Il y a un peu moins d’une semaine, Donald Jr. Trump était élu 45ème président des Etats-Unis d’Amérique. Depuis, le monde semble être groggy, sonné par un séisme que beaucoup n’avaient pas vu venir ni même imaginé une seule seconde. Pour beaucoup, classes médiatique et politique en tête, la victoire d’Hillary Clinton ne faisait aucun doute si bien que les débats portaient bien plus sur l’ampleur de sa future victoire que sur une improbable élection du candidat républicain. Faisant fi de toutes ces considérations, les Américains ont décidé d’envoyer à la Maison Blanche celui qui était considéré comme le diable en personne par l’ensemble ou presque des médias mondiaux. Chez nous aussi, les médias et toute la classe politique (le FN excepté) ont pris fait et cause pour Hillary Clinton en s’appliquant méthodiquement à présenter Donald Trump comme un dangereux psychopathe et en portant aux nues la candidate démocrate. Las, les voilà désemparés face au séisme qui s’est produit de l’autre côté de l’Atlantique. Si l’épicentre est bien situé aux Etats-Unis, tout porte à croire que des répliques sont à prévoir un peu partout dans le monde. Les plaques tectoniques ont fini par se percuter pour le plus grand malheur des uns, le plus grand bonheur des autres.
Toutefois, ce qui me semble être le plus désolant n’est pas tant l’élection de Trump que notre réaction collective. Fidèles à tout ce qui a été dit lors de la campagne, les médias continuent non seulement à taper sur Trump mais, plus grave encore, à cracher à la figure de ses électeurs. A écouter les analyses, les près de 60 Millions d’électeurs du nouveau président sont tous des beaufs racistes, sexistes et suprémacistes. La revanche du mâle blanc est certainement l’antienne la mieux partagée depuis mardi. Certes Donald Trump a été majoritaire chez les hommes blancs de plus de 45 ans mais résumer l’ensemble de son électorat à une horde de racistes abrutis et peu ou pas diplômés me semblent être précisément la pire des choses à faire en cela qu’elle nous fait passer à côté des autres enseignements de cette élection – qui sont pourtant nombreux et bien moins superficiels selon moi. Il n’est finalement guère surprenant de voir les médias reprendre cette rhétorique sur « l’accident » et sur l’électorat raciste et abruti tant ils ont soigneusement passé sous silence la dynamique de la campagne du magnat de l’immobilier. Si l’élection de Trump est un tournant majeur, comme je le pense, il me semble qu’il est important de sortir des postures et des simplifications outrancières afin de mieux saisir la lame de fond qui a parcouru les Etats-Unis et qui parcourt le Vieux Monde depuis quelques années. Loin d’être un évènement fortuit et isolé, cette élection est au contraire dans la continuité de l’histoire politique très récente. En continuité certes mais aussi en rupture puisqu’elle marque le passage à un stade plus profond de la crise existentielle qui frappe l’Occident. Plutôt que d’être simplement l’expression d’un racisme primaire cette élection fait écho il me semble à l’histoire de Frankenstein tant elle révèle la faillite des prophéties, la revanche des sans-voix et la fin d’un monde.
L’épouvantail façonné par le sérail
Depuis mardi dernier, nombreux sont ceux qui nous expliquent qu’ils avaient vu venir la surprise depuis longtemps. Volant au secours de la victoire ou plutôt tentant de s’échapper du marasme dans lequel les analystes ont sombré (il en sera question plus tard), ces faux clairvoyants affirment à qui veut l’entendre que cette victoire était prévisible. La réalité me semble être toute autre : hormis Michael Moore, personne parmi le gotha n’avait vu venir la victoire de Trump. Moi-même je ne pensais pas sa victoire possible. J’avais la conviction que l’élection serait bien plus serrée que ce que l’on nous prédisait et que si victoire de Trump il pouvait y avoir celle-ci était à la fois improbable et ressemblerait à un hold-up. La victoire du magnat de l’immobilier ne souffre pourtant d’aucune contestation tant son nombre de délégués est important. Il faut dire que le nouveau président élu des Etats-Unis avait été présenté comme un monstre tout au long de la campagne. Déjà lors des primaires républicaines, Trump faisait office d’épouvantail bien commode face à la montée en puissance du Tea Party. Une fois désigné par la convention républicaine, le candidat a conservé cette qualité d’épouvantail pour Hillary Clinton, elle s’est même amplifiée. Hillary l’impopulaire pouvait compter sur Donald l’épouvantail pour être élu nous disait-on. Combien de fois a-t-on entendu que la principale chance de la candidate démocrate était que son opposant était encore plus impopulaire qu’elle ?
