Il y a quelques semaines, Envoyé spécial diffusait un reportage très intéressant sur la question de la gestation pour autrui – et donc des mères porteuses. Démontrant que cette pratique avait lieu en dépit de son interdiction, le sujet de l’émission de France 2 a assurément mis l’accent sur bien des points épineux de ce débat qui est, peut-être, l’un des plus complexes qui puisse être en cela qu’il est tragique au sens premier du terme, à savoir deux légitimités qui s’affrontent sans que l’une ou l’autre ne puisse réellement s’imposer à l’autre. Il n’est évidemment pas question pour le moment de voir la GPA légalisée en France – pour le moment on peine à apercevoir un espoir concret d’autorisation de la PMA pour les couples de lesbiennes – mais il me semble que ce débat est important dans la mesure où il se trouve à la croisée des questionnements sociétaux et économiques.
L’on pourrait s’offusquer de voir dans ce débat une question économique. Je crois pourtant que c’est aussi de cela qu’il s’agit dès lors que l’on aborde le sujet si bien qu’une réflexion holistique sur celui-ci ne saurait faire l’économie de poser les questions relatives à l’exploitation des mères porteuses et de la forme d’aliénation que peuvent générer ces pratiques. Evidemment, le sujet est extrêmement sensible puisqu’il touche à ce qu’il y a de plus intime – le fait de porter un enfant dans le cas des mères porteuses, celui d’avoir des enfants dans le cas des parents ayant recours à cette pratique – mais c’est précisément pour cette raison qu’il est important, à mes yeux, de tenter d’aborder la question loin de l’hystérie et des anathèmes qui l’entourent souvent.
Féminisme versus marchandisation
L’un des points très bien abordé par le reportage d’Envoyé spécial est assurément la tension qui peut exister, si l’on s’intéresse à la situation des mères porteuses, entre deux logiques qui semblent mutuellement s’exclure. L’une des premières femmes ayant été mères porteuses en France explique en effet dans le reportage du magazine qu’elle a en partie effectué cela pour affirmer son féminisme. Celle-ci explique effectivement qu’être mère porteuse peut permettre d’affirmer par les actes que le corps d’une femme n’appartient qu’à elle et qu’elle est donc la seule à même de décider d’être mères porteuses ou pas. Cette position, qui peut se défendre, ne résiste pourtant pas selon moi à une analyse économique – osons dire les choses, marxiste – de la situation. J’entends totalement l’argument de la liberté de choix mais, par-delà le fait que je ne crois guère à la liberté et que je penche bien plus du côté du déterminisme spinoziste, se contenter de dire qu’il s’agit d’un acte féministe est à la fois partiel et partial à mes yeux.
Comment, effectivement, nier qu’il existe une part de marchandisation et d’exploitation du corps de la femme dans le cas de la GPA ? Comme le dit si justement Jean-Luc Mélenchon à ce propos, le jour où une femme milliardaire acceptera de porter l’enfant de la prolétaire, l’on pourra peut-être commencer à envisager la chose. Jusqu’ici, et le reportage le montrait bien, la plupart du temps les femmes qui se décident à être mères porteuses le font par souci pécunier. De là à y voir une nouvelle forme d’aliénation, il n’y a qu’un pas. Pas que je franchis aisément. Nous ne sommes effectivement pas loin de ce que disait alors Pierre Bergé qui expliquait qu’il ne voyait pas d’inconvénient à ce que la femme loue son corps tout comme l’ouvrier loue sa force de travail. Il est, à ce titre, intéressant de voir que la tension qui existe entre ces deux positionnements (féminisme et marchandisation) sont un symbole des écueils dans lesquels peut s’enfermer une pensée de progressisme sociétal si elle néglige un peu trop la question économique et sociale.
L’angle mort de l’adoption
L’un des arguments les plus utilisés pour défendre le recours à la GPA et a fortiori pour appeler à sa légalisation est sans conteste celui postulant que chaque couple a le droit d’avoir des enfants. C’est d’ailleurs l’un des arguments avancés par certaines des mères porteuses dans le reportage pour expliquer ce qui les a motivées à le devenir, celui de permettre à un couple d’obtenir un enfant. Il est pourtant un angle mort du reportage qui est très important, celui de l’adoption. Tout juste cette question est-elle brièvement abordée dans l’exemple d’un couple homosexuel ayant eu recours à la GPA après avoir pris connaissance des délais pour obtenir une adoption. Il n’est pas étonnant de voir que la question de l’adoption constitue un angle mort du reportage en cela qu’elle est également un angle mort de ce débat.
