Le Volkswagengate ou le règne de l’hypocrisie

Voilà désormais une quinzaine de jours que le scandale Volkswagen, comme on a décidé de l’appeler, a éclaté. Indignation (quasi) unanime, démission du PDG de l’entreprise allemande, plongeon du cours de l’action sur les bourses, autant d’éléments qui sont venus égrener ces deux semaines au cours desquelles Volkswagen a vu tout le monde ou presque lui tourner le dos, à commencer par l’Etat allemand qui, très vite, s’est désolidarisé de l’entreprise qui est pourtant un de ses fleurons. Après la surprise est donc venu le temps de l’indignation et des grandes déclarations de la part des politiques. Les Etats-Unis ont ainsi la ferme volonté d’infliger une amende record à la firme de Wolfsburg tandis qu’en France, beaucoup appellent à des examens plus approfondis sur les véhicules.

Derrière ce lynchage en règle que subit actuellement Volkswagen, il me semble surtout que la plupart des personnes ou entreprises qui ont vertement critiqué l’entreprise allemande le font pour mieux détourner les regards sur leurs propres errements ou sur leurs agissements qui ne sont, pour la plupart, pas bien plus honnêtes que ceux de VW. Qu’il n’y ait pas méprise, je n’absous absolument pas Volkswagen qui est évidemment le principal coupable dans cette affaire. Toutefois, plutôt que de voir en elle une brebis galeuse, je suis bien plus enclin à y voir le révélateur de certains problèmes de notre système capitaliste contemporain. En somme, le système tente de transformer Volkswagen en pharmakos en essayant de nous faire croire que la firme automobile aurait drainé tous les travers et qu’il faut donc la punir pour assainir le système alors qu’elle est le symbole du système actuel.

Volkswagen seul coupable ? Bonne blague !

Dans cette affaire, en cédant à un penchant très manichéen, on essaye de nous faire croire que Volkswagen est le grand méchant qui a abusé tout le monde et que tous les autres acteurs (constructeurs automobiles et décideurs politiques) sont blancs comme neige. En résumé, tout le monde a été abusé par Volkswagen si on écoute ce qui se dit : ses concurrents qui estiment que l’image propre de Volkswagen lui a permis d’engranger un nombre important de ventes mais aussi les décideurs politiques qui nous expliquent qu’ils ont été floués par la marque allemande étant donné qu’elle a triché à leurs tests. Loin de moi l’idée de réhabiliter VW ou de nier le fait qu’elle soit coupable, mais force est de constater que la grille de lecture que l’on nous propose est quelque peu simpliste et réductrice. Non, il n’y a pas le méchant Volkswagen d’un côté et tous les gentils de l’autre côté. Laisser entendre cela revient à couvrir les errements des autres, à maquiller les choses pour que Volkswagen soit la seule à porter le chapeau.

Qui peut, en effet, décemment penser que d’autres entreprises automobiles n’ont pas eu recours au même artifice pour maquiller les tests d’émission ? Quelques jours après les révélations sur Volkswagen, on apprenait d’ailleurs que Seat et BMW étaient, elles aussi, dans le collimateur de la justice dans différents pays. Dans un secteur qui évolue en circuit fermé, il me semble relativement peu crédible que d’autres entreprises n’aient pas recours au même stratagème pour faire croire que leurs voitures sont plus propres que ce qu’elles ne sont réellement. D’ailleurs, je ne serais guère surpris si jamais on apprenait que d’autres constructeurs étaient au courant de la fraude de Volkswagen. Pourquoi n’ont-ils pas dès lors dénoncé la firme de Wolfsburg aux autorités plus tôt me direz-vous ? La réponse me parait relativement simple : si vous êtes vous-mêmes dans une situation loin d’être irréprochable, quel intérêt avez-vous à déclencher une vague de contrôles beaucoup plus stricts en dénonçant un concurrent ?

