La loi « anticasseurs », la perquisition chez Mediapart et l’hiver démocratique

Il est des périodes qui sont tout à la fois le témoin et la scène d’accélération prodigieuse des dynamiques. Pareilles à ces mélanges chimiques qui ont besoin de dépasser un certain stade pour que le précipité se forme, celles-ci sont reconnaissables à la succession très rapprochée de symboles de rupture. Il ne me parait pas exagéré de dire que nous vivons actuellement une période de ce type en France. Des propos tenus en demi-off par Emmanuel Macron à certains médias, où le monarque présidentiel fait montre d’un complotisme absolument absurde dans tous les sens du terme, au vote par une écrasante majorité de députés de la loi dite anticasseurs qui remet radicalement en cause le droit de manifester dans ce pays en passant par la tentative de perquisition de Mediapart au fumeux motif d’une protection de la vie privée ou celle de Manuel Bompard, tout ou presque concorde pour dire que la séquence que nous vivons est singulière.

Le propre de ce genre d’accélération des évènements est sans conteste leur caractère apocalyptique. Il faut ici entendre le sens premier et étymologique du terme apocalypse, terme qui dans la Grèce antique signifiait révélation. Il ne s’agit pas de dire que l’on découvre le visage autoritaire du locataire de l’Elysée – peut-être devrions nous l’appeler le complotiste de l’Elysée comme le fait Frédéric Lordon dans son dernier billet de blog, génial au demeurant – mais bien plus assurément expliquer que le voile semble s’être définitivement et de manière irrémédiable déchiré, que les quelques oripeaux derrière lequel se cachait la caste sont désormais jetés à terre et que le roi est désormais nu, donc autoritaire. Démontrer et critiquer cette extension du domaine autoritaire ne saurait suffire, il devient impérieux de se lever contre cet hiver démocratique.

Extension du domaine autoritaire

Pour qualifier la dynamique actuelle, nombreux sont les observateurs à évoquer une dérive autoritaire. Comme je crois, avec Camus, que mal nommer un objet c’est ajouter au malheur du monde, il me parait important de revenir sur la sémantique utilisée pour décrire ce qui se déroule sous nos yeux. Je suis bien plus enclin à voir dans les actes successifs très inquiétants provenant du pouvoir en place une extension autoritaire qu’une dérive. Cette dernière postule en effet qu’il survient un fait nouveau alors même que ce à quoi nous assistons est bien plus la continuation et l’extension de logiques qui existent depuis très longtemps – pour la loi dite anticasseurs, l’on peut aisément évoquer les interdictions administratives de stade qui ont été essayées sur les supporters de foot qui ont alors servi de cobaye à l’extension autoritaire actuelle.

De la même manière, la semaine en cours avec le vote de cette lois scélérate et la tentative de perquisition chez Mediapart marque tout à la fois une rupture et une continuité par rapport à des logiques qui lui préexistaient. Continuité parce que la volonté est la même, à savoir réduire au silence toute opposition à la politique menée. Rupture parce que le rapprochement très grand de ces deux évènements est assurément l’un des symptômes d’une crise, sinon organique, du moins très profonde. Et ce qui importe au milieu de tout cela est bel et bien la continuité, cette volonté de réduire au silence les propos et actes hostiles à la caste. Là se trouve assurément l’un des fils d’Ariane de cet odieux quinquennat. De la loi contre les fake news à la loi asile et immigration en passant par celle sur le secret des affaires sans oublier ce qu’il se passe actuellement, tout converge vers un même point de fuite : le refus de la contradiction.

Le constant deux poids deux mesures

Si la volonté de réduire au silence les opposants est l’un des marqueurs de ce quinquennat, l’autre principal fil d’Ariane est sans conteste la présence d’un deux poids deux mesures à la fois constant et odieux. Suppression de l’ISF d’une part, baisse des APL de l’autre. Instauration de la CSG pour certains retraités d’une part, mise en place d’une flat tax sur les revenus du capitaux d’autre part. Impunité pour Benalla d’une part, perquisition chez Mediapart et loi « anticasseurs » de l’autre côté. L’on pourrait continuer la litanie longtemps, jusqu’à la nausée, mais cela n’est guère utile pour démontrer à quel point le pouvoir en place a décidé de mener une politique de classe et est prêt à tout pour que les privilèges ne soient pas remis en cause – la violence avec laquelle le mouvement des Gilets jaunes est réprimée suffit à s’en convaincre.

