Au cours de sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait prévenu : sa volonté est de réformer radicalement le système du chômage pour le faire revenir dans le giron de l’Etat. Après avoir mené, sans trop d’encombres il faut bien le reconnaitre, sa réforme du code du travail, le nouveau locataire de l’Elysée prévoit désormais de s’attaquer à l’autre grand dossier de son quinquennat sur le plan économique et social, l’assurance chômage. L’ensemble de ces réformes voulues par le nouvel exécutif s’inscrit évidemment dans une logique plus globale de recul de l’Etat. Au fil de sa campagne, le nouveau président avait mis l’accent sur sa proposition de permettre aux indépendants et démissionnaires de toucher le chômage selon des conditions bien précises. Ce discours avait accroché et pris dans une partie de la population qui se reconnaissait dans les propos sur la start-up nation de l’alors candidat Macron.
Las, ceux qui avaient cru à des lendemains meilleurs sont en train de déchanter face aux réflexions du gouvernement. Pour les indépendants, la cessation de paiement devra être prononcée pour toucher finalement à peine plus que le RSA. Quant au chômage pour les démissionnaires, il sera, s’il voit le jour, conditionné au fait d’avoir un « projet » bien défini derrière – en bref il sera conditionné au fait d’avoir démissionné pour partir ailleurs, ce qui n’a, on le comprend aisément, strictement aucun sens. La réforme voulue par Monsieur Macron à propos du chômage est un changement complet de paradigme du modèle social français. Passer d’un modèle assurantiel et de gestion paritaire (entre les partenaires sociaux) à un modèle contrôlé totalement par l’Etat et n’étant plus du tout assurantiel c’est un rude coup qui serait porté aux politiques sociales de notre pays.
Baisse des cotisations sociales, la grande escroquerie
C’est un changement majeur auquel nous n’avons pas réellement pris garde, celui de la baisse drastique des cotisations sociales payées par les travailleurs. Cette idée n’est certes pas nouvelle dans notre pays – puisque dès 2012, Nicolas Sarkozy et sa fameuse « TVA sociale » (magnifique oxymore) proposait de baisser les cotisations, patronales cette fois, pour restaurer la compétitivité des entreprises – mais Emmanuel Macron a fait de cette baisse l’alpha et l’oméga de sa politique sociale. Il clame en effet à qui veut l’entendre que cette baisse des cotisations sociales redonnera du pouvoir d’achat aux Français. Dans un contexte de marasme économique, la mesure peut paraitre alléchante pour tous les travailleurs (fonctionnaires exclus) qui bénéficieront de cette baisse des cotisations en voyant leur salaire net augmenter.
Ce que ne dit pas le gouvernement par contre c’est que cette baisse des cotisations sociales doit être compensée à l’euro près par l’impôt. C’est inscrit dans la loi et c’est pour cela que le gouvernement a décidé l’augmentation de la CSG pour pallier cette baisse. Au-delà du caractère profondément injuste de cette décision – retraités et fonctionnaires subiront cette hausse de la CSG alors qu’ils ne bénéficieront pas de baisse des cotisations sociales puisqu’ils n’en payent pas – celle-ci remet totalement en cause le modèle social français en cela que les cotisations sociales sont non pas des « charges » comme veut le faire croire la vulgate néolibérale mais bien plutôt du salaire différé permettant d’être couvert lors des périodes de chômage. C’est le fondement même du modèle assurantiel, modèle que Monsieur Macron veut détruire.
Vers un système de minima sociaux ?
Bien plus que la réforme du code du travail – que je trouve évidemment néfaste – la volonté de faire disparaitre le modèle assurantiel de chômage dans notre pays met profondément à mal son modèle social. Il est d’ailleurs assez étonnant pour ne pas dire dramatique de voir que les réformes préparant le terrain à ce bouleversement total n’aient pas rencontré plus de résistances que cela. Ce que préparent Emmanuel Macron et son gouvernement est effectivement un changement total de paradigme dans la manière d’appréhender la question sociale dans notre pays. Nous le savons bien, ceci a été très bien documenté, si la crise de 2008-2009 et celles qui s’en sont suivies n’ont pas frappé aussi durement la France que certains de ses voisins c’est parce que notre pays est pourvu d’amortisseurs sociaux dont le premier est le chômage.
Je le disais plus haut, toute baisse des cotisations sociales doit être compensée à l’euro près par la fiscalité. Toutefois, deux grandes questions se posent. La première est que substituer le financement par l’impôt au financement par les cotisations est une manière de délégitimer la gestion paritaire de l’assurance chômage. Il y a peu de doutes, en effet, sur le fait que l’Etat dira bientôt aux partenaires sociaux que comme c’est lui qui lève les fonds nécessaires à l’assurance chômage c’est à lui de la gérer. L’autre question, toute aussi lourde, porte sur le maintien dans le temps des ressources disponibles. Si la loi oblige l’Etat à compenser à un instant t la baisse des cotisations, dans le temps rien ne l’oblige à revoir à la hausse le montant alloué le premier jour, quand bien même les besoins seraient croissants. Ce qui se dessine donc est assurément le remplacement de l’assurance chômage par un système de minima sociaux comparables à ce qu’est le RSA mais d’un montant supérieur. Hier vous cotisiez pour conserver une grande partie de votre salaire si vous vous retrouviez au chômage, demain vous payerez la CSG pour avoir simplement de quoi survivre si jamais le chômage vous touchait avec le risque de voir ces minima servir de variables d’ajustement en cas de difficultés budgétaires.
Nous le voyons donc, loin d’être un artifice ou une réforme secondaire, la réforme de l’assurance chômage vient casser des décennies de modèle social en France. De ce modèle social hérité du CNR, Emmanuel Macron ne veut plus et il y a fort à parier qu’après s’être attaqué au chômage, il finira par s’en prendre à la Sécurité sociale au sens large selon le même procédé. Tous ceux qui pensent gagner quelques broutilles par la baisse des cotisations se rendront bien vite compte que, in fine, ils sont de grands perdants. L’INSEE vient d’ailleurs de révéler, et de casser toute la communication du gouvernement, que les prélèvements fiscaux augmenteront l’année prochaine en même temps que la fiscalité des plus fortunés de ce pays diminuera. C’est cela la France de Macron, le président des ultra riches qui se la joue sympa. Quant à nous, il nous faut, je crois, nous battre avec ardeur contre cette volonté de modifier le modèle social français. Tâchons de nous souvenir de la lumineuse formule de Sénancour : « L’homme est périssable. Il se peut ; mais périssons en résistant, et si le néant nous est réservé, ne faisons pas que ce soit une justice ». Résistons ou sinon nous serons définitivement perdus. Et nous l’aurons mérité.
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