L’attitude face aux réfugiés ou la honte de l’Europe

Imaginez le regard que porteront les historiens dans un siècle sur notre époque ; comment les cours que suivront nos petits-enfants seront marqués du sceau de l’infamie quand ils découvriront qu’il n’y a pas si longtemps, l’Europe toute entière a tourné le dos à ses valeurs humanistes.  Laissant la Méditerranée devenir un véritable cimetière sous-marin, l’Union Européenne – récompensée d’un prix Nobel de la paix en 2012 – voit, jour après jour, ses idéaux et son Histoire sombrer aux larges des îles de Lampedusa, Kos ou Lebos. Face aux multiples appels à l’aide de l’Italie ou de la Grèce, la voilà qui se lave les mains et qui détourne les yeux tel Ponce-Pilate.

Il y a presque 80 ans, Messieurs Daladier et Chamberlain signaient les tristement célèbres accords de Munich. Le 30 septembre 1938, les dirigeants français et anglais choisissaient – selon les mots de Churchill – le déshonneur plutôt que la guerre. 78 ans plus tard, Manuel Valls n’a pas eu besoin d’être accompagné pour couvrir la France de déshonneur en fustigeant la chancelière allemande pour sa politique à l’égard des réfugiés. Véritable symptôme de la souffrance vécue par les Français que ce Premier ministre soit disant de gauche venant faire la morale à une chancelière conservatrice pour sa politique d’accueil de personnes fuyant la guerre.

 

L’orbanisation de l’Union Européenne

 

Le Premier ministre hongrois ultra-conservateur, Viktor Orban, semble donner le tempo dans cette UE complètement déboussolée. « Migrants, l’Europe se déchire » titrait Le Monde samedi. Il ne pensait pas si bien dire à l’heure où la pauvre Madame Merkel doit se sentir bien seule sur ce front. Partout en Europe des murs poussent et quand ceux-ci ne sont pas physiques ils sont mentaux. Il y eut la terrible photo du petit Aylan Kurdi et tous les politiques, bouche en cœur, nous expliquaient alors que rien ne serait comme avant, que l’accueil serait désormais chaleureux et que la morale kantienne – « ne jamais prendre autrui comme un moyen mais toujours comme une fin en soi » – allait être appliquée dans toute l’Europe. Six mois plus tard, les résultats sont accablants ! Seul pays à appliquer réellement ce qui avait été promis, l’Allemagne se voit clouer au pilori par ses partenaires européens. Et pendant ce temps, la France se débat avec la nauséeuse constitutionnalisation de la déchéance de nationalité.

La Pologne et la Hongrie construisent des murs dans cette Union Européenne qui veut promouvoir la paix et la solidarité entre les peuples. Dans le même temps, l’UE se garde bien d’apporter son soutien à l’Italie et à la Grèce qui doivent donc se débrouiller seules face au flot quotidien de réfugiés qui arrivent sur leurs côtes ou qui finissent noyés non loin de là. Le Monde a bien raison, l’UE est en train de voler en éclat puisque après avoir tourné le dos à ses valeurs humanistes, la voilà qui fait bien peu de cas d’une quelconque solidarité entre pays membres. Et quand la Grèce demandera une baisse de l’austérité, l’UE lui répondra que nenni. Mais la position la plus honteuse vis-à-vis des migrants est sans aucun doute celle du Danemark. Plutôt que de fermer sa frontière, le pays a décidé de saisir tout bien de valeur possédé par ceux qui fuient la guerre. Drôle de conception de l’hospitalité que celle proposée par les Danois…

 

Espagne 1936, Syrie 2016 même combat !

 

« L’histoire se répète toujours deux fois : la première fois comme une tragédie, la deuxième fois comme une farce ». Cette célèbre phrase de Karl Marx s’applique à moitié à la situation européenne. L’Histoire est bel et bien en train de se répéter mais il ne s’agit pas d’une farce, simplement d’une tragédie plus mortifère encore. En 1936, toute l’Europe, celle qui se voulait antifasciste et pacifiste à la fois, a regardé sombrer un peuple qui n’a eu de cesse de l’appeler à l’aide. Plutôt que de les aider, elle a préféré se draper dans des grands principes et annoncer « la mort dans l’âme » – selon la terrible formule de Blum – qu’elle n’aiderait pas les Républicains espagnols face à Franco soutenu par Hitler et Mussolini. Ce faisant, l’Europe n’a fait que précipiter la Deuxième guerre mondiale et choisir le déshonneur plutôt que la guerre. Malheureusement pour elle, elle aura connu les deux.

Si « un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre » comme l’a si brillamment exprimé Churchill, alors il semblerait que nous, Européens, ayons tiré un trait sur notre passé, comme si celui-ci nous faisait honte. Dans un siècle, lorsque nos enfants et petits-enfants se pencheront sur cette époque, ils seront sans doute horrifiés de voir que nous avons laissé des femmes, des hommes, des adolescents, des enfants mourir aux portes de chez nous alors que ceux-ci fuyaient l’étau de la mort, coincés entre Bachar Al-Assad et Daech. Ils nous questionneront et nous demanderont comment nous avons pu faire ceci, ils nous diront que nous ne pouvions pas ne pas savoir, et ils auront raison. Il s’agit d’agir dès maintenant pour ne pas que cette boursouflure déjà bien méchante ne devienne le cancer qui rongera nos idéaux et notre humanité.

 

« Que pouvons-nous faire ? » demanderont en cœur les européens, tentant de s’absoudre de l’infamie en affirmant qu’ils ne sont pas au pouvoir. Pourtant, depuis Hannah Arendt, nous savons que le mal est banal et qu’il revient à chacun de lutter au quotidien contre les différentes pulsions qui peuvent nous traverser. « La peste, chacun la porte en soi » explique Tarrou dans le livre éponyme d’Albert Camus. Rejoignant ainsi l’analyse de la philosophe allemande, Camus tente de nous expliquer que le mal réside en chacun de nous et qu’il faut lutter jour après jour pour faire jaillir la bonne part de nous-mêmes. Soyons des révoltés comme Camus nous incite à l’être et luttons, à chaque instant, pour n’être « ni bourreau ni victime » et pour préserver notre humanité dans un monde qui la met à mal par tous les actes et cheminements sordides qu’il fait advenir.

3 commentaires sur “L’attitude face aux réfugiés ou la honte de l’Europe

  1. « …la terrible photo du petit Aylan Kurdi… tous les politiques, bouche en cœur, nous expliquaient alors que rien ne serait comme avant, que l’accueil serait désormais chaleureux… »

    Bonjour Marwen !

    Merci, merci pour cette piqûre de rappel.

    Hélas ! jour après jour il nous faut remettre l’ouvrage sur le métier. Il n’y a pas de répit à…
    … l’égoïsme/la cécité à l’égard des réfugiés. Posture/comportement/conduite/manière/gestion…
    Et si peu d’avancées.

    Quid du Code Éthique ?
    l’Europe Traverse t-elle des trous d’air ou a-t-elle des trous de mémoire ?…
    Saura-t-elle éviter le DÉSHONNEUR ?
    Regarde t-elle le reste du monde par le mauvais bout de la lorgnette ?

    Pourtant, Le monde est INTERDÉPENDANT !
    … Et nous rappelle l’urgence, la nécessité, l’obligation, l’exigence morale d’un retour à l’essentiel, s’agissant de la CATASTROPHIQUE situation des réfugiés.

    Il suffirait de …
    – « Bonjour, dit le renard.
    – Bonjour, répondit poliment le petit prince, qui se retourna mais ne vit rien.
    – Je suis là, dit la voix, sous le pommier.
    – Qui es-tu ? dit le petit prince. Tu es bien joli… – Je suis un renard, dit le renard.
    – Viens jouer avec moi, lui proposa le petit prince. Je suis tellement triste…  »

    Ext. Chap. # 21 du… Petit Prince, S a I n t – E x u p é R Y >>>> SYRIE

    Cliquer pour accéder à st_exupery_le_petit_prince.pdf

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  2. C’est toujours délicat d’invoquer les générations futures.

    Je suis le petit-fils d’une génération qui s’est couchée devant l’Allemagne après la remilitarisation de la Rhénanie en 1936.

    Que seront les reproches des petits enfants des libyens et des syriens d’aujourd’hui ?

    Et les petits-enfants des turcs qui envoient à la mort les migrants dans des dinghies contrefaits, en leur ayant au préalable vendus de faux gilets de sauvetage, ils poseront quelles questions à leurs grands-parents ?

    Reste la question humanitaire. Il faut organiser trois choses :

    1) Un vrai droit des réfugiés, en danger de mort dans leur pays et n’ayant nulle part où aller ailleurs qu’en Europe. Et ça ne concerne évidemment pas l’intégralité des 1,2 million de « réfugiés » arrivés en Europe en 2015.

    2) Le point 1 est fondamentalement impossible sans un vrai respect des frontières, donc une forte présence militaires en mer Égée, avec ou sans l’accord des grecs et des turcs.

    3) Une aide financière à la hauteur pour les camps de réfugiés existants avec surveillance stricte de l’utilisation des fonds alloués.

    Les #RefugeesWelcome et autres #SafePassage, c’est juste de la démagogie irresponsable. Appliquer ces « principes » conduirait à accueillir plusieurs millions de personnes supplémentaires dans les toutes prochaines années (à commencer par 2 millions en 2016, si l’on examine ce qui s’est passé en septembre et octobre 2015), ce qui provoquera des catastrophes politiques épouvantables.

    il FAUT relire Max WEBER sur l’éthique de responsabilité et l’éthique de conviction.

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    • Je ne sais pas ce que diront les générations futures c’est vrai j’essaye juste d’imaginer la chose (avec toute la dose d’irrationalité que cela comporte).
      Assez d’accord avec toi sur les 3 points mais j’en rajouterai un 4ème qui est le plus important pour moi: tout faire pour créer les conditions d’un non-départ. Ce n’est pas de gaieté de coeur que ces gens s’enfuient laissant derrière eux tout et tous ce(ux) qu’ils ont . Arrêtons notre politique néocolonialiste et paternaliste et arrêtons l’exploitation économique de ces pays à nos seules fins et le flot des fuyards de la misères sera tari peu à peu.

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