Ces si scandaleux tribunaux d’arbitrage

Dans le traité de libre échange entre l’Union Européenne et le Canada (ou CETA), ils sont un sinon le principal élément de tension. Il est d’ailleurs assez significatif que cette mesure ne soit pas encore en vigueur, contrairement à la quasi-totalité du traité, et nécessite la ratification unanime des Etats membres pour entrer en vigueur. Les tribunaux d’arbitrage sont en effet une véritable rupture dans les relations entre Etats et firmes transnationales. Déjà largement en place dans les pays en développement, particulièrement en Afrique, les tribunaux d’arbitrage ne sont pas nouveaux dans le paysage extra-judiciaire. Dès 1965 la Banque Mondiale s’est effectivement dotée d’un centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements ou CIRDI.

A écouter leurs laudateurs, les tribunaux d’arbitrage seraient bénéfiques puisqu’ils permettraient de s’économiser de longues années d’instruction judiciaire dans la mesure où leur principal avantage est de rendre les décisions rapidement. Le fonctionnement desdits tribunaux est assez simple puisque les parties désignent le plus souvent trois arbitres chargés de statuer sur les termes de tel ou tel contrat (un arbitre désigné par chacune des parties et un autre désigné par les deux). Pourtant, si l’on y regarde de plus près, à la fois dans leur fonctionnement et dans la philosophie qu’ils portent, il n’est pas absurde de voir dans ces tribunaux d’arbitrage un véritable scandale démocratique.

 

Influence et dépendance

 

Récemment, un excellent reportage d’Envoyé Spécial a montré que bien des arbitres étaient en réalité totalement sous l’influence des grandes firmes transnationales. De la même manière que le pantouflage peut recouvrir une large palette de comportements douteux sans être forcément illégaux, l’arbitrage peut sombrer dans la même logique. Rendre la pareille à une grande firme ou alors l’avantager avec l’espoir d’en tirer profit dans une sorte de contrat tacite et bien évidemment jamais clairement formulé n’est pas exceptionnel dans le cadre de ces arbitrages. Cela pose évidemment un lourd problème dans la mesure où les arbitres doivent supposément être impartiaux et indépendants. On constate très rapidement que cette impartialité et cette indépendance ne sont souvent que de la poudre aux yeux.

Les arbitres ne sont en effet pas des juges mais la plupart du temps des avocats d’affaires très bien rémunérés, c’est toute l’ingéniosité de ces instances qui se donnent le nom de tribunaux mais qui n’en sont en réalité pas. Le cas de Gabrielle Kaufmann-Kohler est à ce titre éloquent. Dans des arbitrages entre l’Etat argentin et deux entreprises (Suez et Vivendi), la juriste a été choisie par les firmes transnationales. Entre temps elle est devenue administratrice de la banque UBS, actionnaire des deux entreprises, sans prévenir l’instance d’arbitrage ou l’Etat argentin. Nous voyons là une position manifeste de conflits d’intérêt où Madame Kaufmann-Kohler était à la fois juge et partie.

 

Le primat de l’économique sur le politique

 

L’on pourrait dès lors se dire que le problème des tribunaux d’arbitrage n’est que contingent et peut donc, par définition, être réglé en modifiant leur mode de fonctionnement (on peut imaginer le remplacement des avocats d’affaires par des juges en bonne et due forme). Je crois pour ma part que le problème est beaucoup plus profond et qu’il est nécessaire au sens philosophique du terme. Ce n’est pas tant un problème conjoncturel qu’un problème structurel que posent les tribunaux d’arbitrage. Ce qui est à remettre en cause, à mes yeux, n’est pas seulement leur fonctionnement mais leur philosophie même. Et quelle est-elle cette philosophie sinon d’affirmer que les Etats peuvent être frontalement attaqués par des grandes entreprises ?

Les tribunaux d’arbitrage sont en effet symboliques selon moi, symboliques du primat de l’économique sur le politique. Peu après la crise des subprimes, Barack Obama avait affirmé avec aplomb que la régulation était de retour. La suite des évènements nous aura montré qu’il n’en était rien et la tendance actuelle est d’aller vers encore plus de dérégulation à commencer par les Etats-Unis où Trump mène une dérégulation à tout crin de pans entiers de l’économie. L’imposition de ces tribunaux d’arbitrage va dans le même sens et il n’est pas exagéré, il me semble, de dire que l’apparition desdites instances dans l’Union Européenne va définitivement saper ce qu’il restait de souveraineté aux Etats. Mettre en place des tribunaux d’arbitrage c’est en effet permettre aux grandes firmes transnationales de contester voire de faire changer les lois d’un pays et donc de se substituer toujours plus à la volonté populaire.

 

Nous le voyons donc, les tribunaux d’arbitrage non seulement dans leur fonctionnement mais surtout dans la philosophie qu’ils portent sont une véritable plaie. Leur développement jusque dans les pays occidentaux montre à quel point l’idéologie capitaliste néolibérale est en train de l’emporter définitivement. Par le passé, en effet, les tribunaux d’arbitrage n’étaient utilisés que contre des Etats faillis ou presque. Les voilà désormais qui s’attaquent à toute la planète. La voracité de ces grandes firmes transnationales n’a effectivement aucune limite et il nous faut, je crois, nous lever avec force et vigueur contre cet assassinat en règle de la souveraineté étatique à l’œuvre et réclamer un référendum sur la ratification du CETA, seul moyen d’avoir un réel débat sur la question dans notre pays. Dans cette nuit noire et menaçante, faisons nôtre le vers d’Apollinaire et rallumons les étoiles. Il en est grand temps.

4 commentaires sur “Ces si scandaleux tribunaux d’arbitrage

Répondre à Revue de presse du 10/12/2017 | Ombre43 Annuler la réponse.