Alors qu’Alexis Tsipras avait fait parvenir deux lettres signifiant sa volonté de continuer les négociations, l’Allemagne par la voix d’Angela Merkel a fermement rejeté toute tentative de compromis, ajoutant même le mépris à ce refus catégorique puisque la chancelière allemande a affirmé que « l’avenir de l’Europe n’[était] pas en jeu » et que « La situation en Grèce est surtout une souffrance pour les gens en Grèce ».
« L’absurde, écrivait Camus en 1942 dans Le Mythe de Sisyphe, naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde ». En pastichant la célèbre formule du philosophe, on pourrait dire que dans le cas de la crise grecque, l’absurde naît de l’appel grec à la renégociation et le silence déraisonnable de la Troïka. Il me semble que la pensée de Camus peut être appliquée à la crise grecque et à ses répercussions sur l’Union Européenne et les Européens.
Le choix du referendum ou comment mettre les Européens face au sentiment de l’absurde
Pendant cinq années, la Grèce a vécu au rythme des plans de sauvetage accordés par la Troïka et des plans d’austérité imposés en contrepartie de ces divers plans de sauvetage accordés. Et pourtant, ces cures d’austérité n’ont fait qu’accroitre les problèmes économiques et sociaux du pays. En somme, pendant cinq ans la Grèce a été comme Sisyphe : condamnée à des coupes drastiques dans tous les secteurs de l’économie, elle n’a pas vu sa situation s’améliorer de la même manière que Sisyphe était condamné à rouler son rocher sans jamais pouvoir arriver au sommet.
Mais depuis janvier et la victoire de Syriza, la Grèce n’est plus Sisyphe, elle s’est levée contre une politique d’austérité insoutenable ne faisant qu’appauvrir les classes populaires du pays. Alexis Tsipras a donc fait le choix du bras de fer et choisi de tenter de renverser la table plutôt que de passer dessous selon l’expression de l’économiste Frédéric Lordon. Ce refus de la politique d’austérité fait que la Grèce est aujourd’hui la paria de l’Union Européenne et de la zone euro. En refusant les règles de la Troïka, la voilà aujourd’hui aussi étrangère aux institutions européennes que ne l’était Meursault à la société dans L’Etranger.
Toutefois, le choix fait par Alexis Tsipras, et validé par le Parlement grec, de procéder à un referendum à propos du plan de réformes dicté par la Troïka a contribué à mettre les Européens en face de ce sentiment de l’absurde. Toujours dans Le Mythe de Sisyphe, Camus écrivait : « Il arrive que les décors s’écroulent. Lever, tramway, quatre heures de bureau ou d’usine, repas, tramway, quatre heures de travail, repas, sommeil et lundi mardi mercredi jeudi vendredi et samedi sur le même rythme, cette route se suit aisément la plupart du temps. Un jour seulement, le « pourquoi » s’élève et tout commence dans cette lassitude teintée d’étonnement ». Appliqué aux Européens, le décor qui s’écroule est la position des tenants de l’austérité qui prônent qu’il n’y a pas d’alternative possible. Continuant sur ce thème Camus évoque deux réponses possibles à cette prise de conscience : « La suite, c’est le retour inconscient dans la chaîne, ou c’est l’éveil définitif ». Et c’est bien là toute la question que le referendum Grec pose : les Européens finiront-ils par réclamer massivement une autre politique ou bien s’accommoderont-ils de la politique actuelle ?
Les soubresauts grecs, prémices d’une révolte des peuples européens ?
La Grèce a donc refusé de nouvelles mesures d’austérité. Cette position peut être rapprochée de la révolte prônée par Camus pour répondre à l’absurde. Beaucoup de médias évoquent la peur d’une contagion de la crise grecque mais lorsque ceux-ci parlent de contagion, ils sous-entendent une contagion économique. La contagion la plus probable est, pour moi, politique. Et là encore la pensée de Camus s’applique à cette problématique. Reprenant Descartes, il écrit dans L’Homme révolté : « Je me révolte donc nous sommes ». La révolte personnelle aboutit donc à une révolte collective. L’une des principales questions qui se posent avec la révolte grec est de savoir si le soulèvement du «je» grec peut induire une révolte d’un «nous» européen.
La deuxième question fondamentale qui se pose est celle de la réaction des citoyens européens face aux problèmes rencontrés par le peuple grec. Les comportement des personnages de La Peste apparaissent comme les positions possibles pour les citoyens européens. Allons-nous être solidaires du peuple grec comme le Docteur Rieux et son ami Tarrou le sont dans le roman ou bien allons-nous adopter une attitude solitaire et tenter de prospérer sur les malheurs des autres comme le fait Cottard ?
De la réponse à cette question dépend la survie de l’idéal européen de fraternité. Laisser la Grèce mourir seule comme Meursault (le bien nommé) c’est abandonner l’espoir d’une Europe des peuples. Etre solidaire du peuple Grec et agir comme les personnages de La Peste c’est, au contraire, réaffirmer la nécessaire unité entre les peuples du Vieux Continent.
Très belle comparaison qui établit un lien entre la littérature et la politique !
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