Depuis plusieurs semaines, l’économie marchande est quasiment à l’arrêt. Depuis le surgissement de la crise sanitaire liée au nouveau coronavirus, à l’exception de quelques secteurs bien précis – les produits de première nécessité – les autres commerces ont fermé leurs portes. Cette période à la fois étrange et angoissante que traverse le monde a fait fleurir des réflexions sur nos modes de consommation et sur leur nocivité à l’égard de la planète. On ne compte plus, en effet, les exemples montrant à quel point la faune animale se réapproprie un certain nombre d’endroits en raison de la baisse drastique de l’activité humaine.
L’on pourrait dès lors être tenté de voir dans le moment que nous vivons un tournant de grande ampleur qui affectera profondément nos manières de consommer et nos modes de vie. Si cela est une possibilité, je pense qu’il y a tout de même d’assez grandes chances qu’un certain nombre de pratiques demeurent. Pour relancer l’économie il ne serait effectivement guère surprenant que le gouvernement français appelle à la consommation – d’autant plus que celle-ci est historiquement l’un des moteurs de la croissance française – et dans cette logique, la course aux prix bas qui préexistait à cette crise a de bonnes chances de poindre à nouveau voire même de se renforcer avec toutes les implications négatives que cela comporte.
Le cercle vicieux
Cette course aux prix bas n’est pas nouvelle, loin de là. Depuis des décennies en effet la volonté de toucher une cible la plus large possible – impliquant des personnes au pouvoir d’achat peu élevé – a poussé un nombre croissant d’entreprises commerciales à tirer les prix vers le bas. Si l’on forçait le trait, l’on pourrait dire que la consommation française repose en grande partie sur les deux béquilles que sont cette course aux bas prix d’une part et l’endettement de certains ménages pour accéder aux biens de consommation d’autre part. Des périodes de promotions (qui ont désormais lieu toute l’année et plus seulement durant les soldes) à la lutte commerciale que se livrent les entreprises pour tirer les prix vers le bas ne jaillissent en réalité qu’un cercle vicieux.
Une fois lancé dans cette logique, il devient effectivement quasiment impossible de revenir en arrière tant les consommateurs s’y sont habitués, la fast fashion représentant par exemple une part certaine des profits du secteur du prêt-à-porter. Cette course aux prix bas – et en regard de cela, la volonté de prix bas recherchés par les consommateurs – génère pourtant des conséquences plus que néfastes. Ce n’est effectivement que par l’application de pratiques sociales et environnementales désastreuses que les prix peuvent être si bas. Le cercle vicieux dont je parlais plus haut englobe cette partie-là : plus les prix sont bas et plus les conditions de fabrication des produits vont à l’encontre de ces normes. Le cas de la fast fashion est à ce titre exemplaire puisque la grande majorité des vêtements sont produits dans des pays possédant des législations très permissives sur les conditions de travail.
La double question des salaires et de la surconsommation
Une fois que l’on a dit tout cela, on est loin d’avoir épuisé le sujet. Il serait en effet assez facile – et disons les choses bien peu courageux – de fustiger les consommateurs et de leur faire doctement la morale. Je crois, pour ma part, qu’adopter une telle position n’est à la fois ni juste ni efficace. Si un certain nombre de personnes participent à cette course aux prix bas, la raison est selon moi à chercher bien plus du côté des conditions d’existence et du système consumériste dans son ensemble. Je suis personnellement persuadé que les structures dans lesquelles nous baignons déterminent une large part de nos actes et pensées.
En ce sens, la course effrénée au consumérisme à grand renfort de matraquage publicitaire et surtout d’obsolescence programmée – j’adopte ici l’expression dans une extension maximale. En d’autres termes j’y inclus également les vêtements qui, après deux ou trois lavages en machine, sont totalement bousillés – sont parmi les facteurs primordiaux si l’on veut comprendre les logiques de consommation dans leur ensemble. Pour les saisir dans leur globalité, il faut rajouter à ceux-ci la question des salaires. La course aux prix bas ne concernent effectivement pas que des produits d’appoint mais également les produits alimentaires et, on le sait très bien, les produits premiers prix sont très souvent à la fois des produits qui ne sont pas sains nutritionnellement mais également des produits qui mettent à mal l’écosystème au sens le plus large possible (pressurisation des fournisseurs, saccage environnemental, etc.). Plutôt que vouer aux gémonies les consommateurs, c’est d’une remise en cause bien plus radicale dont nous avons besoin si nous voulons mettre effectivement en place « le monde d’après » à la sortie de cette crise.
Crédits photo: Comarketing News