Par-delà ce premier deux poids deux mesures plus qu’évident, un autre est en train d’émerger depuis la perquisition de Mediapart. A l’automne dernier, les locaux de la France Insoumise avaient été perquisitionnés et, à l’époque, bien peu avaient été les personnes y compris dans le milieu médiatique à s’offusquer d’une pratique pourtant très dangereuse en cela qu’elle mettait en danger des éléments stratégiques du mouvement. Cette absence de soutien semble aujourd’hui se retourner en partie contre Mediapart puisque certains Insoumis refusent de soutenir le média en raison de sa couverture des perquisitions de l’automne. Cette rancœur peut se comprendre mais il ne faudrait pas qu’elle fasse oublier que, dans les deux cas, ces perquisitions sont scandaleuses. L’un des cœurs névralgiques du scandale, au risque de me faire traiter de complotiste par les docteurs es complotisme de la République en marche, est sans contestation possible l’absence d’indépendance du parquet vis-à-vis du pouvoir exécutif et donc les possibles liens de subordination qui peuvent exister. A partir du moment où le doute s’immisce, il est compliqué de le faire sortir tant que l’on n’a pas expulsé les raisons qui le génèrent. Il n’est pas complotiste d’affirmer cela tout comme il n’est pas complotiste de dire que c’est certainement le secret des sources qui était visés dans le cadre de la perquisition chez Mediapart.

Et maintenant on fait quoi ?

Parce que, finalement, là est la seule question qui vaille. Face à cette extension du domaine autoritaire que faire ? L’on peut continuer à se regarder en chien de faïence, en se vociférant les uns sur les autres pour une absence de soutien voire un silence complice au moment où l’un des protagonistes a été attaqué mais, dans le fond, à quoi ou plutôt à qui cela bénéficie-t-il ? A part le pouvoir en place épris de son autoritarisme je ne vois pas d’autre vainqueur. Continuons à nous tirer dans les pattes face à ce qui est une mise à mal pure et dure de certains des fondements de notre droit et dans quelques temps, quand nous n’aurons plus aucune liberté à perdre puisqu’il n’en existera plus, il ne nous restera que nos yeux pour pleurer.

L’un des principaux écueils auquel nous sommes confrontés est sans doute le mirage bien présent selon lequel l’arsenal sécuritaire et autoritaire actuellement en place ne deviendrait dangereux qu’en cas de prise de pouvoir de l’extrême-droite. C’est sans doute l’une des antiennes les mieux partagées. Pourtant, le combat doit être mener aujourd’hui et, osons dire les choses, un pouvoir qui met en place de telles mesures n’a rien à envier à l’extrême-droite. En 2017 beaucoup exhortaient à faire barrage au fascisme et à l’extrémisme mais ces deux fléaux sont, comme l’écrivait Camus dans La Peste, susceptible de surgir n’importe quand de n’importe où et dans la situation actuelle, je pèse mes mots, c’est bien à une dérive fascisante à quoi nous assistons si bien que l’hiver démocratique est bien rude et la nuit parait très noire et menaçante. A nous d’œuvrer pour rallumer les étoiles et faire advenir le printemps. « Au cœur le plus sombre de l’histoire, écrit Camus dans Prométhée aux enfers, les hommes de Prométhée, sans cesser leur dur métier, garderont un regard sur la terre, et sur l’herbe inlassable. Le héros enchaîné maintient dans la foudre et le tonnerre divins sa foi tranquille en l’homme. C’est ainsi qu’il est plus dur que son rocher et plus patient que son vautour. Mieux que la révolte contre les dieux, c’est cette longue obstination qui a du sens pour nous. Et cette admirable volonté de ne rien séparer ni exclure qui a toujours réconcilié et réconciliera encore le cœur douloureux des hommes et les printemps du monde ». Puissent ces mots guider notre combat.

Crédits photo: Alençon ma ville

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