Vous aviez aimé le septième épisode de l’été dernier ? Vous allez adorer le huitième épisode de l’été prochain. On nous avait dit que la crise grecque était derrière nous lorsque Tsipras a accepté le mémorandum du 13 juillet dernier. On nous l’avait dit mais seuls les ordolibéraux béats pouvaient croire à de telles sornettes. Les Grecs ont subi de plein fouet ce nouveau choc sans pour autant voir l’étau se desserrer un peu. En réalité, c’est même le contraire qui s’est produit. Au moment du mémorandum, nombreux étaient ceux à fustiger l’accord – moi y compris – et à affirmer que les mêmes causes produiraient les mêmes effets. Nous voilà huit mois plus tard et la situation grecque est plus critique que jamais.
L’austérité imposée au pays a fait dramatiquement chuter le niveau de vie des Grecs – ou du moins ce qu’il en restait – sans que ce remède toxique n’ait amélioré les conditions de vie du patient. Tels médecins de Molière, l’Union Européenne et le FMI pratiquent des saignées régulières en expliquant que la prochaine sera la bonne. Le résultat, c’est un pays exsangue, abandonné de tous face à la crise migratoire et qui tend de plus en plus les bras à l’extrême-droite. L’été dernier le bad cop était l’UE, cette année c’est au tour du FMI. Les vagues successives ont mis plus bas que terre le peuple grec, qu’elle est belle notre UE, elle qui disait défendre la paix et la prospérité et qui jette la Grèce dans la misère et la tension sociale.
La stratégie du choc
Quel est donc l’objet de cette nouvelle crise grecque ? Une histoire d’argent encore et toujours. La Grèce doit rembourser une partie de son prêt à la Troïka mais ne peut le faire que si le FMI lui verse la première tranche de l’aide promise à l’été dernier. Le problème c’est que le FMI exige une nouvelle cure d’austérité surréaliste pour verser cette tranche. Des objectifs de déficit inatteignables, l’exigence d’une hausse toujours plus drastique des impôts et d’une baisse toujours plus dramatique des dépenses publiques, voilà ce qu’exige le FMI afin de verser la nouvelle tranche d’aide. Lorsque Tsipras a trahi son peuple l’été dernier, il espérait que cette trahison lui permettrait de restructurer la dette grecque. Le FMI appelait de ses vœux cette restructuration pendant que l’Union Européenne agitait la menace du Brexit.
Désormais, le FMI ne veut plus entendre parler de restructuration de la dette grecque à moins que le gouvernement hellène accepte le plan d’ajustement le plus violent depuis le début de la crise grecque. Ce qui est en train de se jouer en Grèce n’est ni plus ni moins qu’une répétition à grande échelle de ce qui pourrait arriver à terme à l’Espagne, à l’Italie ou à la France et à tous ceux qui se lèvent contre l’austérité. Naomi Klein dans La Stratégie du choc décrit bien ce qui semble se passer en Grèce. En faisant perpétuer le désastre, la Troïka fait de la Grèce une forme de laboratoire et des Grecs des cobayes. Les réformes économiques et sociales menées en Grèce depuis bientôt huit années répondent parfaitement à la thèse de ce livre entre privatisation de l’énergie, baisse drastique des prestations sociales et creusement des inégalités.
Peur du Brexit versus Grexit souhaitable
Comment ne pas faire de parallèle entre l’attitude de l’Union Européenne à l’égard de la Grèce et son attitude envers le Royaume-Uni ? D’un côté l’UE a menacé d’exclusion la Grèce, de l’autre elle se met en quatre pour accéder aux demandes du Royaume-Uni pour le maintenir dans l’UE. Faut-il y voir la confirmation du vieil adage de l’UE « forte avec les faibles et faibles avec les forts » ou y a-t-il des fondements plus profonds à ces attitudes diamétralement opposées ? Ce qui est particulièrement marquant c’est que les défenseurs d’un maintien du Royaume-Uni dans l’Union Européenne évoquent l’argument de l’effet domino. Ces mêmes personnes n’ont pourtant pas hésité à clouer au pilori la Grèce l’été dernier et à la menacer d’exclusion alors même que la Grèce est bien plus intégrée que le Royaume-Uni dans la construction européenne et que l’effet domino a bien plus de risque d’advenir après une sortie de la Grèce qu’après un départ du Royaume-Uni.
Comment dès lors expliquer que l’UE se mette à genoux devant Londres et abandonne lâchement Athènes face au défi migratoire ? Question de stratégie politico-économique tout simplement selon moi. Les défenseurs de l’ordolibéralisme et de l’austérité ont très vite saisi quelles seraient les conséquences d’un départ britannique. Ce n’est pas l’Union Européenne qui sera en danger si le Royaume-Uni vote le Brexit mais bien leur Union Européenne, leur vision simplement économique de l’UE, ce grand marché. En cas de Brexit, le rapport de force au sein même de l’Union Européenne sera bouleversé si bien que même Barack Obama se lance dans la campagne en affirmant que l’Europe sera plus forte avec Londres que sans elle. D’ici le vote, l’UE risque fort d’être tétanisée et de ne rien faire pour aider la Grèce face aux vagues migratoires qu’elle subit ou de prendre des mesures contre les politiques d’extrême-droite. Ah qu’il est loin le temps où l’UE excluait des négociations l’Autriche en raison de la présence du FPÖ dans la coalition gouvernementale.
Nous l’avons donc vu, une nouvelle crise grecque guette et l’Union Européenne n’a aucune intention de l’aider obnubilée qu’elle est par la perspective du Brexit. Le Royaume-Uni force l’UE à entrer en crise au sens grec du terme : crisis signifie à l’origine le choix et nous voilà face à un embranchement qui pourrait bien définir le futur de la construction européenne. L’été dernier la crise grecque a été l’apocalypse – la révélation – cet été peut-être que nous aurons la catastrophe – le renversement. Espérons donc que le Royaume-Uni vote massivement pour le Brexit.