Donald Trump a d’emblée adopté une posture pour faire campagne, celle qui lui a finalement permis d’accéder à la Maison Blanche : la position anti-establishment, le représentant des petites gens face à l’élite déconnecté. Le fait que ce soit un milliardaire qui ait adopté cette position n’est pas le moindre des paradoxes de cette élection américaine. Donald Trump est né avec une cuillère en or dans la bouche, il a hérité d’une fortune colossale pour monter son empire et a profité à plein régime du libre-échange afin de faire prospérer ses entreprises. Le même Trump se vante d’être intelligent car il pratique l’optimisation fiscale. Et voilà ce parangon du capitalisme néolibéral transformé en héraut des perdants de la mondialisation. Si Donald Trump donnait tant d’espoir à Hillary Clinton et à tous les tenants du néolibéralisme de la « mondialisation heureuse » c’est précisément parce qu’il fait partie du sérail. Certes il n’avait jamais touché à la politique politicienne avant les primaires du camp républicain mais Trump fait bel et bien partie de cette classe des dominants qui a prospéré sur le dos des ouvriers. Quel meilleur épouvantail que quelqu’un issu du même groupe socio-économique que ceux qu’il combat ? Clinton et son équipe ne se sont d’ailleurs pas gênés pour accentuer leur campagne sur les contradictions entre les propositions de Trump et ses actes sur le marché depuis des décennies. Un milliardaire qui se proclame représentant des dominés, rien de plus facile à démonter. L’argumentaire devait être simple et efficace : comment celui qui a profité à plein du libre-échange durant des décennies pourrait décemment convaincre les électeurs qu’il le combattrait ? François Hollande pouvait bien affirmait que son « adversaire [c’était] la finance » sans passer pour un menteur et trahir ensuite, Donald Trump ne pouvait pas être crédible dans cette position selon les analystes.
La recherche du frisson
Depuis son élection, la classe médiatique n’a pas de mots assez durs et catastrophés pour expliquer à quel point Trump est une calamité pour le pays et pour le monde. Pourtant, à bien y regarder il me semble que les médias ont également une part non négligeable dans l’émergence de la créature Trump. Certes, le nouveau président élu avait bien raison de dire que le traitement de sa candidature par les médias était assez partial. En revanche, dans un certain sens les médias ont bien participé à l’ascension du magnat de l’immobilier. Parler d’une personne en mal c’est tout de même parler de ladite personne. La communication politique a depuis longtemps intégré ce code là et on le voit bien en France, certains n’hésitent plus à enchaîner les phrases outrancières et les prises de position à la limite de la décence pour que l’on parle d’eux. Les médias ont bel et bien attaqué Trump mais celui-ci s’est finalement joué d’eux. Là encore le néophyte de la politique politicienne s’est servi d’eux comme un vieux briscard. En les faisant siffler et huer lors de ses meetings, en les attaquant quotidiennement pour provoquer leur réaction, le candidat républicain attendait très certainement qu’ils cèdent à ses sirènes en tombant dans le piège qu’il leur tendait. Nous avons pris l’habitude de voir Trump caricaturé en idiot fini, il me semble pourtant qu’il est bien plus intelligent que ce que l’on veut nous faire croire.