Les décideurs politiques ne sont, eux aussi, pas en reste dans cette vaste supercherie que l’on tente de mettre en place. Personne ne savait, nous dit-on, que Volkswagen trichait. Soit, je veux bien l’entendre. Néanmoins, qu’ont les décideurs politiques à répondre aux critiques faites sur les tests en eux-mêmes ? Pas grand-chose, parce qu’ils savent très bien que ces tests ne valent rien au vu des conditions dans lesquelles ils sont effectués : pour établir ses tests, la voiture roule dans des conditions parfaites (c’est-à-dire que toutes les contingences qui pourraient augmenter la consommation et donc l’émission sont minimisées aux maximum) à 14 km/h sur une ligne droite. Qu’ils nous expliquent dès lors qui roule à 14km/h lorsqu’il conduit sa voiture. Les tests sont donc nécessairement biaisés et le calcul de la consommation et de l’émission est totalement faussé.

Les petits arrangements avec la vérité, consubstantiels de notre société consumériste 

Comme je le disais au début de ce billet, pour ma part je pense que cette affaire Volkswagen n’est pas l’exception mais bien la règle dans notre société ultra-consumériste. A l’ère de l’hyper communication (nous recevons en moyenne 3 000 messages publicitaires par jour) et du règne du marketing, comment, en effet, penser que la tricherie de Volkswagen n’est que le fruit d’un vilain petit canard ? La réalité c’est que toutes les entreprises, ou presque, ont recours à des petits arrangements avec la vérité. Alors évidemment il existe différents degrés de détournement mais il est rare, pour ne pas dire plus, qu’une entreprise commerciale n’ait jamais recours à des petits (ou gros) arrangements avec la vérité. Aussi est-il totalement hypocrite de vouloir faire de Volkswagen le seul mauvais élève dans ce domaine.

L’irruption de la RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise) et de la RG (respo globale) dans le monde de l’entreprise semblent pourtant aller à l’encontre de ces petits arrangements. Tout en mettant en avant des valeurs d’intégrité, d’éthique et d’honnêteté, ces deux notions poussent désormais les entreprises à agir de manière plus responsable. Malheureusement, nombreuses sont les entreprises à s’être saisies de ces notions pour n’en faire qu’un énième argument marketing. Dans une époque où la crise économique est devenue la toile de fond de toutes les actions, pour la plupart des entreprises le plus important est de vendre toujours plus, souvent en ne se souciant guère de considérations morales ou éthiques. Même au niveau des médias, on assiste à une forme de mercantilisation de l’information, qui est désormais un produit comme un autre. C’est pourquoi certains hebdomadaires n’hésitent plus à faire des une racoleuses et chocs, souvent en décalage totale avec la réalité pour attirer des lecteurs. A l’heure de l’hyper-communication, le sensationnalisme est en passe de porter le coup de grâce à l’information pertinente et réfléchie.

C’est ainsi que la RSE ou la RG, notions nobles à l’origine, ont induit des comportements bien moins nobles. Le plus éloquent de ces comportements est sans conteste le greenwashing. Celui-ci consiste à communiquer sur une action relevant de la RSE (le plus souvent écologique) tout en ne faisant rien en réalité. EDF est un spécialiste de cette pratique par exemple. Je trouve d’ailleurs très amusant que certains libéraux regardent au mieux avec indifférence au pire avec une bienveillance abjecte ces pratiques se mettre en œuvre. Ces mêmes personnes qui nous expliquent que la Grèce doit payer, avec son sang s’il le faut, pour avoir triché et maquillé ses comptes pour entrer dans l’euro (bien aidée par Goldman Sachs, ce que tout le monde savait) sont bien moins prompts à exiger des sanctions pour les nombreuses entreprises qui trichent et trompent le consommateur à longueur de journées. Leur jugement me semble à la fois partiel et partial, de quoi douter de leur honnêteté intellectuelle. Alors Volkswagen est coupable, certes, mais Volkswagen est loin d’être la seule coupable dans cette histoire. Finalement, il s’agit d’une apocalypse au sens grec du terme, à savoir la révélation des dérives de notre capitalisme consumériste à outrance. Ils veulent faire de VW leur pharmakos pour décharger toute leur culpabilité, faisons en sorte que ça n’arrive pas.

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