Depuis hier, la France est entrée dans la phase du déconfinement après presque deux mois de confinement. Si cela ne signifie bien entendu pas que l’épidémie est terminée et derrière nous, cette nouvelle phase pose avec une acuité plus grande encore la question du modèle économique et de société que nous souhaitons mettre en œuvre, le fameux « monde d’après ». Par-delà les tribunes et les professions de foi creuses qui se multiplient, il s’agit d’être conséquent et d’essayer d’esquisser ce que pourrait être un infléchissement ou un changement de modèle. Dans cette optique, la question de la planification pourrait s’avérer centrale, notamment dans ce qu’elle nous révèle de l’hypocrisie de la classe dirigeante.
Très rapidement en effet, dès lors que surgit la question de la planification (économique, écologique, sociale, etc.) dans le débat public, les classes dirigeantes et possédantes s’empressent de pousser des cris d’orfraie absolument horrifiés et de convoquer le-communisme-et-ses-centaines-de-millions-de-morts, l’équivalent du point Godwin pour eux. Il me semble pourtant que la critique de la planification qui est faite par ces personnes ne concernent pas la question de la planification en elle-même mais bien plus des acteurs qui doivent la mettre en place. En d’autres termes, il s’agit bien moins d’un débat sur la planification que sur le pouvoir.
La planification au cœur du capitalisme
Ce qui est assez drôle dans les vociférations que l’on peut entendre ci et là contre la planification de la part des dirigeants et des possédants est assurément qu’ils font certainement partie des catégories de la population qui ont le plus recours à la planification. Enseignée dans ces temples du capitalisme que sont les écoles de commerce – qui sont peu suspecte d’être des repaires de crypto marxistes-léninistes – la planification est en réalité au cœur de l’économie capitaliste (du moins dans sa version non financière). Des diagrammes de Gantt au contrôle de gestion, de la méthodologie projet à l’analyse financière, des rétroplannings aux comités de pilotage, tout ou presque n’est que planification au sein des entreprises.
Cet état de fait n’épargne pas, bien au contraire, les plus grandes d’entres elles et un dirigeant d’entreprise qui ne ferait pas de planification serait, à juste titre, pris pour un guignol. Si la planification est bien une « méthode consistant à choisir des objectifs et à proposer des moyens pour y parvenir » selon la définition du CNRTL, comment nier que les entreprises (capitalistes ou pas d’ailleurs) la pratiquent toutes ? Cette science de la gestion tend d’ailleurs même à s’élargir à notre sphère privée du fait de l’ambition totalisante du capitalisme actuelle ainsi que le démontre très bien Vincent de Gauléjac dans son La Société malade de la gestion.
Imposer notre planification
Dès lors, il apparait assez rapidement que ce qui les dérange n’est pas la planification mais une planification socialiste et écologique qui les déposséderait de leur pouvoir. À grands renforts d’arguments tous plus fallacieux les uns que les autres – dont le grotesque livre-noir-du-communisme – les classes possédantes tentent de discréditer toute idée de planification à l’échelle des pouvoirs publics. Ce qui apparait en filigrane n’est finalement rien d’autre qu’une volonté farouche de conserver le pouvoir coûte que coûte.
Dans la période que nous vivons actuellement, rien ne nous assure que le « monde d’après » sera nécessairement plus juste, solidaire et fraternel que le monde d’avant. Il y a même, selon moi, d’assez fortes chances qu’il soit pire tant l’offensive des possédants sera importante pour rogner encore les conquis sociaux, de leur côté ils planifient pour conserver leurs profits, n’en doutez guère. La planification écologique, économique et sociale n’est plus un artifice mais bien une nécessité si l’on veut sortir de ce modèle économique mortifère tant pour l’extrême-majorité de la population que pour l’écosystème.
Crédits photo: Le Radeau de la méduse, Jean-Louis Théodore Géricault