Tsipras réussit son pari. Voilà ce que l’on pouvait lire dans à peu près tous les journaux européens ce lundi matin. Le leader de Syriza a donc réussi à remporter un troisième scrutin de rang après les législatives de janvier dernier et le référendum de juillet. Le voilà ainsi conforté par le peuple grec selon tous les observateurs. Un peuple grec qui s’est abstenu à hauteur de 40%, ce qu’oublie de mentionner la plupart des observateurs. Certains se laissent même aller à la métaphore footballistique en nous expliquant que Tsipras « virevolte, dribble ses adversaires, leur met des petits ponts pour finir par marquer le 3ème but ».
Ce qu’on oublie de nous dire, c’est que Tsipras n’a pas fait de pari. Il a été contraint de démissionner ce n’est pas son choix. Ayant été mis en minorité à la Vouli, celui-ci avait l’obligation de former une nouvelle coalition ou de convoquer à nouveau aux urnes des Grecs fatigués et usés par une austérité toujours plus pesante. Alors certes, Tsipras et Syriza comptent aujourd’hui 145 sièges à la Vouli. Tsipras pourra à nouveau former une coalition avec les Grecs Indépendants de l’ANEL (qui ont, eux, obtenu 13 sièges) et continuer à gouverner mais cette victoire électorale s’apparente bien plus à une victoire à qui gagne perd qu’au triomphe électoral que l’on nous vend.
De pestiféré à éminemment fréquentable
En janvier dernier, Tsipras avait été élu sur un programme profondément hostile à l’austérité. Il avait fait de la renégociation de la dette grecque et de la suspension de l’austérité ses deux grands chevaux de bataille. Cette position, que certains ont pu qualifier de dure, lui a valu d’être considéré comme le pestiféré de l’Union Européenne et de la zone euro. Son opposition farouche à l’ordo-libéralisme symbolisé par le tandem Merkel/Schaüble faisait alors de lui et de son gouvernement les vilains petits canards de la zone euro. Beaucoup se sont alors élevés contre ce novice de la politique qui souhaitait rebattre les cartes et redonner de l’importance au choix du peuple contre la règle des traités européens. C’est pourquoi la plupart des dirigeants européens a soigneusement évité toute mansuétude à son égard tant que celui-ci était le tenant de cette position.
Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Tsipras, désormais bien plus malléable, est accueilli à bras ouverts par les différents dirigeants européens. François Hollande s’est félicité de la réélection de Tsipras profitant du moment pour rappeler que, pour lui, la gauche se devait de défendre ses valeurs tout en prenant en compte les faits en ne se coupant pas d’un certain réalisme. Même Merkel, qui avait pourtant eu des mots très durs à l’encontre du Premier ministre grec cet été, a accueilli très favorablement sa victoire de dimanche dernier. Drôle de retournement de situation que celui que connaît Tsipras actuellement. De pestiféré en été à grand ami en automne, voilà le parcours initiatique emprunté par le leader de Syriza. On pourrait en être satisfait si ce changement de statut s’était accompagné de la préservation de ses idées et de ses convictions. Malheureusement il n’en est rien.
Victoire électorale, défaite des idées
Avant le référendum de juillet dernier, je m’étais demandé si Tsipras n’avait pas déjà gagné, peu importe le résultat. Aujourd’hui, malgré sa victoire électorale, je considère qu’il ne sort pas vainqueur puisqu’il a totalement perdu le combat des idées. Ne nous leurrons pas, en effet. Si Syriza est toujours apparentée à la gauche radicale pour la plupart des médias et des observateurs, le programme sur lequel a été réélu Tsipras n’a rien en commun avec celui qui était le sien en janvier dernier. Dans cette cinquième campagne qu’il a menée à la tête de Syriza depuis son émergence sur la scène nationale aux élections de 2009, l’ancien héros de la gauche radicale ne défendait plus, cette fois-ci, «une autre politique anti-austérité», mais bien l’orthodoxie libérale dictée par Bruxelles. Alexis Tsipras a expressément affirmé qu’il suivrait l’accord ultra-contraignant signé avec les créanciers de la Grèce.
Aussi a-t-il expliqué qu’il procéderait à une baisse des retraites ainsi qu’à une hausse des impôts. Il a toutefois expliqué que ces mesures douloureuses se feraient dans la volonté d’une justice sociale toujours plus grande. En somme, Tsipras explique aux Grecs que le poison qu’il va leur servir les tuera mais qu’il mettra un peu de sucre dedans pour adoucir l’amère potion qu’il leur fera avaler. « Le temps des luttes et du travail s’ouvre » a expliqué Tsipras dans son discours dimanche soir. Le leader de Syriza nous dit donc que les luttes commencent maintenant ? Pourtant il a déjà perdu en s’asseyant sur ses promesses et sur ses convictions durant l’été. Tsipras a été lâche. Par deux fois. La première fois c’est lorsque, outrepassant le vote du peuple Grecs lors du référendum, il a accepté un mémorandum encore plus dur et violent que celui que les Grecs venaient de refuser lors du référendum. La deuxième fois c’est quand il s’est représenté après avoir démissionné de son poste de Premier ministre. S’il a dû convoquer de nouvelles élections c’est parce qu’il avait perdu sa majorité. Il aurait alors dû en prendre toutes les conséquences et se retirer pour avoir manqué d’intégrité.
Finalement, je me rends compte que j’ai été en quelque sorte dupé par Tsipras. Comme, je pense, beaucoup, j’ai cru qu’il pouvait incarner un renouveau pour la politique. Jeune, déterminé à changer les choses, comment pouvions-nous nous empêcher de voir en lui une possibilité de changement ? Aujourd’hui, Tsipras ressemble à Faust. En vendant ses idées et ses convictions, il a pu garder son poste. En somme, il est devenu un petit politicien comme les autres. Et nous qui avions cru en lui, nous voilà donc comme Sisyphe : nous voyons à nouveau le rocher de nos espérances dévaler à toute vitesse la montagne. Après tant d’efforts consentis pour le faire arriver presque au sommet, il y aurait de quoi se laisser aller à quelques humeurs désespérées. Et pourtant, Camus nous donne, dans Le Mythe de Sisyphe la clé pour continuer à nous battre : « La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux ».