher jusqu’en haut de la colline alors que depuis des années il était condamné à le voir dévaler une fois arrivé proche du sommet. Echinons-nous à sortir de cette impasse où nous serons perdants à tous les coups et tâchons d’adopter la sagesse de John le Sauvage dans Le Meilleur des mondes en construisant une société plus apaisée, plus juste et où chacun pourra trouver sa place et son épanouissement. La route sera longue, la pente raide, les obstacles nombreux mais la victoire est à ce prix.
Partie I : Frankenstein à l’heure contemporaine
Partie II : La faillite des prophéties
Partie III : La revanche des sans-voix
Partie IV : La fin d’un monde
[…] Partie IV : La fin d’un monde […]
J’aimeJ’aime
[…] Partie IV : La fin d’un monde […]
J’aimeJ’aime
[…] Partie IV : La fin d’un monde […]
J’aimeJ’aime