Brut, symbole de l’information fast-food

Nouveau venu dans le monde des médias et d’internet (il n’a été créé qu’en 2016), le média Brut se donne pour ambition de révolutionner l’approche de l’information. L’un des deux fondateurs a expliqué que leur volonté était de « créer un média qui soit un point d’entrée sur l’actualité pour toute une génération qui s’éloigne des acteurs traditionnels ». Brut s’adresse donc spécifiquement à cette génération à laquelle j’appartiens et qui s’est massivement détournée des médias traditionnels. La stratégie de Brut est d’ailleurs univoque sur ce point-là puisque le média ne propose pas de site où sont rassemblées l’ensemble des vidéos qu’il produit. Il a, en effet, fait le choix d’investir les réseaux sociaux – Twitter et Facebook en particulier – et de profiter du trafic proposé par lesdits réseaux sociaux pour se développer.

L’autre singularité, pas la moindre, de Brut réside dans son positionnement éditorial. En ayant fait le choix de ne faire que de la vidéo, le néo-média a effectivement créé un style qui ne lui préexistait pas. Si les fondateurs mettent en avant les live Facebook que le média effectue (live qui ont été popularisé lors de Nuit Debout notamment afin de retransmettre les assemblées place de la République et qui ont assurément inspiré Brut), le gros du trafic de Brut et des éléments de reconnaissance sont constitués par les vidéos  d’entretien façon Konbini ou d’analyses très courtes. C’est précisément ces vidéos qui, me semble-t-il, permettent de voir dans Brut, le nouveau symbole de l’information fast-food.

 

L’ère de la superficialité

 

Au cours de son développement, Brut s’est diversifié et a commencé à réaliser des vidéos d’analyse ou d’information sportives. Propulsé par le groupe SoPress et relayé notamment par SoFoot, ces vidéos ont une réussite certaine et peuvent souvent être pertinentes en cela qu’elles s’intéressent la plupart du temps à tel ou tel joueur, tel ou tel club, tel ou tel entraineur. Elles peuvent susciter l’intérêt et toucher un public, les supporters de foot, déjà largement habitué à Twitter et aux informations lapidaires. Ce ne sont donc pas les vidéos en soi qui sont problématiques à mes yeux mais bien plus le sujet qu’elles se proposent de traiter.

En revanche, Brut se plait également à réaliser ce genre de vidéos pour des sujets bien plus lourds et complexes qu’une rencontre entre les Girondins de Bordeaux et l’Olympique de Marseille. C’est ici que le bât blesse à mes yeux. Il est, en effet, selon moi impossible d’aborder des sujets de fond, aux ramifications très nombreuses et aux questionnements lourds en termes politiques, économiques, sociaux, etc. en 90 ou 120 secondes. De la même manière, des entretiens de quelques minutes ne peuvent pas être pertinent pour moi. Je suis effectivement de ceux qui croient que pour dérouler une pensée le temps est primordial. En faisant le choix de faire des vidéos de quelques minutes tout au plus, Brut s’inscrit dans cette mouvance de l’infotainment que je trouve personnellement abjecte et dont Quotidien (ex-Le Petit journal avant lui) avait été le précurseur. Dans cette ère de la superficialité alors même que les sujets traités sont de plus en plus complexes, il faut je crois se battre quotidiennement pour l’information de qualité.

 

Mouton de panurge versus brebis devenue loup

 

Il serait injuste de faire reposer toutes les tares du monde médiatique actuel sur les épaules de Brut – le transformant ainsi en minable Atlas des temps modernes. Brut n’est en effet que le dernier d’une longue lignée de médias qui ont vu le jour ou qui ont modifié leur contenu éditorial pour se concentrer uniquement sur le nombre de vues et/ou les ventes. Si Brut a été en expansion depuis sa création – ce qui n’est pas étonnant en soi, lorsque l’on part de rien on ne peut généralement que progresser – bien des médias (et je pense ici à tous ceux qui passent leur temps à faire leurs unes sur l’islam, les fonctionnaires ou les islamogauchistes) qui ont fait ce choix n’ont pas vu leurs ventes progresser, bien au contraire. Je vois personnellement d’un très bon œil ce crash.

Pour aller plus loin, je trouve même réjouissant de voir que ces personnes détentrices de carte de presse se vautrent tandis que des médias qui font du travail de fond (Mediapart ou Le Monde Diplomatique pour ne citer qu’eux) de qualité voient leurs ventes et abonnements progresser. Brut, dans sa manière de fonctionner et son approche du journalisme, s’inscrit indubitablement dans la même mouvance que Le Point, L’Express et tous les autres cuistres du monde médiatique. Derrière le visage moderne et souriant, se révèle assez rapidement la continuité que marque Brut dans son approche des citoyens : des veaux tout juste bons à regarder des choses superficielles et pas complexes parce que, au choix, ils n’en auraient pas l’envie, les capacités ou les deux. Loin du slogan du Monde diplomatique (« On s’arrête, on réfléchit »), Brut et tous ses avatars proposent du prêt à penser. Je crois, au contraire, que suivre la course aux clics n’est pas digne du journalisme et qu’une audience s’éduque, se forme, se respecte.

 

Voilà les quelques mots que m’inspirent les succès de Brut. La charge peut paraitre rude, je la crois sincère et juste. Récemment FranceInfo a commencé à utiliser certaines vidéos de Brut pour illustrer des articles rédigés par leurs journalistes mais le format me dérange toujours autant. Mediapart, par exemple, illustre régulièrement ses articles par des vidéos et n’a pas besoin de faire des vidéos de quelques minutes, au contraire. Je crois qu’il est de notre devoir de nous élever contre ces pratiques médiatiques qui s’opposent frontalement au fait de prodiguer une information de qualité. Il est plus que temps de nous rappeler des paroles de Camus lors de son Discours de Suède : « Quelles que soient nos infirmités personnelles, la noblesse de notre métier s’enracinera toujours dans deux engagements difficiles à maintenir : le refus de mentir sur ce que l’on sait et la résistance à l’oppression ». Puissent ces mots ne pas demeurer lettre morte.

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