Si la volonté d’avoir un enfant semble légitime pour chacun des couples, il est important de s’interroger sur la faculté d’adopter à mon sens. Ne faudrait-il pas favoriser l’adoption plutôt que le recours à la GPA ? Au vu des éléments abordés plus hauts, ma réponse est affirmative. Il n’est pas normal de voir que recourir à la GPA peut être plus simple que d’adopter un enfant, notamment pour les couples homosexuels. C’est, selon moi, en simplifiant et en favorisant les adoptions – tout en gardant bien entendu en critère absolu le bien-être de l’enfant, que l’on luttera efficacement contre ce qui est, à mes yeux, une marchandisation du ventre des femmes – ou pour dire les choses d’un point de vue plus systémique, c’est en luttant contre les discriminations faites à l’égard de certaines catégories de population que l’on luttera efficacement contre l’aliénation et la marchandisation des corps.
Adapter la loi aux cas particuliers, une nécessité ?
Le deuxième argument principal avancé pour appeler à une légalisation de la GPA est assurément celui voulant que comme les GPA ont déjà lieu alors pour protéger les femmes qui sont mères porteuses et mieux les accompagner il faudrait légaliser cette pratique. Il me semble que ce positionnement est néfaste à bien des égards. Si l’on part de ce postulat alors il n’y a plus réellement besoin d’avoir de loi puisque l’on affirme que, dès lors qu’une pratique a lieu, il faut l’accepter. J’entends bien la volonté de protéger les femmes qui font des grossesses bien moins suivies et bien plus dangereuses, tant pour elles que pour les nourrissons qu’elles portent mais il ne me parait pas que c’est en légalisant la chose qu’on les protège ou alors il s’agirait d’une victoire à la Pyrrhus. Plutôt que casser le thermomètre pour dire qu’il n’y a plus la fièvre, il s’agirait peut-être d’agir pour chasser la fièvre.
A ce titre, il me parait que le nœud gordien de ce débat sur la GPA est la question de l’adaptation des lois à tous les cas particuliers. Ce débat est particulièrement intéressant mais il faut assumer de le mener. Personnellement je ne crois pas que les lois soient faites pour répondre à chacun des cas particuliers présents dans la société. Si l’on met en place la PMA pour les couples homosexuels féminins alors la question de la GPA demeurera principalement un outil pour permettre aux couples homosexuels masculins d’avoir un enfant provenant de l’un des deux membres du couples (si l’on met de côté les couples hétérosexuels incapables d’avoir un enfant). Dans ces deux cas, quel est l’objectif sinon celui d’avoir son enfant et non pas un enfant ? Je ne crois pas que le désir de certains couples d’avoir leur propre enfant justifie d’exploiter certaines femmes en faisant de leur utérus une marchandise que l’on achète. Entre ce que l’on place sous le vocable de progressisme sociétal et la justice économique et sociale, je choisis la seconde. Sans aucune hésitation.
Crédits photo: Chegg
La nuance que j’apporterai à ce billet est qu’il existe une GPA non marchande. Mais ce n’est pas la majorité des cas. Bien La GPA au contraire. La GPA tombe dans la marchandisation dès l’instant où la femme qui accepte de porter l’enfant n’appartient pas au cercle de proches (famille et amis) du couple en quête d’enfant. Dans la GPA marchande, les mères porteuses sont (presque) toujours plus pauvres que les couples qui veulent un enfant…
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C’est vrai qu’il y a cette nuance à faire
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Autant je peux apprécier et même applaudir à vos commentaires publiés sur ce blog, je me permets de trouver comme étant assez peu informée votre argumentation sur la GPA, notamment en lien avec l’adoption et le don d’enfant (qui est une pratique anthropologique peu connue en France, il est vrai, mais couramment pratiquée en Polynésie et donc reconnue par notre droit, qui donne une consistance au droit local coutumier). Chacune de vos affirmations peut être contredite par les recherches de mon amie Irène Théry (EHESS) ou au moins complétée de contrexemples significatifs. Néanmoins votre discours est-il mesuré et pondéré. Un blog n’est pas le lieu pour moi de réagir à chacune de vos affirmations mais comme j’habite comme vous à Marseille, je veux bien en discuter plus longuement — si le sujet vous passionne autant que moi.
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Je ne descends à Marseille que certains week-end mais je serais ravi d’en discuter et d’apprendre plus sur ce sujet complexe (qu’effectivement je ne prétends pas maîtriser). En attendant, où puis-je trouver les travaux d’Irene Théry ?
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Ils sont publiés et publics.
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Je regarderai ça alors, merci
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Néanmoins j’ai vraiment adoré votre dernier post sur le sujet du sionisme (comme je trouve délirante l’idée de vouloir pénaliser l’antisionisme à tout prix).
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Merci ! Oui on est dans une dérive absolument effrayante
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[…] GPA, le débat sans fin […]
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