Le rapport Mathiot, la réforme du bac et le lycée inégalitaire

Jeudi dernier le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, était l’invité de l’Emission politique sur France 2. Si le sujet était bien plus large, le locataire de la rue de Grenelle était avant tout présent pour expliquer la réforme du bac qu’il avait présentée quelques jours plus tôt. Celle-ci s’appuie principalement sur le rapport remis par Pierre Mathiot (disponible ici pour les plus courageux), ancien directeur de Sciences Po Lille, après des mois d’audition et suit largement les préconisations dudit rapport. Il est d’ailleurs simplificateur de parler uniquement de réforme du bac comme on l’entend ci et là. En réalité c’est bien plus une réforme du lycée qui a été décidée par le ministre et c’est à un véritable bouleversement que nous allons assister dans les années qui viennent.

Disparition des séries, refonte de l’examen du baccalauréat avec introduction d’une part importante de contrôle continu ou encore apparition d’une épreuve orale commune à tous les bacheliers généraux et technologiques – le bac et le lycée professionnels ne sont pas concernés par la réforme et seront traités à part – sont autant d’éléments contenus dans le rapport et qui ont été repris par Monsieur Blanquer. Pour faire simple, l’ensemble des grandes lignes du document remis par Pierre Mathiot ont été reprises à l’exception du passage au rythme semestriel. Présentée comme un moyen de moderniser, le mantra macronien par excellence, le bac et le lycée pour les adapter au monde du XXIème siècle, cette réforme est pourtant, à mes yeux, un élément qui va creuser des inégalités déjà bien présentes. Il n’y a rien de bien surprenant à cela lorsque l’on connait la logique qui est celle de ce gouvernement et de cette majorité. Comme d’habitude, leur idéologie avance masquée se cachant derrière les atours de la justice sociale et de la modernité.

 

La dynamique perverse

 

A la lecture du rapport Mathiot, on constate pourtant certains points de réflexion qui peuvent paraître intéressants. La volonté d’accorder une place plus importante à la philosophie en est une. Celle-ci souffre en effet, selon moi, d’une relégation absolument dramatique dans le système scolaire français. Si l’on considère que le but de l’école est de permettre l’émancipation collective, alors l’enseignement de la philosophie est une des pierres angulaires. Toutefois, ni le rapport ni la réforme ne s’attaquent réellement au problème de l’enseignement de cette matière. A l’heure actuelle, celle-ci est réduite à peau de chagrin. Il s’agit simplement d’abreuver les lycéens de textes philosophiques parfois incompréhensibles sans un long travail de vulgarisation alors même que l’objectif premier d’un cours de philosophie devrait être d’enseigner l’esprit critique et la pensée contre soi-même et ce, dès le plus jeune âge et pas seulement en terminale.

Au-delà de la question de la philosophie, la réforme du bac soulève un des autres problèmes de notre système scolaire : sa propension à classer continuellement les élèves entre eux. En supprimant les filières, Jean-Michel Blanquer dit vouloir lutter contre ce phénomène de classement des filières les unes entre les autres (la filière S étant vue comme la voie d’excellence) afin de permettre aux lycéens de choisir les majeures et mineures (une des inventions de la réforme) qui leur plaisent réellement. Il me semble que le processus de cette réforme est particulièrement pervers. Pervers est ici pris dans son sens originel à savoir une chose qui semble bénéfique mais qui se révèle maligne sur le moyen ou le long terme. Plutôt que de supprimer les filières, la création de majeures/mineures ne vient que les remplacer et le classement qui existait entre les filières se transformera en classement entre options. Tout changer pour ne rien changer mais en faisant croire que l’on s’attaque aux problèmes systémiques, tel semble être la logique du ministre de l’Education nationale.

 

Vers un lycée de plus en plus inégalitaire

 

Par-delà la simple question du remplacement des filières par des majeures/mineures, la logique qui sous-tend cette réforme est particulièrement perverse parce que sous couvert d’apporter plus de justice elle creuse, à mon sens, le fossé déjà existant dans le système scolaire et va aboutir à un accroissement certain des inégalités. Le passage au contrôle continu pour 40% de l’évaluation ne peut, effectivement, qu’aboutir à la mise en place d’un lycée encore plus à plusieurs vitesses. Non seulement les options proposées par les différents lycées ne seront pas les mêmes dans le cadre des majeures/mineures mais surtout, les notes obtenues dans tel ou tel lycée ne vaudront pas la même chose.

C’est, en effet, l’une des ornières du rapport Mathiot – ou peut-être l’un des choix assumés du rapporteur et de l’exécutif – celle de ne pas modifier l’essence même du système actuel. Le rapport anticipe en effet ce genre de critiques et se défend en expliquant qu’actuellement beaucoup sinon toutes les formations dites sélectives se fondent uniquement sur les dossiers des lycéens et donc que ce lycée à deux vitesses est déjà présent. Le constat est bien évidemment juste mais il n’y a pas qu’un seul chemin possible à partir de celui-ci. Le rapport tout comme la réforme font le choix de persévérer dans cette logique, de même la renforcer.

 

Le Grand oral en symbole

 

Cette politique qui ne veut absolument pas lutter contre les inégalités est assurément symbolisée par le Grand oral, cette nouvelle épreuve qui verra le jour pour le bac 2021 et qui consiste, comme son nom l’indique, en une prestation orale devant un jury composé de professeurs mais également de membres de la « société civile ». De la même manière que l’apparition de majeures/mineures induira nécessairement des stratégies d’évitement de la part des classes les plus aisées, le passage d’un oral finalement de culture générale au sens large du terme avantagera assurément les mêmes personnes. Bien que des heures soient prévues pour préparer les lycéens à cette épreuve, le passage d’un oral n’est pas anodin et le nom même de l’épreuve – tiré du rapport – est le même que celui passé à Sciences Po Lille, ce qui n’est, me semble-t-il pas totalement innocent.

