L’enfumage du grand débat national

Le 10 décembre dernier, pris dans ce qu’il croyait être une colère passagère, Emmanuel Macron avait annoncé le lancement d’un grand débat national pour répondre à la volonté des Gilets Jaunes d’être écoutés. Passée quelque peu inaperçue en raison de la vraie fausse revalorisation de la prime d’activité pour toutes les personnes touchant le SMIC, la proposition de ce grand débat national était sans doute, dans l’esprit du locataire de l’Elysée, l’une des pierres angulaires de sa stratégie de sortie de crise. Malgré ses tentatives, la colère populaire est bien enracinée et ce n’est pas un simulacre de Grenelle qui semble pouvoir faire disparaitre cette rage sourde qui parcourt le pays.

Le successeur de François Hollande pensait certainement avoir trouvé la parade et, peut-être, certaines personnes croient sincèrement que ce fameux grand débat national peut être une forme de cahier des doléances contemporains à même de collecter les attentes populaires pour tenter ensuite de les satisfaire. Je crois, pour ma part, que ce grand débat national – tant dans sa philosophie générale que dans sa forme (temps très réduit, tirage au sort, etc.) – est une tentative d’enfumage de plus pour mieux neutraliser les colères qui se lèvent partout dans le pays et qu’il ne vise à rien d’autre que de laisser les gens parler sans les écouter, comme d’habitude en somme.

Le piège tendu

En temps normal les tentatives de grand débat national et autres Grenelles sont souvent des moyens de détourner l’attention ou de faire croire à une écoute attentive alors qu’il n’en est rien. Dans le cas qui nous occupe actuellement je crois que cette dynamique est encore renforcée par rapport aux cas précédents. Comment, en effet, croire qu’Emmanuel Macron va prendre le temps d’écouter, de consulter alors même que depuis son arrivée au pouvoir il prend le soin de n’écouter personne sinon lui-même et sa camarilla ? Faire croire que le monarque présidentiel aurait subitement changé (ou pris des résolutions puisque c’est dans l’air du temps) à ce propos est au choix une grave erreur stratégique ou une propagande éhontée.

Ayant mis de côté tout à la fois les partenaires sociaux, les partis d’opposition et même la colère populaire, voilà que Monsieur Macron tente de se racheter une image de dirigeant à l’écoute alors qu’il n’en est rien. Il n’y a d’ailleurs qu’à l’écouter parler tant lors de son allocution du 10 décembre dernier que lors de ses vœux de fin d’année pour comprendre à quel point ce grand débat est un enfumage total. Tout acquis à son idéologie, Emmanuel Macron est effectivement persuadé que le cap qu’il suit est le bon et, il l’a dit à plusieurs reprises depuis le début du mouvement des Gilets Jaunes, il n’a pas l’intention d’en changer. Il est toujours ironique de constater les dissonances présentes dans un même discours et à ce petit jeu-là, Macron est assurément l’un des tous meilleurs puisque dans la même allocution celui-ci est capable d’annoncer la tenue d’un grand débat national tout en affirmant qu’il ne modifiera pas d’un iota la politique menée. De deux choses l’une, ou bien il est complètement abruti, ou bien il nous prend royalement pour des idiots. Et je ne pense pas qu’il soit si bête que cela.

Refuser le cadre

L’on pourrait penser que la problématique du grand débat national est conjoncturelle et liée à la pratique du pouvoir de Macron. Je suis pourtant de ceux qui pensent qu’il n’en est rien et que c’est bien face à un problème structurel que nous nous trouvons, celui des dirigeants qui se foutent absolument de l’expression populaire. Sans doute cette tendance a trouvé son symbole en mai 2005 lors du référendum sur la constitution européenne – rejetée par près de 55% des électeurs pourtant adoptée sous une autre forme par Nicolas Sarkozy quelques années plus tard – mais il serait dangereux de la circonscrire à cette seule date et ce seul évènement. La réalité est bien que nous vivons dans un système institutionnel – qui est le vrai problème indépendamment du président en place – permettant à celui qui le dirige de faire littéralement le contraire de ce pourquoi il a été élu sans que nous n’ayons notre mot à dire.

Il faut, je crois, refuser en bloc ce simulacre de débat précisément parce que l’accepter c’est en accepter le cadre. L’heure n’est plus aux revendications comme si nous étions des enfants réclamant un jouet mais bien plus assurément à la sortie du cadre, à son explosion pour reconstruire un système plus démocratique et plus soucieux des volontés populaires. Parce que, à la fin des fins, une fois le cadre accepté, l’on peut gesticuler dans tous les sens, les limites de nos gesticulations sont définies par les dominants. Aussi longtemps que nous nous contenterons de leur cadre alors nous ne pourrons rien obtenir de radicalement différent. Après tout, quel serait l’intérêt des tenants de l’ordre établi de modifier le cadre dans lequel ils dominent ? A partir de là, je suis donc fondé à dire que tous ces débats et autres simulacres de consultation doivent être refusés de manière véhémente. Il serait effectivement regrettable de penser faire des pas en avant alors qu’il ne s’agit en réalité que de pas de côté qui nous éloignent de l’objectif final. En d’autres termes, il est grand temps d’arrêter d’être des crabes et de leur dire que nous débattrons avec grand plaisir entre nous une fois que nous les aurons virés.

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