Esprit Charlie es-tu là ?

Le 7 janvier dernier, un an après l’attaque dans les locaux de Charlie Hebdo, le hashtag #JeSuisToujoursCharlie était en tête de Twitter France. Trois jours plus tard, le 10 janvier, date anniversaire du plus grand rassemblement depuis la fin de la deuxième Guerre mondiale, un sondage BVA-Orange-ITélé paraissait. D’après ce sondage, 76% des Français se disent toujours Charlie un an après les terribles attaques. Dans la foulée, la place de la République devenait le théâtre d’un hommage qui se voulait national – mais qui n’a rassemblé presque personne – avec un concert de Johnny Halliday et la pose d’une plaque commémorative à la mémoire des 12 personnes tuées dans les locaux de Charlie Hebdo.

François Hollande a voulu faire de cet hommage un hommage de la nation à toutes les victimes des attentats de 2015. Malheureusement pour lui, très peu de monde se sont rendus place de la République ce matin-là. L’esprit Charlie, tant vanté par les hommes et femmes politiques, me semble avoir quelque peu disparu – si tant est qu’il ait réellement existé un jour. Emmanuel Todd, dans Qui est Charlie ?, évoquait déjà un « flash totalitaire » à la suite des attentats de janvier et force est de constater que celui-ci a muté en dérive autoritaire depuis les attentats de novembre si bien que nous sommes en face d’une contradiction majeure entre la promotion de l’esprit Charlie d’une part et les mesures prises d’autre part.

Faites ce que je dis, pas ce que je fais

Depuis le 7 janvier dernier, le gouvernement et François Hollande n’ont de cesse d’en appeler à l’esprit Charlie – qui s’est ensuite transformé en esprit du 11 novembre – et d’exhorter les Français à ne pas céder à la peur afin de ne pas laisser les terroristes l’emporter. C’est ainsi que, régulièrement, des membres du gouvernement nous rappellent que les valeurs de la France ont été attaquées et qu’il faut tout faire pour les défendre à commencer par la liberté d’expression. Et pourtant, dans le même temps, le gouvernement et le président ont profité de la peur générée chez les Français pour faire passer certaines mesures qui étaient plus que contestées avant les attentats. La fameuse loi sur le renseignement n’a-t-elle pas été votée dans la foulée des attentats ? On voit bien ici la première inflexion faite par l’exécutif dans sa ligne « nous sommes Charlie ». A moins qu’il n’y ait aucune inflexion et que la ligne Charlie n’a été qu’un coup de communication de la part de l’Elysée.

Néanmoins, les politiques ne sont pas les seuls à être blâmables pour leur incohérence dans cette affaire. En réalité c’est une grande partie de la population qui l’est à mon sens. 76% des Français se disent toujours Charlie et dans le même temps, 80% d’entre eux sont favorables à l’inscription dans la Constitution de la déchéance de nationalité. Cette mesure est-elle réellement dans l’esprit Charlie ? On peut singulièrement en douter. Ne faut-il pas voir dans ces réflexions erratiques la preuve d’un pays en proie à de profonds doutes et parcouru par une grave crise identitaire. La comparaison des deux sondages a, en effet, de quoi faire sourire : elle laisse apparaître un état schizophrénique dans l’esprit des Français. D’un côté on se dit Charlie, journal libertaire voire carrément anarchiste et de l’autre on défend une mesure réactionnaire figurant dans le programme du Front National.

Commémorer Charlie, c’est le trahir

Il y a une dizaine de jours donc, toute la France commémorait Charlie Hebdo à commencer par François Hollande. A force de vouloir surfer sur la vague de l’esprit Charlie, le président de la République – et son gouvernement – ne font, en réalité, que trahir la mémoire de Charb, Cabu, Wolinski et toutes les victimes de la tuerie du 7 janvier 2015. Mettre en place un tel cérémonial pour commémorer la mort de ces personnes revient, en effet, d’une certaine manière à les sacraliser. Evidemment il ne s’agit pas de sacralisation religieuse – sauf à voir dans la République une structure religieuse – mais cette sacralisation a tout d’une forme d’apothéose, à savoir la transformation en dieux de la liberté d’expression ces dessinateurs « tombés au combat » pour reprendre une expression qui a fait florès depuis un peu plus d’un an. Et pour un journal qui se déclare farouchement athée, d’aucuns diront qu’il s’agit même d’un militant de l’athéisme – bien que sa une anniversaire accuse Dieu ce qui est, là aussi, un contradiction manifeste – voir ses anciennes figures de proue élevées au rang de saints de la nation a quelque chose d’assez cocasse.

Par ailleurs, François Hollande a décoré les 12 victimes de Charlie de la médaille de la légion d’honneur à titre posthume. Là encore, je ne peux m’empêcher de sourire à la lecture d’une telle information. De la même manière que le rassemblement de tous les politiques dès le 11 janvier 2015 pour soutenir Charlie avait un côté comique, cette récompense de la nation décernée à des personnes qui étaient libertaires voire anarchistes et qui se seraient fait un malin plaisir de la refuser de leur vivant – mais ne nous leurrons pas, jamais une telle distinction ne leur aurait été proposé avant leur mort – participe d’un mouvement pervers, au sens premier du terme, à leur encontre. Si, de prime abord, on peut voir dans ces décorations une manière d’honorer leur mémoire, une étude un peu plus approfondie nous indique clairement que de telles décorations ne font que trahir la mémoire de personnes qui étaient très critiques à l’égard d’un pouvoir qui, d’une manière ou d’une autre, aura fini par les récupérer après leur mort.

Il y a un an, après les attentats, j’étais déjà perplexe à l’égard du mouvement consensuel et du slogan « Je suis Charlie ». Déjà à ce moment-là, je m’étais écarté de cette dynamique – ce qui m’avait valu des accusations plus farfelues les unes que les autres. Aujourd’hui plus que jamais, les évènements ne font que conforter mon choix d’avoir rejeté ce slogan simplificateur et imposé par la doxa. Je constate, avec regret, que les Charlie ne sont pas moins hypocrites aujourd’hui qu’ils ne l’étaient il y a un an déjà. Finalement, tout en refusant le fameux slogan je pense faire plus honneur à nos regrettés morts que ne le font tous ces pseudos Charlie qui sont pour la liberté d’expression le matin et contre les libertés fondamentales l’après-midi. Leurs postures peuvent nous tromper mais nous avons, tous, une part de responsabilité lorsque nous nous laissons tromper. Un an après ces terribles attaques il serait peut-être temps de réellement faire honneur aux victimes de ces attentats en se rappelant de la phrase de Benjamin Franklin, vieille de plus de 200 ans mais plus que jamais d’actualité : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux ».

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