Passer un oral avec succès nécessite bien évidemment de la préparation mais est également le fruit d’une préparation non scolaire et, osons le mot, sociale. Les enfants issus des classes dominantes ou même uniquement des élites culturelles seront assurément avantagés par le fait d’avoir eu l’habitude de s’exprimer en public et donc d’avoir adopté des codes bien spécifiques que les autres n’ont pas. En cela, ce Grand oral est un parfait symbole de cette réforme du bac. Etymologiquement, en effet, le mot symbole dérive du grec ancien symbolon qui signifiait « mettre ensemble ». Dans la Grèce Antique le symbole était un morceau de poterie que deux cocontractants partageaient afin de se reconnaître à l’avenir. En réunissant ainsi les enfants issus des classes dominantes, cette épreuve est un parfait révélateur de la réalité profonde de cette réforme.

 

 

Le paradigme et l’idéologie qui ne disent pas leur nom

 

Le symbole, en effet, dans son acception la plus courante renvoie à autre chose qui le dépasse. C’est précisément le cas de cet oral qui, finalement, est le symptôme le plus éclatant du paradigme voulu par l’exécutif et de l’idéologie qu’il défend sans le dire. Pour expliquer la mise en place de celui-ci, Monsieur Blanquer a effectivement affirmé que dans la vie professionnelle, les lycéens seraient amenés à effectuer des présentations orales. Toutefois, la question qu’il faut réellement se poser est celui du rôle de l’école. Le gouvernement semble l’avoir tranché et, pour lui, l’école doit fournir des personnes prêtes pour le marché de l’emploi. Il a bien évidemment le droit de défendre cette vision-là mais il serait plus honnête et courageux de l’affirmer clairement.

De la même manière, l’ensemble des mesures incluses dans la réforme convergent vers un même point de fuite : l’affirmation de la concurrence entre les élèves et la proclamation que tout le monde peut réussir. Adopter une telle position, c’est non seulement nier les déterminismes sociaux très puissants qui existent dans notre pays mais c’est aussi, et peut-être surtout, placer ceux qui échoueraient dans la position de vilain petit canard. On peut, je crois, défendre une autre vision de l’école, une vision où l’école ne serait plus une machine à reproduire les inégalités sociales et à classer les élèves entre eux mais au contraire le vecteur d’une émancipation collective. Alors bien sûr une telle approche de l’école ne peut s’inscrire que dans une réflexion globale du cadre de la société mais si nous voulons réellement vivre dans une République, une Res Publica, une chose commune, celle-ci me parait indispensable afin de pouvoir affirmer à nouveau avec vigueur et comme Victor Hugo, qu’ouvrir une école c’est fermer une prison.

5 commentaires sur “Le rapport Mathiot, la réforme du bac et le lycée inégalitaire

  1. Une émancipation « collective » ?
    Mais vous rêvez, Marwen.
    Dans notre monde, actuel et à venir, le « collectif », le « ensemble », est bel et bien mort.
    Nos gouvernants, et depuis longtemps (depuis toujours ?) prônent, effectivement sans le dire, « la guerre de tous contre tous ». Les humains comme les marchés sont désormais dans une concurrence « libre et non faussée ». Enfin, sur le papier.
    Diviser pour régner, c’est le but.
    Quant aux gamins, ce qu’on veut leur apprendre à travers ce « grand oral », c’est à savoir se vendre, comme n’importe quelle marchandise.

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  2. Je partage l’immense majorité des doutes enfoncés, mais permettez-moi juste un petit argument en faveur du grand oral (ou plutôt du temps prévu pour sa préparation): c’est justement parce que l’aisance à l’oral est fortement liée au milieu social, qu’il me semble primordial de permettre à tous, via l’école, de s’y former et de pratiquer. On peut déplorer l’évaluation qui s’y rattache, ou l’objectif avoué de préparer des travailleurs, mais l’expression orale, la construction du discours et de ses arguments sont des compétences bien pratiques également en dehors du monde marchand. Savoir s’exprimer, c’est aussi un pas pour se faire entendre…

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    • Je suis totalement en phase avec toi. Que l’on enseigne comment s’exprimer à l’oral peut être bénéfique. Néanmoins qu’on l’évalue me gêne au plus haut point je sais à quoi ça va sans doute ressembler (des oraux en école de commerce et à Sciences Po j’en ai fait et j’ai l’impression qu’ils veulent juste le transposer au lycée). Ce que je trouve dommageable c’est aussi l’absence de réflexion profonde sur l’enseignement des langues étrangères où l’oral a toute son importance aussi

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  3. Imaginons que dans le monde de la startup-nation du freluquet arrogant on en vienne à enseigner véritablement la philosophie, à « verticaliser » la jeunesse. Imaginons qu’on lui fasse lire et disserter sur cette citation de Geroges Orwell :
    « Le langage politique est destiné à rendre vraisemblable les mensonges, respectables les meurtres, et à donner l’apparence de la solidité à ce qui n’est que du vent. »
    Non il est préférable dans faire de bons esclaves du MEDEF en les rendant employables et serviles. Mais, comme il ne faut pas désespérer de la jeunesse il se pourrait aussi que beaucoup se demandent si la cuisine macronienne n’est pas quand même beaucoup faisandée. A suivre…

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