Les réseaux sociaux, la remise en cause de l’anonymat et la défense de l’ordre établi

S’il n’est pas nouveau d’entendre des critiques sur l’anonymat (ou le pseudonymat) offerts par les réseaux sociaux, il semblerait que ladite critique prend de plus en plus d’ampleur ces derniers temps. Présentés comme d’odieux tribunaux populaires par les réactionnaires de tous poils au moment de #MeToo, décrits comme étant la fange de la société par certains de ceux qui se croient au-dessus de la masse, accusés d’être la cause de tous les maux frappant les institutions de pays dits démocratiques – on se rappelle du cinéma à propos des bulles informationnelles supposément constituées par Twitter ou Facebook lors de l’élection de Donald Jr. Trump sans que les médias traditionnels ne soient remis en cause – les réseaux sociaux sont devenus la cible favorite de ceux qui veulent se présenter comme les chevaliers blancs de la démocratie à peu de frais.

Il n’est d’ailleurs guère étonnant de voir que la proposition de supprimer l’anonymat sur les réseaux sociaux prospère en ce moment dans le pays. Soumis à un mouvement que l’on peut aisément qualifier d’insurrectionnel depuis maintenant plus de deux mois, le pouvoir en place est actuellement en train d’étendre encore et toujours l’autoritarisme. Des interdictions administratives de manifester présentes dans la loi dite anticasseurs (mais qui est bien plus assurément une loi anti-manifestations) aux perquisitions de groupes politiques ou de médias en passant par la violence accrue des forces de l’ordre lors des manifestations, tout est fait ou presque pour que la coercition soit la norme et que tous ceux présentés comme déviants – donc critiques de l’ordre établi – soient châtiés.

La transparence de circonstances

L’un des principaux arguments brandis et martelés par les contempteurs de l’anonymat sur les réseaux sociaux est évidemment celui sur la transparence des propos. A cela s’ajoute bien souvent l’exhortation à assumer ses prises de position. Tout agit, en somme, comme si dans ce pays la seule chose qui mettait à mal les institutions dites démocratiques était le fait que des personnes s’expriment sous pseudo sur Twitter, Facebook ou je ne sais quel autre réseau social. Si la situation n’était pas si dramatique – en cela que l’on se rapproche chaque jour un peu plus de celle de 1984 dans une dystopie qui devient un peu plus réelle au fur et à mesure que le temps passe – il serait franchement drôle de voir toutes ces personnes devenues soudainement des défenseurs acharnés de la transparence.

Il me semble, effectivement, qu’avant d’exiger la transparence sur les réseaux sociaux, il y a bien d’autres domaines où celle-ci devrait s’appliquer, à commencer par les lieux de pouvoir. Parce que, après tout, s’il ne m’importe guère de savoir qui se dissimule derrière un pseudo pour faire des analyses, il me parait primordial de savoir quels sont les lobbystes qui côtoient les responsables politiques, quels sont les cadeaux ou les promesses qui leur sont faites, à quel point cela influe-t-il sur la décision publique. On peut gloser autant qu’on veut à propos du pseudonymat sur les réseaux sociaux mais si ces personnes étaient réellement des défenseurs de la transparence, ils demanderaient, au hasard, la fin du verrou de Bercy ou une lutte plus acharnée contre les paradis fiscaux. Un peu comme les islamophobes avec la laïcité, ces Tartuffe se servent du paravent de la transparence pour faire avancer leurs idées.

De la défense de l’ordre établi

Comment, dès lors, expliquer cette volonté acharnée de mettre fin à l’anonymat sur les réseaux sociaux ? Il me parait évident qu’une telle croisade n’a pas pour autre objectif que de mettre fin à la mise en cause de l’ordre établi. En forçant les personnes à déclamer leur identité – en les obligeant, par exemple, à fournir une pièce d’identité – ces Tartuffe ne visent pas autre chose qu’une forme de consensus mou permettant au système en place et à l’ordre actuel de demeurer. Faire tomber l’anonymat sur les réseaux sociaux c’est effectivement dénier le droit à tout un chacun de se faire lanceur d’alertes, en particulier dans les corps de métier où il existe un devoir de réserve.

Je le disais en introduction, il ne reste plus que la peur et la coercition au pouvoir en place. Si la caste au pouvoir est minoritaire en nombre, elle demeure largement majoritaire dans les lieux de pouvoirs tant politiques qu’économiques et symboliques. Imposer le joug de la transparence revient donc à forcer les gens à se soumettre à une doxa qui convient à l’ordre en place. Plus de possibilité de déroger au devoir de réserve, plus de possibilité d’attaquer frontalement le système en place pour ceux qui savent que leurs mots pourraient leur coûter leur poste. Il s’agit en somme d’étendre le domaine de la servitude et de la docilité forcée aux réseaux sociaux et, ce faisant, s’assurer d’une hégémonie culturelle presque totale. Agir de la sorte permet effectivement de marquer beaucoup plus facilement les déviants – au sens où l’entendait Foucault – et reviendrait, de facto, à mettre en place une forme de panoptique géant. A l’heure où les libertés individuelles sont rognées un peu plus à chaque mesure liberticide décidée par le pouvoir en place, il devient plus que nécessaire de se lever contre tout élément permettant l’avancée de l’autoritarisme. D’aucuns diront sans doute qu’il ne s’agit là que d’un combat secondaire mais c’est précisément parce que nous nous disons ça depuis des années que nous sommes dans la situation actuelle.

Crédits photo: Le monde à l’envers

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