La métaphore Trump

Dans la nuit de dimanche à lundi, Donald Trump et Hillary Clinton se sont affrontés dans le deuxième débat télévisé de la campagne américaine. Affrontés, le mot n’est pas trop fort et est utilisé à dessein puisque selon tous les éditorialistes et médias américains, jamais un débat présidentiel n’avait à ce point tourné au pugilat. Loin de s’opposer en mettant en avant leurs projets, les candidats à la présidence américaine se sont appliqués à s’attaquer personnellement, la palme revenant à Donald Trump dans ce petit jeu digne de la cour de récréation. Durant le week-end précédent, une vidéo où il tenait des propos abjects de sexisme et de misogynie avait de nouveau fragilisé la campagne du magnat de l’immobilier. Vrai point de rupture dans sa campagne ou énième polémique qui glissera sur lui, seul l’avenir nous le dira.

Ainsi en est-il des très grandes puissances : leurs élections sont scrutées et ont des conséquences sur toute la planète. L’élection de Roosevelt et son approche des deux crises majeures qu’il a rencontrées (Grande Dépression puis Seconde guerre mondiale) ont contribué à façonner le monde. De la même manière Kennedy a marqué toute une époque. Et que dire de Barack Obama ? Premier candidat-monde à l’heure du numérique, il a contribué à faire, pour la première fois, d’une élection nationale une chose que la planète entière regardait et scrutait avec excitation. Le cas Donald Trump, son émergence et son maintien à des niveaux anormalement élevés au vu des standards, répond, il me semble, à cette dynamique. Souvent traité de bouffon ou de clown, le candidat républicain est, à mes yeux, une métaphore qui vient souligner notre vide politique, un spectre qui nous hante et nous hantera longtemps, un révélateur des fêlures qui labourent les sociétés occidentales.

Le renversement clownesque

« L’absurde, écrit Albert Camus dans Le Mythe de Sisyphe, naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde ». Et si, paradoxalement, ce qu’il se passait aux Etats-Unis était un moment profondément camusien ? N’est-ce pas précisément ce que promet Donald Trump à ces oubliés, à ces sans voix, à ces perdants du libre-échange ? En s’adressant à cette Amérique blanche qui a le sentiment de sombrer dans les méandres de la mondialisation, Donald Trump ne se place-t-il pas dans la posture si recherchée du Prométhée s’en allant défier Zeus ? La majorité silencieuse, thème si cher au candidat républicain, cette majorité qu’il dit représenter est travaillée par des peurs et des souffrances qu’il est aisé certes mais surtout dangereux de balayer d’un revers de main. Ce que propose Trump finalement c’est bien un programme de cirque, de carnaval.

De prime abord cette assertion pouvait faire sourire mais historiquement qu’est le carnaval sinon le retournement de la hiérarchie ? Quand le bouffon devient roi et que le roi devient bouffon le carnaval trouve sa pleine expression. Certains s’y sont intéressés et sont allés jusqu’à expliquer que le carnaval n’avait pas qu’une fonction ludique mais contribuait in fine à verrouiller l’ordre social : en permettant durant quelques jours une inversion de la hiérarchie, le pouvoir dominant occupait les masses pour ne pas qu’elles se révoltent réellement. La stratégie n’est pas si éloignée de celle décrite par Orwell dans 1984 lorsque les ouvriers pris de crises de folie sauvage se divertissaient et que Big Brother pouvait ainsi garder la main mise. Ce que promet Trump n’est finalement rien d’autre qu’un carnaval permanent, un retournement non plus provisoire mais continu de la hiérarchie. C’est sans doute cela qui plaît tant dans sa candidature.

Dans la fosse aux menteurs

La base électorale de Trump n’a pas énormément changé depuis la fin des primaires (ni franche augmentation des intentions de vote ni baisse importante). Pourtant, par-delà ses frasques et ses anciennes déclarations scabreuses, le magnat de l’immobilier a plus d’une fois été pris la main dans le sac du mensonge. Sur à peu près tous les sujets, Trump a soit menti délibérément soit dit tout et son contraire. Nous avons beau jeu de moquer les partisans de Trump et de les dépeindre en idiots gobant tous les mensonges de leur champion alors même que jour après jour le fact checking et la mise en parallèle de différents propos du candidat prouvent les mensonges éhontés de celui-ci. On peut se dire qu’ils sont simplement idiots.

On peut aussi s’interroger plus profondément. Lorsqu’une personne vous dit « oui je sais qu’il ment mais c’est tout de même le meilleur » c’est peut-être que Donald Trump est le révélateur de tendances profondes qui parcourent les sociétés occidentales. Ne faut-il pas y voir un message de défiance généralisée adressé à la caste politique ? De la même manière, lorsqu’en France des fans inconditionnels de Sarkozy passent outre les multiples mensonges et déclarations contradictoires de leur candidat n’est-ce pas la preuve qu’ils ont intégré que tout le monde mentait et que tant qu’à faire autant voter pour celui qui ment le mieux à nos yeux ? C’est cette logique qui semble se déployer aux Etats-Unis puisque les deux candidats sont marqués du sceau du mensonge et des scandales plus ou moins importants. Peut-être devrions nous arrêter, en France, de nous prendre pour de brillants intellectuels en comparaison des électeurs trumpistes et regarder droit dans les yeux cette lame de fond qui parcourt aussi le Vieux Continent et la France en particulier.

Nous l’avons vu, dépeindre Trump en roi du carnaval n’est pas faux à la condition de nous rappeler de ce qu’était le carnaval historiquement. Voter Donald Trump est finalement un moyen de spéculer pour des électeurs désabusés. Sans doute faut-il y voir un moyen de faire exploser un système sclérosé qui ne représente ni ne défend plus personne sinon les puissants et les dominants. Est-ce pour autant la bonne solution pour lutter contre le processus de déclassement et la mondialisation néolibérale qui fait exploser les inégalités ? Je ne le pense pas. Trump est-il une métaphore qui ne représente que ce qu’il se passe aux Etats-Unis et pas ce qu’il se passe chez nous ? Je ne le pense pas non plus. Il est grand temps que nous fassions preuve d’un peu d’humilité et que nous nous penchions sérieusement sur les raisons du succès de Trump. Finalement, peu importe qu’il l’emporte ou pas en novembre – une victoire de sa part reste assez peu probable – sa simple irruption dans le débat public et la portée toujours plus grande des idées qu’il défend sont signifiantes en elles-mêmes. Tâchons de sortir des postures et des caricatures pour réellement comprendre les raisons de son succès. La victoire des idées, préalable nécessaire à toute victoire électorale, est à ce prix.

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