Les médias ne seraient-ils donc que les victimes du plan machiavélique de Trump ? Je ne le crois pas. Je pense au contraire qu’ils ont sciemment focalisé l’attention sur le candidat exubérant et iconoclaste. De nos jours quel est le but de la plupart des médias ? Faire des tirages toujours plus conséquents. Cette logique consumériste les pousse donc à rechercher les sujets qui feront le buzz, qui marqueront les esprits. Et quel moment plus intéressant pour médias et sondeurs que les campagnes présidentielles ? Mais pour que cette période soit intéressante pour eux, il faut qu’il y ait matière à écrire, analyser, commenter. Avant les primaires des deux camps pourtant, le duel annoncé n’avait absolument rien de sexy. Hillary Clinton contre Jeb Bush voilà ce qui était promis aux Américains. Deux lignes pas tant éloignées que ça, la même volonté interventionniste partout dans le monde, le même rapport ténu avec les milieux financiers, en bref un duel tout sauf clivant. Il y eut le mouvement de Bernie Sanders côté démocrate qui sortit ce camp de la torpeur et permit une polarisation de la population. De l’autre côté, Trump, cet éléphant dans le magasin de porcelaine, attirait lui toute l’attention et permettait de faire parler. La campagne présidentielle a suivi la même pente. Les médias ont donc largement contribué à attirer l’attention sur le phénomène Trump. Créature façonnée par les médias et issu de la classe la plus dominante des Etats-Unis et du monde, Donald Trump devait finir par être évincé dans une forme de catharsis qui devait expurger du pays le mal. Finalement le nouveau président élu aurait dû être, dans le schéma préétabli, une forme de pharmakos pour le capitalisme néolibéral : chargé de drainer toutes les frustrations, toutes les colères puis d’être sacrifié afin que le système en place demeure. Le 9 novembre, la victoire de Clinton devait siffler la fin de la récréation et affirmer « circulez il n’y a plus rien à voir ». Finalement, la créature Trump s’est rebellée pour se libérer de ses chaines au plus grand dam de ceux qui pensaient pouvoir tirer les fils.
Le monstre devenu Prométhée
La classe politique et médiatique a tout fait pour faire de Trump un monstre, il semblerait qu’il ait fini par réellement en devenir un à la condition de se rappeler de l’étymologie du mot. Le terme découlerait du latin monstrare qui signifie montrer, indiquer. La créature Trump a finalement muté en monstre qui a eu pour effet de montrer les failles béantes d’un système exténué et à bout de souffle. Il a aussi eu pour effet de montrer les invisibles des Etats-Unis. Roosevelt lors de son investiture avait parlé de cette partie de la nation invisible. Il semble que Trump a participé à montrer cette partie de la société. Trump s’est transformé en Prométhée en allant défier le Zeus de la classe politique et médiatique. Je disais plus haut que Trump avait été façonné et aidé par le système en place dans son ascension. Il devait servir de victime sacrificielle pour sauver ledit système mais le bouc émissaire a refusé le destin qui aurait dû être le sien en s’émancipant de ses créateurs. Tel ces animaux qui finissent par mordre la main du maitre pour prendre leur indépendance, Trump a pris les marionnettistes à leur propre jeu et voilà Pinocchio devenu vivant pour le plus grand malheur des Gepetto qui l’avaient programmé pour n’être qu’un épouvantail dangereux pour personne sinon pour les adversaires du statut quo et du système en place.
C’est précisément en ce sens que Donald Trump me semble être une figure de la créature créée par Victor Frankenstein dans le roman éponyme de Mary Shelley. En effet, ce qui est au cœur de l’entreprise de Victor Frankenstein est la démesure, l’hybris dans la mesure où il explique qu’il choisit des pièces volumineuses ce qui entraine un dépassement des limites spatiales du corps de la créature (« Huit pieds de haut et d’une largeur proportionnée »). La créature a une puissance physique extraordinaire ce qui est peut-être le moyen de symboliser l’espace hors norme recherché par le héros. L’expérience de Victor est donc aussi une expérience du chaos dans la mesure où il n’y a plus aucune limite. En outre, dans l’œuvre de Shelley on retrouve également le thème de la libération. Walton et Victor veulent se libérer de la tutelle du père ou de la mère. De la même manière, la créature finit par se libérer de son créateur quand celui-ci lui tourne le dos. Donald Trump dans toute sa campagne a placé le thème de la liberté au cœur de son discours. Le thème de la libération du créateur est aussi pleinement présent dans le mythe de Prométhée, lui qui vole le feu aux Dieux pour le plus grand bonheur des Hommes. Ne faut-il pas voir en Trump le Prométhée de l’Amérique oubliée de la mondialisation ? Dans le mythe prométhéen, le héros finit par être puni et par être supplicié éternellement. Il n’en sera certainement pas de même pour Donald Trump mais il ne me semble pas absurde de voir en son élection un rappel de ces deux histoires ou plutôt une forme de mélange entre ces deux figures. Le Frankenstein qui s’est libéré de son joug pour devenir un Prométhée bravache. Si l’élection de Trump à la présidence américaine s’est avérée être une surprise, c’est bien parce qu’elle est allée à rebours de tout ce qui était prévu. Il me semble donc important de s’atteler à l’analyse de la faillite des prophéties pour mieux comprendre sa victoire.
Partie I : Frankenstein à l’heure contemporaine
Partie II : La faillite des prophéties
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