Mardi dernier a constitué un terrible coup de semonce pour la direction du Parti Républicain. Lors du « Super Tuesday », le milliardaire Donald Trump a, en effet, accentué son avance dans la course à l’investiture et confirmé par la même occasion qu’il était déterminé à aller au bout de sa campagne. Longtemps considérée comme une blague, sa candidature n’a eu de cesse de gagner en puissance depuis le début de la campagne. D’abord méfiants, les caciques du Grand Old Party – le surnom du Parti Républicain – sont désormais farouchement opposés à l’investiture de Monsieur Trump, considérant que sa désignation marquerait la défaite du camp conservateur en novembre prochain.
Jeudi dernier, deux jours après la déflagration du Super Tuesday, la rébellion s’est mise en place dans les hautes sphères du parti. Les dirigeants républicains ont donc décidé de tenter le tout pour le tout. Mitt Romney – le candidat républicain lors de l’élection 2012 – est monté en première ligne au cours d’un discours durant lequel il a fustigé celui qui fait la course en tête dans les primaires républicaines : « Donald Trump est un charlatan, un imposteur. Ses promesses ne valent pas mieux qu’un diplôme de l’université Trump. Il prend les Américains pour des pigeons ». Le milliardaire doit se frotter la main en voyant la direction du parti lancée dans une cabale à son encontre, son piège vient de se refermer sur elle. Dans le bras de fer qui l’oppose à elle, il l’a déjà emporté en provoquant ces réactions.
Le vent maurrassien
L’esprit de Charles Maurras plane actuellement sur les Etats-Unis et Donald Trump en tire allègrement partie. Ce que nous voyons se mettre en place outre-Atlantique, c’est la réadaptation du vieux principe si cher au penseur antidreyfusard : la distinction entre le pays réel et le pays légal. Donald Trump et Bernie Sanders sont les deux faces d’un même mouvement, celui d’une volonté de réappropriation du pouvoir par le peuple et du châtiment des élites totalement déconnectées des réalités. Tel Janus qui avait deux faces – l’une de lumière et l’autre d’ombre – cette revendication, cette dynamique se trouve exprimée aux Etats-Unis par deux candidats aux antipodes l’un de l’autre mais qui sont le symptôme d’une même attente : celle d’une repolitisation de la société loin des petites magouilles et arrangements politiciens.
Comment comprendre le succès de Bernie Sanders, le représentant des 99%, et celui de Donald Trump, homme critique de l’establishment, sans prendre en compte cette attente profonde des citoyens ? Evidemment Sanders et Trump n’ont rien en commun à l’exception de cela mais le constat qu’ils font se rejoint d’une certaine manière. Nous sommes d’accord sur aucune des solutions à proposer mais nous sommes d’accords sur le constat d’une fracture entre le peuple et les élites, voilà la phrase qui pourrait résumer les positions des deux candidats antisystème dans la course à la Maison Blanche. D’une part un candidat qui se dit socialiste et d’autre part quelqu’un qui n’a pas de programme si ce n’est dire « tout ira mieux avec moi » et vouloir construire un mur sur la frontière avec le Mexique. Et pourtant, cela fonctionne, a minima pour Sanders et franchement pour Trump. Pour le magnat de l’immobilier, rien ne semble pouvoir l’arrêter.
Le cimetière des éléphants
En mettant en place un front anti-Trump, les éléphants – emblème du Parti Républicain – sont tombés dans le piège que leur tendait le milliardaire. A force de le caricaturer en bête immonde et absurde, ils ont peut-être oublié que l’homme n’était pas si bête que ça. Il vient de réaliser un coup de maître dans le cadre de la primaire républicaine. En parvenant à liguer tout l’establishment républicain contre lui, le voilà qui va pouvoir retourner la vague contre ceux qui veulent le faire tomber. Ne voit-on pas sa position devenir plus puissante que jamais aux yeux des Américains au moment même où la direction du Parti tente une manœuvre politicienne pour l’abattre ? Monsieur Trump possède désormais un atout encore plus considérable que son exubérance, sa manière de parler ou son histoire personnelle – qui constituaient déjà des atouts importants – celui d’avoir raison aux yeux des électeurs quand il dénonce les basses manœuvres de l’establishment.
Grâce à cela, le voilà en position de réaffirmer sa différence avec les caciques du parti. Sa posture anti-élites politiques en sortira grandement renforcé et il y a fort à parier que la stratégie mise en place par la direction du parti ne fonctionnera pas dans les urnes. C’est précisément sur ce point que le piège de Donald Trump vient de se refermer sur le Grand Old Party. Si celui-ci veut l’écarter, il ne pourra pas le faire grâce aux urnes et sera forcer d’utiliser des manœuvres qui iront à l’encontre de l’expression des Américains, ce qui ne manquera pas de renforcer encore et encore l’image anti-élites du milliardaire. A l’heure actuelle, beaucoup de personnes estiment qu’il y aura nécessairement trois candidats en novembre prochain : soit Trump remporte la primaire et la direction enverra un autre candidat en plus du milliardaire, soit le milliardaire est écartée de la course à l’investiture et il se présentera en indépendant – étant donné qu’il a les moyens de s’affranchir d’un parti pour mener campagne.
Dans la nuit de samedi à dimanche, quatre nouveaux Etats se prononçaient dans la primaire républicaine. Donald Trump a remporté deux de ses Etats et Ted Cruz deux autres, preuve que la violente charge menée depuis mardi dernier n’a pas fait reculer le milliardaire. Dans la course à l’investiture républicaine, nous nous dirigeons donc vers un duel Cruz/Trump avec probablement le soutien du parti à Ted Cruz – malgré ses positions aussi radicales que Trump. Le Parti Républicain est au bord de la crise de nerf et le milliardaire Donald Trump doit avoir le sourire jusqu’aux oreilles en repensant à ce que lui prédisaient les médias lors du lancement de sa campagne. Le « clown » ne fait plus rire personne à part lui-même et le mépris qui lui a été opposée au début est en train de se retourner contre le Parti Républicain. Jamais une élection américaine n’aura été aussi proche d’un scénario de fiction. C’est Netflix qui doit aussi se frotter les mains, House of Cards deviendrait-il réel ?